L'adulte victime d'une perte dans des conditions traumatiques
La perte d’un proche doublée de circonstances traumatisantes aggrave la symptomatologie du deuil. Celui-ci risque d’être bloqué en situation aiguë. De plus, l’absence de demande d’aide ne permet pas d’agir le plus rapidement possible, comme tous les spécialistes le prônent aujourd’hui. jCette paralysie des fonctions physiologiques et psychologiques est contemporaine d’un autre mécanisme de défense contre la réactivation de l’angoisse. La dissociation péritraumatique correspond à un processus primaire trouvé dans les situations hautement stressantes. L’impuissance totale devant l’événement traumatique est doublée d’une « indifférence » à la situation. Le fait que des états de mort imminente déclenchent le même processus laisse penser que, face à une mort probable, le sujet, plutôt que de sombrer dans l’angoisse, s’écarte mentalement de la scène. Il devient ainsi son propre spectateur. Certains neurologues ont interprété la dissociation péritraumatique comme une protection cérébrale contre la douleur. Des endorphines permettent de ne pas ressentir la douleur pendant un stress majeur. La dissociation défensive est contemporaine de la menace de mort du sujet. Les Near Death Experiences (expériences de mort imminente) sont aussi des traumatismes (avec arrêt cardiaque) hautement stressants qui concernent bien l’irruption de sa mort. Les descriptions données par les personnes à la limite de la mort sont tout à fait proches de notre dissociation péritraumatique. En revanche, lorsque le sujet n’est pas menacé, ce phénomène n’a pas lieu.
Les catastrophes, les meurtres collectifs, les attentats, les génocides ajoutent encore deux dimensions comprises dans le psychosyndrome traumatique.
— La perte d’identité. Si un groupe humain est visé, la multiplication des morts donne au sujet une impression de perte de son moi. En effet, qu’est-ce qui le différencie des autres victimes ? Lui-même n’est pas visé pour ce qu’il a fait ou dit. Il risque sa vie pour une seule caractéristique (être juif, être Tutsi, être Kosovar), le reste de sa personne est nié. Les femmes violées ressentent également cette perte psychotique de leur moi : « Je n’ai pas été violée pour ce que j’ai fait… J’ai été violée parce que j’étais femme. En moi, ce sont toutes les femmes que ce criminel violait… » L’attaque de l’identité se poursuit bien après le traumatisme et doit donner lieu à un véritable travail en profondeur. Elle persiste sans doute le plus longtemps, cause de suicide tardif ou de troubles psychiatriques de longue durée.
— Le sentiment de la mort aléatoire. Les personnes qui ont assisté à la mort des autres victimes de la catastrophe, celles qui ont survécu « de justesse » et le plus souvent par hasard, conservent une forme de culpabilité qui touche également leur identité, mais à l’inverse de précédemment. « Pourquoi moi, ai-je survécu ? » L’absence de raison est souvent encore pire que la question… Jehanne de Montigny se demande : « J’avais détaché ma ceinture. L’hôtesse nous avait demandé de la garder attachée. Mais, parmi les passagers, certains qui l’avaient gardée sont morts, tandis que d’autres qui avaient fait comme moi sont morts aussi… Pourquoi suis-je restée vivante ?» A plusieurs reprises, elle blâme cette destinée : « Si au moins j’étais morte, je n’aurai pas eu ces cinq années supplémentaires de souffrances… », elle envie la malheureuse hôtesse, qui a tout fait pour que les passagers soient sauvés, et qui pourtant est morte dans l’accident… Ce questionnement n’a en effet pas de réponse mais peut trouver un accompagnement au sein des groupes de victimes. La survie « par chance » pouvant potentiellement se transformer en culpabilité supplémentaire : « Aucune de mes qualités intrinsèques ne m’a sauvé la vie, le pur hasard a joué en ma faveur. » Seul le partage des affects limite la culpabilité, majorée par la solitude du rescapé.