Tout comme avec l’alcool, les drogues, le tabac, les médicaments, la nourriture, le sexe, le jeu ou le travail, vous pouvez être victime d’une dépendance à l’argent. Celle-ci s’exprimera au travers de comportements tels que l’avarice, la dépense compulsive, une existence centrée sur l’argent.
Il ne faut pas confondre la dépendance et l’attrait, la passion ou la lubie. À l’inverse de la passion, la dépendance implique une durée dans le temps. C’est un phénomène qui s’installe durablement, souvent pour toute une existence, qui s’amplifie au fur et à mesure et finit par dominer le psychisme. Il ne s’agit pas d’une envie soudaine et passagère, d’un caprice, ni d’un élan passionnel transitoire. La dépendance implique une préoccupation de tous les instants. Le dépensier compulsif ne pense qu’à acheter, l’avare à compter et rien ne les détourne de ces conduites excessives. De même que l’alcoolique organise ses journées autour de la consommation de l’alcool, le dépendant à l’argent ne vit que pour en amasser ou en dépenser.
Définition
Ce n’est que très récemment que la psychologie et la psychiatrie ont tenté de donner une réelle définition de la dépendance. Durant les années 70, l’Organisation mondiale de la santé a organisé un groupe de travail sur le thème des dépendances, dirigé par un psychiatre, Griffith Edwards. Son équipe d’experts et lui ont avancé une définition de la dépendance fondée sur la description des différents symptômes la constituant, à savoir une obligation comportementale, un désir obsédant, une perte de contrôle face à l’utilisation ou la consommation de l’objet de la dépendance accompagnée d’un mécanisme de désinhibition, des signes de sevrage et une tolérance.
Le comportement imposé et le désir impérieux et obsédant définissent la contrainte exercée par l’objet de la dépendance sur l’individu. La vie de celui-ci est envahie par des habitudes, des conduites contraignantes auxquelles il ne peut échapper. Il est incapable de résister à des achats ou au maniement de l’argent, mais au plaisir initialement procuré se substitue rapidement le besoin. Ce qui suscitait à l’origine du plaisir se transforme en une obligation contraignante. Le maniement de l’argent, la dépense par exemple s’impose dans l’immédiat, le sujet ne peut attendre.
Lorsque la dépendance est importante, les comportements déviants se répètent et toute la vie de la personne est organisée autour de ces derniers. Le côté excessif ne peut alors plus échapper à l’entourage. La consommation de l’argent dépasse ce qui correspondrait à la norme.
Le sujet dépendant est sans cesse assailli par le désir.La dépendance à l’argent rend constamment présent le désir d’acheter, de spéculer ou de compter, comme l’alcoolique qui est obsédé par l’envie de boire, le joueur de jouer, le toxicomane de fumer ou de se shooter. Il semble que tous recherchent les sensations de la première fois, ce qu’en psychologie on dénomme les effets initiaux du produit. Ce vécu, cette excitation intense des premières fois, le sujet dépendant rêve de les connaître à nouveau et il ne peut que successeur à la tentation. Le dépendant est dominé par l’objet de sa dépendance et perd son autonomie. Tel l’oncle Picsou ou le personnage de Louis de Funès dans La Folie des grandeurs, le dépendant à l’argent subit l’obligation de comportements relatifs à la nature de sa dépendance – dépense, avarice, spéculation, folie du gain – et est habité par des désirs obsédants centrés sur l’argent.
La perte de contrôle est un autre symptôme de la définition de Griffith Edwards. Tout contact avec l’objet de la dépendance entraîne une perte de contrôle. Le dépensier compulsif dépense jusqu’au dernier centime et bien au- delà. Il se met en grand danger sur le plan financier, mais il est incapable de se maîtriser. Le joueur pathologique ne se maîtrise plus en situation.
On en revient au phénomène de retour vers les effets initiaux de la substance. Le souvenir des premières sensations de plaisir suscite chez le sujet dépendant une euphorie, une excitation qui lui font perdre tout sens de la mesure. Les dépensiers compulsifs expliquent bien ces sentiments de surexcitation éprouvés au moment de payer.
La plupart des sujets rencontrés dans le cadre d’une thérapie pour une dépendance à l’argent font le récit de leurs incartades en utilisant des termes qu’emploieraient des personnes alcooliques. Ils parlent d’ivresse ou de griserie, de sensation de vertige au moment de payer ou de jouer. Et, de même que pour l’alcool, ils finissent par « consommer » seuls, en se cachant avec la honte et la culpabilité d’un plaisir interdit.
Pourtant, bien souvent, le sujet dépendant n’éprouve pas vraiment du plaisir. Il se place surtout dans une situation d’espoir de plaisir. Il espère qu’en reproduisant des comportements en rapport avec sa dépendance il revivra la même excitation, la même intensité de plaisir. Intervient ici la mémoire émotionnelle. Le souvenir des émotions positives pousse l’individu à consommer, dépenser, jouer, amasser. Ce mécanisme est intense et bouscule les facultés de raisonnement.
À cela s’ajoutent des paramètres biologiques. Les achats compulsifs, le jeu, le contact avec l’argent provoquent la sécrétion par le cerveau de substances comparables à certaines drogues, des endorphines, dans une zone cérébrale dénommée zone de récompense. Ce processus a été décrit par des neurobiologistes et se produit lors des rapports sexuels, expliquant ainsi les mécanismes du plaisir. Les accros au jogging connaissent bien les effets des endorphines qui font disparaître les douleurs ressenties dans les premiers kilomètres. Il en est de même pour les fumeurs. La nicotine agit très rapidement sur les centres cérébraux du plaisir, ce qui participe grandement à l’installation de la dépendance biologique. Tout sujet dépendant est victime de ce phénomène biochimique lorsqu’il est confronté à l’objet de son désir. Il est aisé de comprendre l’euphorie ressentie et la perte de contrôle qui l’accompagne.
Une tolérance et un malaise dû au sevrage sont les derniers signes de la présence d’une dépendance. Les dépendants à l’argent ressentent un malaise psychique et physique lorsqu’ils ne peuvent assouvir leur besoin, par choix ou par contrainte. Toute nouvelle dépense fait immédiatement disparaître ce malaise chez le dépensier compulsif, comme la consommation du verre de vin chez l’alcoolique.
Une fois cette expérience vécue s’instaure chez la personne dépendante la peur du manque. Pour ne pas ressentir les effets négatifs du malaise antérieurement éprouvé, les comportements sont répétés parfois même de façon contraignante. Le remède au mal devient le mal lui-même.
Face à l’importance de ce malaise, il a fallu mettre René sous traitement à base de sédatifs, comme un patient alcoolique ou toxicomane en sevrage. René aurait été incapable d’être suffisamment disponible pour entreprendre la thérapie. D’ailleurs, les réactions au sevrage de René diffèrent-elles tant que cela de celles d’un alcoolique ou d’un toxicomane dans la même situation? Encore une fois, les mots employés sont identiques, le ressenti similaire.
La plupart des personnes dépendantes souffrent d’anxiété. Elles présentent des traits de personnalité anxieux, que les comportements de dépendance amenuisent mais que le sevrage exacerbe. Lorsqu’un malaise tel que celui de René est ressenti par un sujet dépendant à l’argent, la peur du manque va paraître. Par volonté de ne pas en connaître de noLiveau les affres, les effets négatifs physiques et psychiques qu’il engendre, les dépendants à l’argent vont tout faire pour que leurs comportements déviants ne soient pas interrompus. Certains deviennent de véritables phobiques du manque d’argent. Leur vie se passe à anticiper de manière à ne jamais se trouver en défaut d’argent. Plus les comportements se rapprocheront d’une consommation excessive, plus cette angoisse du manque se fera sentir. Il est facile de comprendre qu’une personne dépendante à l’argent par simple préoccupation – information permanente de l’état de son compte bancaire, connaissance des meilleurs placements… – sera moins « accro » qu’un dépensier compulsif.
Quand un comportement de consommation provoqué par un désir obsédant et par un sentiment d’obligation est empêché, s’ensuit l’apparition des troubles en rapport avec le sevrage et se crée la peur du manque. Le sujet en vient alors à se persuader qu’il ne réussira jamais à se débarrasser de sa dépendance et que l’objet de celle-ci est le seul remède au malaise redouté. C’est le processus du serpent qui se mord la queue. La dépendance s’autoalimente et se pérennise. Sans aide extérieure, le sujet dépendant est incapable de se prendre en charge et de guérir.
Vidéo : La dépendance à l’argent