Les complications du deuil: deuil inhibé
Les complications du deuil sont liées au temps et à toute une série de facteurs comme l’âge, le sexe, la brutalité de la perte, etc. Le deuil peut être bloqué à plusieurs niveaux. Lors de l’annonce du décès, c’est un deuil traumatique. Lors de la phase dépressive, c’est une dépression majeure réactionnelle au deuil. Le travail de deuil peut également être retardé (différé) ou inhibé. Il peut enfin devenir chronique et ne jamais atteindre la réadaptation. Ainsi, des complications entravent le déroulement habituel du travail de deuil, mais n’aboutissent pas à une maladie mentale caractérisée. Les complications du deuil peuvent cependant, si elles se prolongent, devenir de véritables pathologies du deuil.
Les pathologies du deuil comprennent les deuils psychiatriques (décompensation caractérisée d’une personnalité pathologique mais jusqu’à présent non exprimée), mais aussi des troubles déclenchés a posteriori comme l’alcoolisme, des pathologies somatiques ou comportementales. Ces troubles psychologiques, somatiques ou comportementaux sont retrouvés chez des personnalités indemnes de symptômes (J. Bergeret parle de personnalités « aménagées », mais non structurellement fixées). En revanche, leur sensibilité aiguë à la perte les fait caractériser d’états limites. Verser dans une pathologie soma- tique ou psychiatrique dépend de plusieurs facteurs. Fixations superficielles à différents niveaux du développement psychique, régressions massives vers l’expression somatique des tensions, les facteurs environnementaux, génétiques et anamnestiques feront le reste…
Le deuil différé
La défense habituelle, qui consiste d’abord à refuser la réalité, persiste dans le temps. Ce déni va retarder l’installation de la dépression et surprendre par l’attitude globalement inchangée de l’endeuillé. Les actions quotidiennes du défunt sont entretenues, ses vêtements conservés bien en place, la musique qu’il appréciait ou ses photos préférées maintenues dans la maison. L’endeuillé élude toute question à ce sujet et continue une vie dont le rythme est soutenu. Épouse qui persiste à souper en « présence » de son défunt mari, mère qui prépare consciencieusement les affaires de son fils tous les matins, père qui constitue une petite crypte dans la chambre de son enfant mort où il est en général interdit d’entrer ou de déplacer quoi que ce soit.
Seule la mécanique du rituel maintient le déni de la mort. Mais s’ils isolent l’endeuillé, les rituels l’envahissent progressivement. La dépression, retardée, surviendra inévitablement, lors d’un événement réactivant le traumatisme de la perte, ou à la suite d’une élaboration personnelle, dégageant l’accès du travail de deuil et relâchant les tensions.
Le deuil inhibé
Comme dans le deuil différé, les manifestations normales du deuil ne sont pas apparentes. Ici, l’endeuillé ne nie pas la réalité de sa perte, mais refuse les affects qui y sont liés. Les perturbations émotionnelles sont au second plan, masquées derrière une symptomatologie d’ordre somatique. Pour Parkes (1975), le deuil inhibé serait un deuil différé, dont les défenses, beaucoup moins efficaces, se manifesteraient dans le corps. Ainsi, les enfants en deuil et surtout les enfants traumatisés présentent ces attitudes, oscillant entre agitation, impulsivité et inhibition ou indifférence. Les enfants restreignent leur expression par identification aux adultes et pour ne pas les faire souffrir de façon supplémentaire.
Mais l’absence d’affliction ne peut durer très longtemps. Aussi, toute « plongée » dans une dépression inexpliquée doit-elle faire penser à un deuil inhibé jusque-là.
Le deuil chronique
La dépression du deuil peut persister toute une vie… Jadis, les veuves restaient en noir et bénéficiaient d’un statut social particulier (elles étaient « repérées » comme nécessitant assistance), elles n’étaient pas pour autant toutes dépressives…
Le deuil chronique a donc des formes différentes. Soit, c’est une dépression avec auto-accusations délirantes, et c’est alors un deuil mélancolique.
Soit, c’est un deuil ne reposant pas sur l’assurance de la mort (défunt présumé, disparu, absence de cadavre visible) et le deuil ne peut se faire, faute de réalité substantielle de la mort. Le sujet reste alors subdépressif ou au contraire présente des larmes intarissables.
Enfin, si, de nos jours, le deuil n’est plus porté, certaines personnes tiennent à leur statut d’endeuillé, pour ses bénéfices secondaires. Une forte ambivalence est en général à l’origine de ces deuils chroniques.
La dépression majeure réactionnelle au deuil
La dernière possibilité de deuil prolongé correspond au maintien d’affects dépressifs extrêmes, au-delà du premier temps de douleur intense liée à la perte.
Elle est signalée dans le DSM-III-R et reprise par le DSM-IV (Diagnosis and Statistical Manual of Mental Disease), il s’agit du « deuil compliqué par la dépression ». Dans la classification internationale des maladies actuelle (CIM-10), ce type de deuil est classé comme « réaction dépressive prolongée ». Pour ces manuels de psychiatrie, un traitement s’impose lorsque, deux mois après la perte, le sujet est encore plongé dans une dépression majeure avec baisse de l’estime de soi et désirs suicidaires. Le DSM-IV insiste cependant pour signaler que les antidépresseurs, efficaces sur les symptômes dépressifs, ne traitent en aucun cas les symptômes du deuil. Des antidépresseurs, mis en place lorsque la dépression aiguë liée à la perte se prolonge, ne doivent pas empêcher le travail de deuil. Autrement dit, une dépression aiguë, prolongée, bloque le travail de mentalisation de la perte (les processus de pensée nécessaires au decathecting – détachement des affects – cher à Freud). Celui-ci n’est possible que si la dépression est « mentalisée », c’est-à-dire dynamique et non pas fixée.