L'importance du deuil social interagit sur l'expression individuelle du chagrin
Les attitudes qui suivaient la perte ont toujours été codifiées par les différentes sociétés humaines. Cependant, tout était fait pour limiter une période de tristesse exagérée. Au Moyen Age, la fragilité de la vie et des patrimoines conduisait veufs et veuves à se remarier au plus vite. Mais les pleurs pouvaient s’écouler ad libitum dans le cas de la mort d’un enfant. Les comportements d’automutilation n’étaient pas rares à cette époque et rappellent ceux des shiites d’Iran qui s’arrachent cheveux et sourcils, se griffent et se lacèrent la poitrine. L’Église va, dès le xve siècle, limiter ces manifestations pour prôner plus de discrétion (il s’agit ici de la naissance du refus de l’expression émotionnelle de la souffrance) en conseillant de se cacher sous un chaperon noir ou d’éponger ses larmes à l’aide d’un « pleuroir » (D. Alexandre-Bidon, 1998, p. 120).
Le signe de modernité, mais surtout d’humanité, par rapport aux émotions plus « animales », consiste à éviter un mode de réaction indigne qui consisterait à se répandre en pleurs. Les excès de la discrétion ont leur revers, car les funérailles ont de tout temps servi d’exutoire au chagrin. Mais les périodes de fastes succédaient sans doute aux temps de restriction des sentiments. Ainsi, les cimetières du xixe siècle regorgent de représentations théâtrales de la mort et des défunts, tandis que les simples croix alignées des combattants de la première, puis de la seconde guerres mondiales, soulignent la densité des morts, leur conformité au modèle du héros, mais aussi l’absurdité de telles pertes de masse.