Le travail : les divisions du travail
La société industrielle a créé la possibilité de produire des objets de plus en plus complexes (des centrales nucléaires et pas seulement des meubles en bois) ainsi que des quantités beaucoup plus importantes du même produit (production de masse). Dans l’artisanat, les produits peuvent être fabriqués par une seule personne, par exemple monter un meuble en entier, mais les éléments complexes sont irréalisables par une seule personne. Elle n’aura jamais l’ensemble des compétences nécessaires ni le temps pour le faire. Progressivement, la société industrielle a donc montré qu’il était indispensable de diviser le travail et de répartir les différentes tâches entre plusieurs individus. La division du travail est bien sûr très efficace, tout le monde peut en faire l’expérience lorsqu’un travail est répétitif. Cependant, on peut diviser le travail de bien nombreuses façons et le découpage des tâches observable varie grandement même entre des entreprises qui fabriquent exactement les mêmes produits. La division du travail est avant tout un fait social, une construction sociale qui ne dépend pas uniquement des caractéristiques intrinsèques des tâches à effectuer.
Ainsi, dans les entreprises parle-t-on souvent de « travail productif » et de travail « improductif », les productifs étant les fabricants, les inventeurs, les commerciaux tandis que les improductifs sont les salariés des fonctions administratives qui ne rapportent pas directement de l’argent. Un service RH est souvent perçu comme une source de coûts.
Dans les représentations sociales, sont aussi distingués les travaux « manuels » et « intellectuels », division assez répandue, même si tout travail manuel nécessite une activité mentale et même si, à l’inverse, un intellectuel travaille aussi avec son corps. Dans la société française on valorise très souvent l’activité intellectuelle au détriment de l’activité manuelle. Ce qui n’est pas forcément le cas dans toutes les sociétés.
Une autre division du travail repose sur la distinction entre le travail de conception et le travail d’exécution introduite par le taylorisme. Dans une usine, l’ouvrier exécute des tâches qui ont été conçues et organisées par un bureau des méthodes alors que l’artisan organise lui-même le travail qu’il exécute. D’une certaine façon, l’intelligence de la conception a ainsi été retirée à l’ouvrier. Évidemment, nos sociétés valorisent plus la conception que l’exécution.
L’usage des termes « travail qualifié » et « travail spécialisé » est un peu trompeur, parce qu’on peut penser à un médecin spécialisé et il s’agira alors d’une personne très compétente. Mais, dans le monde de l’entreprise, un ouvrier « spécialisé » est en fait occupé à une tâche très précise et répétitive, par opposition à l’ouvrier « qualifié » qui aura des compétences plus larges.
Nous avons évoqué la place importante du travail salarié mais il existe également des travailleurs « indépendants ». Les transformations du monde économique actuel semblent faire bouger la frontière entre ces deux types de travailleurs. Par exemple, dans le secteur des transports routiers, certaines entreprises poussent les chauffeurs routiers à devenir indépendants. N’étant plus salariés, tout en leur fournissant de l’activité, ils ne peuvent plus s’appuyer sur le code du travail. Ils travaillent donc le plus possible pour gagner le plus possible, c’est donc un risque pour leurs conditions de travail (horaires excessifs, accidents, etc.) – Parfois cela peut être intéressant pour un cadre de développer, dans une entité indépendante, un morceau de l’activité de son ancienne entreprise, mais cela peut aussi être un piège derrière l’impression d’autonomie ainsi acquise.
Les sociologues (Maruani & Nicole-Drancourt, 1989) ont mis en évidence une division socialement construite entre les « métiers » masculins et les « emplois » féminins. Dans notre culture, les métiers, là où il y a une qualification importante, sont plutôt réservés aux hommes pour qui le travail est un support identitaire majeur. Aux femmes sont réservés les petits boulots, le travail à temps partiel, c’est-à-dire les emplois qui ne définissent pas véritablement l’exercice d’un métier dans lequel on peut se développer, faire carrière. Dans notre société, on trouve des divisions du travail qui ne sont pas le résultat de capacités naturellement différentes, mais d’une construction sociale des genres.
Fayol, un ingénieur français, a introduit l’idée, à l’échelle de l’organisation, d’une division par fonctions : comptabilité, production, administration, etc. Depuis, se sont aussi développées des tentatives de découper l’organisation et de la structurer par projets et par processus, transversalement aux fonctions.
Enfin, il faut évoquer aussi la division internationale du trayail, chaque pays se développant sur un ou des secteurs particuliers, le même produit pouvant être conçu, fabriqué, assemblé, vendu à des endroits différents de la planète. Les indiens sont par exemple très compétents en informatique, la Chine est souvent appelée « l’usine du monde ». Certaines matières premières sont disponibles dans certains pays et pas dans d’autres.
Le travail est découpé, divisé de multiples façons, avec un degré de finesse variable. Ces choix n’ont rien de naturel ou d’absolument nécessaire, ils résultent d’équilibres de pouvoir, de processus historiques, de constructions sociales. Ils posent à chaque fois la question de la coordination de ces tâches dispersées et ouvrent aussi sur l’idée qu’une organisation du travail peut évoluer, qu’un mode de division du travail peut être remis en cause. Les travailleurs et les managers ont souvent de la difficulté, quand ils sont dans le cadre de l’organisation, à imaginer que celle-ci puisse être différente. Le psychologue du travail et des organisations, lui, garde en tête que les marges de manoeuvres sont bien plus nombreuses pour diviser et coordonner le travail autrement.