La dépendance à l'argent : La théorie psychanalytique de la dépendance
La théorie psychanalytique avancée par Freud repose sur une sexualité infantile organisée sur ce mode : « besoin – déplaisir/satisfaction – plaisir». Pensez au nourrisson repu qui s’endort, apaisé, un sourire d’ange aux lèvres, dans les bras de sa maman. Pour Freud, notre fonctionnement psychique est gouverné par un principe de plaisir, qui tend à pousser les individus à obtenir une satisfaction immédiate des désirs, auquel s’oppose un principe de réalité qui nous rappelle que tout ne peut être satisfait, des règles, des lois établissent des restrictions ou des interdictions.
Otto Fenichel, disciple de Freud émigré aux États-Unis, a étudié les phénomènes de dépendance sous l’angle psychanalytique. Il a donné une description de ce qu’il a dénommé « la névrose impulsive » (ou « névrose d’impulsion »), qui rend compte du caractère urgent et immédiat des besoins ressentis par les sujets dépendants. Il estime que ces derniers, incapables de résister aux tensions, agissent sans réfléchir dans le but d’en éliminer les effets négatifs. Toute tension est vécue par eux comme un danger, une menace. Il leur faut alors se débarrasser au plus vite du malaise ressenti. Il ne s’agit plus pour eux de rechercher le plaisir, mais l’évitement du déplaisir.
Tout comme le nouveau-né, incapable de mentaliser et donc de différer la satisfaction des besoins, les sujets dépendants sont dans le refus permanent du manque. Ils sont restés à un stade précoce de leur développement psychologique. Pour Fenichel, ce stade est celui de l’oralité, période où l’alimentation est la source élective des plaisirs possibles. C’est pourquoi on parle fréquemment d’oralité pour donner à comprendre les conduites de dépendance des sujets alcooliques, tabagiques ou toxicomanes.
La psychanalyse insiste par ailleurs sur la notion de surexcitation accompagnant l’émission des comportements de dépendance. Le dépensier compulsif, par exemple, ressent un mélange de sensations agréables et désagréables. Le dépensier agit en réponse à une tension qu’il ne peut ressentir par ailleurs. Le fait de satisfaire le besoin participe à éliminer cette tension. Mais un certain plaisir est éprouvé par la présence même de cette tension. Ainsi, le sujet dépendant est en recherche permanente de l’état de tension suscité par le désir.
La culpabilité, le frisson émotionnel provoqué par la prise de conscience d’une transgression, acheter alors que le compte est à découvert, participeraient au plaisir. La sanction viendra immanquablement, le dépensier, le joueur, l’accro aux crédits le savent. C’est, pour les psychanalystes, l’excitation de cette attente qui installe en partie la dépendance.
Tout le monde n’éprouve pas ce type de sensations et par conséquent ne devient pas dépendant. En psychanalyse, la présence de conflits psychiques particuliers explique le développement des comportements de dépendance. La dépendance est considérée comme une structure névrotique (Fenichel parle de névrose impulsive).
Freud considérait les phénomènes de dépendance comme une non-résolution de conflits anciens conduisant à une fixation à un niveau archaïque du développement de la personnalité. Pour lui, différents stades jalonnent la genèse de la personnalité. Ces stades représentent des périodes d’investissement de l’énergie sexuelle, ou libido, sur différentes parties du corps, ou zones érogènes, successivement : la bouche et la peau, la zone anale, les parties génitales. Une fixation au stade oral détermine des comportements du type « requin de la finance », axés sur la nécessité de réaliser des gains d’argent, de faire du business. On retrouve ici ces hommes d’affaires très actifs qui vivent chaque marché possible comme un défi, un challenge à remporter. Il en est de même pour les dépensiers compulsifs qui vivent avec, nous l’avons vu, le besoin d’apaiser des tensions par le plaisir d’acheter. Une prévalence du stade anal détermine davantage des dépendances à l’argent tournées vers la rétention, l’avarice et la radinerie.