Le Rire : Aspects psychanalytiques, Perspective génétique.: Rire en psychologie
E. Kris
- C’est dans son ouvrage Psychanalyse de l’artque l’on trouve une réflexion d’ordre métapsychologique et génétique assez élaborée sur le comique et le rire.
- Son discours assez riche s’inscrit dans le système conceptuel et théorique de Freud, développant alors certaines propositions énoncées dans le texte fondateur.
Ainsi, il relie le comique à l’enfance et au jeu social, celui-ci pouvant être envisagé comme un de ses précurseurs. Il y repère les manifestations du processus primaire et de la régression de même que la recherche d’un gain de plaisir, l’ensemble demeurant sous le contrôle « majestueux » du Moi.
Il adhère « traditionnellement » au principe d’économie d’une dépense psychique, une des sources du plaisir pris au mot d’esprit comme au comique ou à l’humour. Une autre origine de ce plaisir découle de la satisfaction symbolique des pulsions partielles, « perverses polymorphes », voyeuristes-scopiques et sadiques.
- Une des contributions majeures de Kris à l’intelligibilité du comique est d’en avoir proposé une perspective d’approche dynamique et génétique l’associant alors à d’anciens conflits du Moi qui opposent les revendications pulsionnelles du Ça aux interdits surmoïques et aux exigences de la réalité, engendrant ainsi une tension psychique que le Moi se doit de gérer et de négocier.
Aussi, le comique apparaît comme une solution résolutive, une « formation de compromis » bien singulière, institutionnalisée et valorisée (par l’individu et le groupe social), au service du Moi. Il s’agirait d’une technique ludique de défense et de maîtrise d’affects pénibles dont l’angoisse, engendrée par le conflit.
Le plaisir comique serait alors et aussi un plaisir de la maîtrise s’exprimant par le pattern moteur du rire. Mais cette origine conflictuelle colore d’ambivalence les phénomènes comiques pouvant induire du déplaisir comme du plaisir, selon l’état psychoaffectif de l’observa- teur-auditeur.
- Une autre réflexion de Kris porte sur la nécessité d’une distanciation par rapport au conflit et à l’affect de déplaisir pour concevoir la production comique qui doit être perçue comme une forme d’élaboration donc facteur de distanciation et de maîtrise d’affects pénibles.
- Il insiste sur la fonction du Moi comme contrôlant l’élaboration comique en ayant « volontairement » recours à la régression, au processus primaire, source de créativité et empruntant le modèle du jeu de l’enfant au service de la maîtrise d’affects pénibles et la résolution des conflits.
- Ses idées sur le rire, ouvrant de vastes perspectives de recherche, élucident sa polysémie psychique mais aussi culturelle, en particulier dans la mythologie et le rituel. Déni de l’angoisse avec triomphe du Moi, signal d’agression, de séduction féminine, il pourrait aussi figurer la déculpabilisation d’une agressivité sous-jacente donc la manifestation d’une réparation.
Il rappelle que si le rire est le propre de l’homme, c’est seulement ou surtout par l’étendue de sa polysémie ! Par ailleurs, le rire, processus moteur de décharge d’un montant d’énergie psychique et générateur de plaisir, celui-ci étant lié à la motricité, le plaisir de la motricité serait selon lui, un plaisir très archaïque.
Enfin, la caricature, s’inscrivant dans le comique des formes, est appréhendée comme une transcription graphique de l’esprit, employant la régression formelle (pensée image) et le processus primaire sous le contrôle du Moi et véhiculant des intentions hostiles. Il insiste sur la toute-puissance de l’image qu’il associe au pouvoir de l’effigie magique. Récapitulant son cheminement intellectuel, i1 écrit :
« Nous avons pris pour point de départ l’idée de Freud sur les conditions économiques et génétiques du comique. Nous avons jugé nécessaire d’indiquer un élément supplémentaire, à savoir que la plupart des phénomènes comiques semblent liés à des conflits antérieurs du Moi, qu’ils l’aident à renouveler sa victoire et ce faisant, à surmonter, une fois de plus, une peur à moitié assimilée. De cette particularité essentielle de l’expérience comique naît son caractère ambivalent, la facilité avec laquelle il passe d’un succès agréable à un échec désagréable… »
C’est l’apport fondamental de Kris de nous avoir suggéré de vastes perspectives de recherches métapsycholo- gique et génétique sur le comique et le rire.
R. Spitz
— Cet auteur nous plonge, par ses écrits, dans les conditions psychogénétiques du rire. Ses travaux permettent d’établir des relations entre les premiers rires (du nourrisson), son système moteur, une excitation psychique excédentaire, l’édification d’un Moi rudimentaire et sa cavité orale. Mais explicitons cela :
En tant que mimique faciale, expression affective, le rire peut être considéré comme une autre forme d’action dirigée, intentionnelle, spécifique, réalisée par le « Moi corporel », au service de la défense et de la maîtrise psychiques. Il répondrait à une excitation psychique plutôt de valence positive, induite par des stimuli externes (en premier lieu) présents au sein du dialogue ludique mère- enfant et se déchargeant par cette voie motrice facio-res- piratoire, conformément au principe de constance, ce qui
engendre une baisse de la tension donc une détente psy- cho-corporelle s’accompagnant d’un vécu de quiétude et de plaisir.
De plus, il est remarquable d’observer que le pattern moteur du rire concerne, au premier chef, la cavité orale, berceau de la perception et siège de l’incorporation, fonctions essentielles pour la survie de l’espèce dont l’importance est aussi d’ordre phylogénétique. Serait-ce fortuit ?
Nous ne le pensons pas, car comme il a été précisé au chapitre II, le rire s’inscrit aussi dans l’histoire naturelle des mimiques faciales, au sein de laquelle la cavité orale occupe une place prévalente.
Or dans le rire, l’ouverture de la cavité orale semble servir une double finalité, sur le plan psychique : l’incorporation, ou introjection signalée par la découverte des dents et l’expulsion indiquée par les vocalisations.
Cette cavité orale apparaît donc surdéterminée sur les plans phylogénétique et ontogénétique. De plus, un gain de plaisir complexe est obtenu par le rire, celui de la maîtrise psychique réussie du Moi et celui de la décharge au moyen de la motricité mais il exprime aussi le triomphe de la maîtrise du Moi.
« Le rire et probablement le sourire écrivent Spitz et Blatz, peuvent être considérés comme des mécanismes moteurs accompagnant la résolution de conflits qui ont tenu plus ou moins longtemps l’individu enfermé dans un dilemme. La nature de ces conflits est à la charnière du contrôle physique et d’autres réalisations du Moi… Le rire est un fonctionnement moteur réussi au service du Moi. »
Il s’agit donc là d’un certain type de rire lié à des conditions psychiques bien précises. Cependant, avec l’évolution de l’enfant, d’autres types de rires apparaîtront en relation avec la maîtrise d’autres situations psychiques excitantes.
Bonjour gaieté ; la genèse du rire et de la gaieté du jeune enfant
— La Quatorzième Journée scientifique du Centre de guidance infantile de l’institut de puériculture de Paris, tenue en mars 1986 sous la direction du Pr M. Soulé, se proposait de réfléchir sur le rire et la gaieté chez le jeune enfant, si peu étudiés jusqu’alors. Parmi les participants citons B. Cramer, D. Stern, L. Kreisler, F. P. Espasa, R. Puyuelo, B. Golse ainsi que l’organisateur M. Soulé.
Comme le titre l’indique, c’est la perspective génétique du rire et ses relations avec la gaieté qui seront envisagées. B. Golse considère que le rire et la gaieté entretiennent des rapports différents avec la notion de décalage : en effet, quand le rire est en décalage (quantitatif ou qualitatif) par rapport au stimulus qui l’induit, il entre dans le domaine de la pathologie, le plus souvent. En revanche, la gaieté ou l’humeur en général, se fonde précisément sur un décalage. « Etre de bonne humeur, écrit-il, c’est être inexplicablement plus gai que la réalité externe ne le suppose… La notion d’humeur implique la constitution d’une séparation entre le Soi et le Non-Soi et de ce fait, même si elle repose sur une aptitude innée, elle ne peut être congénitale.
En revanche, le rire et le sourire, au début tout au moins, collent davantage au stimulus-déclencheur et apparaissent d’ailleurs assez précocement, à une époque où la notion d’objet séparé est encore incomplète. Comme on le voit, le développement du rire, du sourire et de l’humeur s’intégrent à des titres divers dans la découverte progressive de la frontière entre le Soi et le Non-Soi et dans la genèse de la relation d’objet ».
Pour sa part, L. Kreislerassocie le rire à la gaieté et à la pulsion de maîtrise. Il relève que l’échec, la rupture de la maîtrise corporelle ou intellectuelle apparaît dans de multiples situations déclenchantes du rire. Par ailleurs, certains jeux ritualisés tels que « le coucou ou la petite bête » engendrent aussi l’éclosion du rire consécutif à une excitation psychique positive « débordante » se liquidant par la voie motrice spécifique du rire.
La maîtrise psychique est « heureusement » retrouvée. « Le rire, écrit-il, est l’éclat orgastique de la gaieté à l’acmé de son débordement. Aux sources d’excitation libidinale qui provoquent le rire, à la peur vite surmontée, s’ajoute l’intense soulagement de la maîtrise retrouvée. »
Le rire apparaît alors comme un instrument moteur, facio-vocal, au service de la maîtrise d’une excitation psychique, débordante et possiblement positive, s’inscrivant dans le système pare-excitation du Moi. Son exécution exprime et procure un plaisir devenant complexe, celui de la maîtrise psychique retrouvée soudainement, mais aussi celui de l’excitation préliminaire et enfin, le plaisir de la fonction motrice proprement dite.
Pour R. Puyuelo , l’acte de rire témoignerait d’une régression dans l’économie psychique du sujet. Il aurait pour fonction « d’empêcher l’irruption de la pensée inconsciente, réprouvée, tout en témoignant de sa présence ». Par ailleurs, il évoque son expression de vitalité, indicateur de bonne santé et, enfin, son pouvoir de lien social par sa contagiosité en particulier.
Le rire se situe bien du côté de la vie et du lien social, pour le rieur toutefois. Cependant, il dispose aussi d’un pouvoir destructeur sur autrui ; il subvertit et exclut. C’est alors qu’il s’inscrirait dans une dialectique permanente de vie et de mort, de liaison et de déliaison sociale.
Enfin, abordons la si plaisante intervention de M. Soulé s’intitulant « Caca boudin ou la coprolalie ordinaire : la joie assurée ! » M. Soulé observe dans ce premier jeu de mots de l’enfant, alors âgé de trois à cinq ans, et déclenchant automatiquement son rire, certaines caractéristiques du comique verbal, d’ordre phénoménologique, fonctionnel et psychodynamique.
Relevons le phénomène de condensation d’affects et de représentations, expression du processus primaire ayant déjoué la censure et pénétré le processus secondaire préconscient.
Il témoigne du principe fondamental d’économie. Dans Caca-Boudin, l’analité côtoie l’oralité dans une « tranquille et surprenante » proximité de même que s’associe la représentation phallique (pénis noir ou blanc). Par ailleurs, il associerait deux formes de sadisme, celui de la phase sadique anale et celui de la phase orale (can- nibalique).
« La locution Caca-Boudin, écrit M. Soulé, recèle donc une valeur incantatoire qui permet de conjurer les angoisses que suscitent ces deux sadismes conjoints. » Nous retrouvons avec ce jeu de mots, une des fonctions essentielles du comique verbal, en particulier, celle de maîtrise psychique d’affect pénible, par une technique ludique évoquant tout de même certains éléments de la défense maniaque :
(Transformation de la passivité en activité et celle d’un affect pénible en affect positif transformation en son contraire.) On retrouve les thèses de Kris.
Mais Caca boudin procure un plaisir « complexe » :
— celui de la maîtrise d’affects pénibles (angoisse archaïque attaché à Fanalité en particulier) avec plaisir concommitant ;
— celui de la maîtrise de la manipulation des mots ayant une valeur fortement représentative ;
— celui de la transgression « surmoïque » ;
— celui de l’érotisme conféré par le langage obscène, riche en affects et représentations.