Le travail comme marchandise
Au cours des XVIII1‘et XIXe siècles, le travail est isolé, détaché du reste des activités humaines, on le transforme en une marchandise comme une autre. Un objet, qu’on vend, qu’on loue, qu’on achète. On peut parler ainsi de « marchandisation » du travail.
En effet, sous l’ancien régime, le travail était essentiellement celui du paysan, du commerçant, de l’artisan. Dans l’artisanat, l’apprenti acquiert les règles du métier, les savoir-faire, les connaissances. Son objectif est de devenir un compagnon puis un maître. C’est-à-dire détenir son entreprise, posséder des outils, décider de ce qu’il fabrique et comment. C’est lui qui négocie avec les clients, c’est lui qui reçoit l’argent des clients. Tout est intégré, la propriété des moyens de production, les revenus, le choix, la liberté d’organiser le travail, etc. La marchandisation du travail c’est extraire de ce système la force de travail et la distinguer de la propriété et de la gestion des revenus issues de la vente des produits fabriqués. La loi Le Chapelier (1791) était faite pour supprimer les corporations de métiers qui avaient pris une place important dans la société. Il s’agissait à l’époque de faciliter la création d’un marché libre du travail. On observe ainsi une séparation entre le capital et le travail, ceux qui possèdent les outils de production, qui ont investi, ne sont pas les mêmes que ceux qui offrent leur force de travail.
Une autre caractéristique du XIXe siècle est la séparation entre la formation et l’emploi. Dans le système artisanal, l’apprenti devient compagnon puis maître, emploi et formation sont intégrés. Au XIXe siècle on commence à créer des écoles professionnelles, les individus vont aller apprendre certaines compétences à l’école et, ensuite, vendre ces compétences dans les entreprises.
Le problème, lorsque le travail salarié a été créé, c’est que les individus n’avaient pas l’habitude de vivre de cette manière et d’aller chaque jour à l’usine. Par exemple, pour les vendanges ou le ramassage du blé, ils quittaient l’usine, ce qui désorganisait l’activité des employeurs. De ce fait, le paternalisme avait bien aussi comme objectif de fixer les travailleurs, de faire en sorte qu’ils soient moins mobiles, qu’ils aient intérêt à rester dans l’entreprise. De même, l’acquisition de qualifications, de compétences, devient un investissement pour l’entreprise. Le salariat apparaît ainsi véritablement comme une forme nouvelle de travail. De nos jours, les salariés représentent la grande majorité des travailleurs.
En Angleterre, s’observent aussi des changements importants comme l’abandon du système du Speenhamland (1795 à 1834, cf. Polanyi, 1983). C’était une allocation de subsistance qui était fournie aux plus pauvres, leur permettant ainsi de vivre. Cependant, cette allocation a contribué à la transfor-
mill ion des mentalités en associant progressivement l’existence d’un individu .ni salarial. ( )n constate là aussi une valorisation du travail salarié. Mais la valo- n:.,il ion du travail signifie également la dévalorisation de celui qui ne travaille I>;i:; La pauvreté, qui était auparavant conçue comme une sorte de fatalité, devient signe d’oisiveté. Cette vision est toujours présente, les chômeurs sont encore suspectés d’être plus ou moins des «fainéants», voire même des « profiteurs » du système de protection sociale.
En fait, le chômeur n’existe que si le travail salarié existe. Dans un système de travail avec des artisans, des paysans, des commerçants, les individus ont toujours un travail, même si leurs revenus sont très variables. Par exemple, un psychologue qui exerce en libéral n’est pas salarié, il ne peut pas être chômeur s’il a moins d’activité. Les caisses d’allocation chômage accompagnent ainsi la création du salariat. Le chômage est présent lorsqu’un système l’organise, ce qui est très variable selon les pays, et pose d’ailleurs la question de la fiabilité des statistiques sur le chômage et l’emploi à l’échelle mondiale.
Chômage est un mot qui vient des termes kauma (en grec) et cauma (en latin) qui voulait dire grosse chaleur, calme, en relation avec le repos nécessaire pendant les fortes chaleurs, en particulier pour les animaux. Au XIIIe siècle, le sens évolue vers l’idée d’être inactif, de ne pas travailler . Au XVIIIe, le mot est connoté négativement, comme une faute, tout en ayant en même temps une signification de fête, c’est-à-dire que les jours chômés sont des jours de fête (1er mai).
Le terme emploi vient du latin implicare qui veut dire plier, tresser. Un peu comme le mot travail, il a gardé une connotation un peu négative au sens de contrainte. « Employer » quelqu’un c’est peut-être aussi « l’exploiter » (même racine étymologique).