Distinctions entre deuil normal et deuil pathologique
Avec le xxe siècle vient le temps des interrogations sur cet état émotionnel et son rôle dans la psychologie humaine. Karl Abraham, qui avait développé, lors d’une communication sur la mélancolie, le modèle du deuil (1912), stimule Freud sur ce sujet. Ce dernier reprend le modèle psychiatrique de la mélancolie et tente de l’éclairer grâce au deuil.
Freud le définit comme « régulièrement la réaction à la perte d’une personne aimée ou d’une abstraction venue à sa place, comme la patrie, la liberté, un idéal, etc. ». Cependant, s’il reprend la symptomatologie psychique classique de la mélancolie (humeur profondément triste, désinvestissement du monde extérieur, inhibition, autodépréciation et idées délirantes de ruine), il la rapproche de celle du deuil grave sauf pour une seule dimension : celle du trouble du sentiment de soi. Ce qu’il résume dans une formule radicale : « Dans le deuil le monde est devenu pauvre et vide, dans la mélancolie c’est le moi lui- même. » Freud pose les bases du modèle psychanalytique du deuil. Il décrit dans son célèbre article « Deuil et mélancolie », les différences entre le travail qu’opère l’endeuillé à propos de l’objet perdu (bien réel) et l’ignorance qu’a le mélancolique vis-à-vis de sa perte inconsciente (perte du moi). Pour Freud, le choix d’objet du mélancolique est un choix narcissique. L’identification narcissique à l’objet entraîne une régression lors de sa perte. Cependant, le mélancolique est ambivalent vis-à- vis de ses objets. L’ambivalence à l’égard du moi produit un mélange d’amour doublé de haine, qui se traduit par une intention suicidaire. Cette intention ne se retourne contre le moi que parce que ce dernier est considéré comme un objet d’amour potentiel. L’hostilité inconsciente envers l’objet est bien retrouvée dans les deuils pathologiques. Car c’est aussi l’ambivalence envers la personne aimée et perdue qui va prolonger le travail de détachement de la libido. La comparaison avec la mélancolie permet deux types de conclusions :
— le deuil de l’objet perdu passe par un travail conscient et inconscient de détachement. Le détachement est, par essence, douloureux et les manifestations dépressives sont liées à la reconnaissance de la réalité ;
— la dépression du deuil est normale. Si elle est comparable à la dépression pathologique du mélancolique, elle en diffère par le fait que l’objet perdu est bien réel, qu’il n’est pas totalement identifié au sujet et que, si l’ambivalence existe plus ou moins dans le choix d’objet, elle ne conduit jamais à la haine de soi.