Les enfants et l'argent
Ces dernières années, les valeurs de notre société sur l’argent ont considérablement changé. Consommer est devenu une activité importante dans notre vie, si ce n’est un passe-temps. Combien d’entre nous ne consacrent-ils pas le samedi après-midi à faire du shopping? Réfléchissons au temps que nous passons à faire des achats. Il y a quelques décennies cette pratique forcenée de la consommation n’envahissait pas autant notre existence.
Les enfants y participent et sont même invités à y participer de façon pressante. En terme commercial, l’enfant et l’adolescent représentent une niche fructueuse et incontournable. Sollicités en permanence par la publicité et les médias, ils ont naturellement intégré l’acte d’acheter comme un comportement habituel, et de surcroît comme un loisir.
A cela s’ajoute un phénomène de société notable. Les médias ont envahi notre vie quotidienne avec l’étalage de scandales politico-financiers. Des hommes d’affaires véreux, auteurs d’escroqueries avérées, sont amnistiés et accèdent au vedettariat. Comment, face à cela, peut réagir le petit voleur de scooter de banlieue qui se retrouve, lui, en prison ? D’autres jeunes, souvent mineurs, dealant ou se livrant à des trafics en tous genres, perçoivent des revenus supérieurs à ceux de leurs pères qui travaillent ou ont peiné pendant des années pour des salaires de misère. Comment ne pas penser que les valeurs de nos enfants n’ont pas été bousculées ? La recrudescence de la petite délinquance dans les villes en est l’illustration. Ne pas posséder ce qui semble banal et nécessaire devient une frustration insupportable à laquelle le vol, le racket ou le deal vont remédier.
En cas de problème
L’argent reste un sujet de préoccupation pour la majorité d’entre nous et les enfants jeunes le perçoivent inévitablement. Ils sont de véritables petites éponges à émotion et l’inquiétude d’un parent, son anxiété seront très vite ressenties par eux. À chaque fois, l’enfant vivra intensément l’angoisse de s’en sentir responsable et de perdre en conséquence l’amour de la ou des personnes rassurantes et sécurisantes qui comptent pour lui le plus au monde, sa mère et son père. Qu’il s’agisse de souci financier ou de problème de couple, tout prendra l’allure de réactions anxieuses marquées par la culpabilité et la peur de ne plus être aimé.
C’est pourquoi il est essentiel de ne pas mentir ou cacher les problèmes aux enfants. Afin qu’ils ne fantasment pas et ne bâtissent pas de scénarios catastrophes, il faut prendre le temps de leur expliquer simplement les raisons de vos soucis et leur dire que c’est à vous, adultes, de les résoudre et que, à l’inverse d’eux, vous disposez des capacités et des moyens nécessaires.
Vous pouvez aussi exposer en termes simples les conséquences du manque d’argent sur le budget familial et la nature des efforts que chacun peut être appelé à fournir. Ainsi, ils ne s’étonneront pas des changements dans le train de vie de la famille et pourront même se sentir davantage motivés à accepter les restrictions et même à y prêter une attention particulière.
Les adolescents ne réagiront pas de la même manière. Très centrés sur eux-mêmes, à la limite de l’égoïsme, ils ne se préoccuperont de la situation qu’en dernière minute, surtout si leur confort s’en trouve menacé.
L’adolescent ne vit l’argent qu’au travers des satisfactions immédiates ou des frustrations qu’il occasionne. Nombriliste, il ne se préoccupe pas vraiment de la façon dont il est gagné par les parents. En cas de problème, il analyse les difficultés et ne s’inquiète bien souvent que lorsque le risque de voir son niveau de vie s’amenuiser apparaît. Il peut néanmoins facilement s’angoisser si la situation problématique ne lui est pas suffisamment expliquée.
Pour l’adolescent, la famille fait aussi partie de son image, de son look. Si ses parents ont atteint un certain niveau de réussite, il n’hésite pas à le montrer à ses petits camarades et à s’investir du sentiment de puissance qui s’en dégage. En cas de crise, la peur de la dégringolade, correspondant à une perte d’estime de la part de ses pairs, est particulièrement redoutée. Là encore, le dialogue s’impose. Ne soyez pas choqués de l’indifférence ou du désintérêt qu’il affiche. Tout en semblant ne pas s’en préoccuper, il se montre plus vigilant que vous ne le pensez. Mais il ne l’avouera pas !
Chaque adolescent condamne sévèrement le mode de vie et les valeurs de ses parents, « vieux cons » qui n’ont rien compris. Seulement, ce qui se rapporte à son confort et surtout à leur image est une priorité essentielle. La honte de la déchéance l’envahit facilement et devient vite néfaste pour son fragile état psychologique. N’hésitez pas à parler avec lui de vos problèmes. Utilisez des termes simples et n’entrez pas forcément dans les détails. Il suffit d’amenuiser son inquiétude par de l’information sur la situation. Rien n’est plus stressant que l’incertitude qui laisse imaginer le pire. Si la situation est critique, oser en parler est psychologiquement souhaitable. L’adolescent en comprendra les conséquences, sans s’en sentir coupable, et participera volontiers à l’effort de guerre.
Comment en parler ?
Ne parlez pas de l’argent comme d’une finalité. Ne laissez pas croire à vos enfants que le but de l’existence est de gagner le plus d’argent possible, ni même uniquement d’en gagner. Il est vrai que chacun travaille pour être rémunéré et que vous ne travailleriez pas dans le cas contraire. Soyez rassurés, moi non plus !
Il est nécessaire néanmoins de faire comprendre à vos chères petites têtes blondes que l’argent perçu par votre travail n’est qu’un renforcement secondaire. Ce qui signifie qu’il représente un moyen d’assurer l’existence de la famille et ses besoins au quotidien, ensuite d’obtenir des plaisirs. Ne placez pas les choses en ordre inverse ! De même, le travail que vous faites est une activité qui, je l’espère pour vous, représente autre chose que la simple perception d’une fiche de paie à la fin du mois. Exercer une profession, quelle qu’elle soit, vous permet, à des degrés divers, de développer un univers relationnel qui vous est propre, d’apprendre un savoir-faire et de vous épanouir. Certes, « l’homme n’est pas fait pour le travail, la preuve : ça le fatigue ! ». Il n’en reste pas moins que l’oisiveté est mal supportée par la plupart d’entre nous. Sachez mettre en valeur cette fonction du travail et faire respecter le fruit de vos efforts.
Bien des enfants ont l’impression que l’argent se gagne trop facilement. Ils voient leurs parents dépenser apparemment sans compter pour des restaurants, l’achat de choses correspondant à des gadgets, bref pour du superflu ou du luxe. Je n’entends pas par là qu’il faut renoncer aux plaisirs que l’on peut s’offrir et qui rendent l’existence agréable. Simplement, prenez garde de ne pas afficher avec insistance, devant vos enfants, ce genre de dépenses. L’argent est une chose sérieuse qui ne tombe pas du ciel et qui doit d’abord être utilisée pour le nécessaire.
Les banques ne sont pas non plus des magasins à argent. Je me souviens de la réflexion de l’un de mes enfants, alors âgé de deux ou trois ans, voyant sa mère s’excuser de manquer d’argent liquide pour régler un achat : « C’est pas grave, va en racheter à la banque, maman ! » C’est une particularité de la naïveté enfantine que de croire que l’argent est un objet magique qui vient on ne sait d’où, pour acheter des tas de choses qui font plaisir.
Ne vous montrez pas esclaves de l’argent. Si vous avez la chance de disposer de revenus confortables, ne tombez pas dans le « toujours plus ». Ne donnez pas à vos enfants l’impression que l’argent sert à assouvir toutes les lubies, tous les caprices.
Ne passez pas votre temps à en discuter. Si des problèmes d’argent surgissent par exemple, une facture imprévue à régler, parlez-en entre vous, en dehors de la présence des enfants. Ils n’ont pas à être tenus au courant de la gestion de votre budget, du montant de vos revenus. Les informer doit se faire en cas de crise réelle, lorsqu’il s’avère évident qu’ils s’apercevront que quelque chose ne va pas, qu’ils vont être directement concernés par les économies forcées à venir.
Il ne faut pas que l’argent soit pour vous une sorte d’objet totalitaire, qu’il ait envahi chaque moment de votre existence, que vous passiez la majeure partie de votre temps soit à en parler, soit à en gagner. Si c’est le cas, vos enfants reproduiront des comportements identiques et subiront eux aussi les avatars de cette dépendance. Inversement, ils pourront avoir été tellement saturés par cette dictature de l’argent durant leur enfance qu’ils adopteront des comportements opposés malheureusement pas toujours adaptés. C’est ainsi que, plus tard, ils risquent de devenir des adultes irresponsables qui écarteront toute chose se rapportant à l’argent.
Évitez d’exposer votre argent. Si vous êtes en possession d’une somme importante en liquide, ne la mettez pas ostensiblement sous le nez de vos enfants, jeunes ou adolescents ; il n’est pas bon qu’ils assistent à la manipulation de tant d’argent liquide. Certes, cela les rassurera de se savoir à l’abri du besoin, mais ils pourraient croire qu’il est facile d’en gagner. Le risque est alors qu’ils perdent la notion de la valeur des choses. Les enfants de familles très aisées, chez qui l’argent est par trop mis en avant, deviennent plus facilement intolérants à la frustration. Si, plus tard, ils ne disposent pas de la même aisance que leurs parents, ils établissent une dépendance à l’argent et se retrouvent dépensiers compulsifs, flambeurs ou sombrent dans l’avarice.
Il ne s’agit pas non plus que l’argent fasse peur à vos enfants. Évitez de le placer en objet tabou ou dangereux, en quelque sorte investi d’un pouvoir occulte. Si votre attitude face à l’argent est cohérente, que vous n’en fassiez pas, de manière soucieuse, une affaire de chaque instant, que vous ne subissiez pas l’argent comme un objet totalitaire, dominant et anxiogène, vos enfants lui donneront la place qui doit lui revenir : ils chercheront à gagner de l’argent pour vivre et ne vivront pas pour l’argent.
Ne positionnez pas non plus l’argent comme seul moyen de réaliser vos rêves. Ne remettez pas sans cesse sur le tapis ce que vous feriez si vous gagniez au Loto ou si vous héritiez de votre oncle d’Amérique. Il est amusant de s’imaginer dans cette situation et de délirer sur l’utilisation d’une fortune soudaine, mais n’abordez pas systématiquement le sujet les jours du tirage du Loto. La vie peut être un rêve sans grosse cagnotte. Les plus beaux rêves sont peut-être ceux que l’on ne réalise jamais : « La possession tue le désir. » Il est important que vos enfants se sentent capables de réaliser les leurs sans forcément y mêler l’argent, ou la nécessité d’être riche.
Si l’argent a été créé, à l’origine, pour faciliter les échanges, il peut aussi être le fruit d’un partage. Faire plaisir aux autres est un des plus beaux gestes de la vie. Dites-le-leur et apprenez-leur à savoir donner, de manière raisonnable évidemment.