Le respect des valeurs : L'honnèteté
Selon Kant, la politesse « cela ne se fait pas » est antérieure à la morale « cela ne doit pas se faire »l Ce qui revient à dire que les consignes basiques d’une éducation qui commence dès la petite enfance sont le socle sur lequel s’ancre la morale. Mais notre comportement est bien souvent schizophrène : tel être exquis en famille sera un rustre parfait avec des étrangers ; tel chef d’équipe respectueux de ses employés sera un tyran domestique ; un ami délicat et plein d’attentions fera un patron exécrable… Le poids symbolique qu’on attache aux êtres et aux situations dicte la plupart de nos attitudes. Or ces valeurs connaissent un bouleversement correspondant à celui de la technologie et si l’on peut aisément gérer les conséquences d’une évolution technique, les évolutions sociologiques, elles, sont insidieuses et infiniment plus complexes.
L’entreprise est un corps social mal défini qui n’obéit réellement à aucune règle de comportement individuel. Aujourd’hui extrêmement composite, ce corps social professionnel est constitué d’une part, des héritiers de ces messieurs les « ronds de cuirs » chers à la fin du XIXe qui persistent et signent, indifférents aux ordinateurs qui côtoient leurs encriers et d’autre part, d’une nouvelle génération qui baigne dans une culture d’entreprise sans limites territoriales, sans contraintes techniques et pour qui les ressources humaines se gèrent comme le reste, à l’arraché.
L’honnêteté
L’honnêteté est le commandement de base dans la hiérarchie des valeurs. Ses contours sont devenus très élastiques malgré le grand retour de l’éthique. La « gratte » dans l’entreprise est devenue monnaie courante, on « emprunte » extrêmement facilement. On « trouve » encore plus aisément (vous ferez beaucoup rire en demandant où sont les « objets perdus » lorsque vous ramasserez quelque chose dans la rue, fût-ce devant l’immeuble de votre bureau). La « fauche » est devenue un sport national. Le vocabulaire lui-même est complice puisqu’il fournit pour tous ces actes une multitude de sympathiques euphémismes. Si vous les remplacez par le mot vol » ceux que vous prenez à témoin haussent les épaules, signifiant par-là que vous exagérez et que vous faites preuve d’un moralisme excessif, l’incivilité n’est déjà plus condamnable sévèrement. Le rusé et le débrouillard suscitent la sympathie et l’admiration tandis que le consciencieux fait figure d’imbécile.
L’honneur
L’honneur, on n’en entend plus beaucoup parler, en tout cas dans le monde de l’entreprise. La fluidité des masses salariées a banalisé le licenciement. Pour nos parents, « être renvoyé » constituait l’affront suprême, le désaveu absolu. En 2004, vous avez statistiquement toutes les chances de l’être une ou deux fois dans votre vie professionnelle ; tant et si bien que la honte d’hier est presque une gloire aujourd’hui. Être « viré » se revendique haut et fort comme une manifestation de sa forte personnalité, de l’audace dont on a fait preuve en ayant occupé un poste à risques, d’une aptitude à être dans le mouvement, au sens dynamique du terme (nous excluons bien sûr de cette remarque ceux qui sont licenciés et victimes des contraintes d’une situation économique). La fierté, la solidité de l’emploi, la fidélité à l’entreprise sont des valeurs éteintes tout simplement parce qu’on ne sait pas très bien par quoi les remplacer. Le savoir-vivre nous met sur le bon chemin.