Dépensiers, flambeurs, dilapidateurs: profil psychologique des dépensiers compulsifs
L’acte d’acheter est associé au plaisir et au pouvoir. Il a une valeur de compensation. Ne vous est-il jamais arrivé de succomber au désir d’un achat déraisonnable ou superflu pour calmer un vague à l’âme, combler un manque d’affection ? Si, bien sûr. Nous connaissons tous cette envie de dépenser aiguisée par la publicité et la surabondance des grandes surfaces et des commerces en tous genres. Après, c’est souvent le même rituel, on regrette, on se dit que l’on n’aurait pas dû, qu’il serait plus sage de rapporter au plus vite l’objet du délit au magasin.
Ce que je vous décris vous arrive une ou deux fois par an. Les dépensiers le vivent au quotidien, pendant des mois, des années. Ils en souffrent, ils ont conscience de leur dysfonctionnement vis-à-vis de l’argent, mais ils ne parviennent pas à se maîtriser. Ils sont mus par une force irrésistible qui les pousse vers la dépense, les obligeant à oublier, à faire fi de toute contingence. C’est pourquoi certains psychiatres n’hésitent pas à les considérer comme des drogués. Au XIXe siècle, la psychiatrie les désignait sous le nom de « oniomanes », sorte de toxicomanes de la dépense, qu’elle traitait comme des malades.
L’achat compulsif
On parle d’achats compulsifs pour dénommer cette frénésie de dépenses. Le sujet est dans un premier temps envahi par la pensée d’acheter. Il est obsédé par l’idée persistante d’acquérir tel ou tel objet le plus rapidement possible. Son activité est gênée, son fonctionnement social peut en être entravé. Concentré sur l’idée de la dépense, il a hâte de se désengager de ses obligations du moment pour assouvir son besoin. L’envie devient irrépressible. Elle survient à tout moment et ne laisse aucun répit jusqu’à l’achat. Le dépensier abandonne tout ou bâcle les affaires en cours pour se précipiter vers les magasins. Au travail, il guette la pendule et attend fébrilement l’heure de la libération. Il est gouverné par une force qui le pousse, malgré les menaces des conséquences négatives que son geste peut entraîner.
L’achat concerne la plupart du temps des objets inutiles et potentiellement coûteux. L’objet acquis avec frénésie est ensuite jeté dans un coin ou donné. Il ne représente plus aucune valeur aux yeux de son acquéreur. L’argent a néanmoins été dépensé, souvent en quantité. Le dépensier compulsif ne connaît que déboire financier sur déboire financier.
Il ne s’agit pas ici d’un coup de tête isolé, d’une folie passagère. L’achat compulsif se répète. Si la tension psychique engendrée par les pensées obsédantes s’apaise une fois l’acte d’acheter réalisé, elle ne tarde pas à se renouveler. Malgré de grandes similitudes, les dépensiers compulsifs ne sont pas atteints des troubles obsessionnels décrits au chapitre précédent sur les radins et avares. Certes, une forte tension interne les pousse à la dépense, comme l’obsessionnel à réaliser ses rituels. Mais on ne retrouve pas chez la majorité des acheteurs excessifs de traits de personnalité obsessionnelle. Ils se comportent davantage comme des toxicomanes.
On comprend que l’acheteur compulsif est un être en souffrance. Il est rarement heureux, toujours insatisfait. Sa souffrance est d’autant plus intense qu’elle est double, psychologique et sociale. Soumis à ses compulsions, il a l’illusion en dépensant de se soulager, mais les difficultés financières engendrées le font retomber dans le marasme et la culpabilité que son entourage ne manque pas d’attiser.
Une perte de contrôle
Les victimes de cette forme de dépendance à l’argent décrivent toutes le sentiment de frénésie qui les étreint au moment de l’achat. C’est une véritable ivresse qui les pousse à dépenser des sommes importantes en une ou plusieurs fois.
Cette griserie peut les mener à la ruine et au cumul d’emprunts. Après les banques, la famille, ils n’hésitent pas à « taper » les amis. Demain, il sera toujours temps de trouver le moyen de rembourser.
Une prise de conscience difficile
Les dépensiers compulsifs ont conscience de leur trouble, mais ils ne le reconnaissent pas devant les autres. Ils minimisent et usent du mensonge. Ils mentent aux autres et à eux- mêmes. Les pertes d’argent s’accumulent et, par peur de la réaction des proches, ils cachent leurs fautes, dissimulent leurs excès. Ils redoutent moins les reproches que les interventions visant à les empêcher de se livrer à leur activité favorite. Seules les réactions de l’entourage en cas de catastrophe financière sont susceptibles de les faire réagir. Malheureusement, bien tardivement. Il est d’autant plus difficile pour les proches de comprendre l’ampleur des dégâts que l’acheteur se livre à un plaisir solitaire. Il s’arrange pour ne pas être accompagné, il sait que son excitation ne se partage pas. Il connaît trop le sentiment de honte qui l’envahit une fois son forfait commis.
La dépendance entretient un mécanisme de dissonance. Le sujet sait qu’il prend des risques, mais les conséquences négatives sont pour les autres. Il sera épargné. Ce phénomène est bien connu chez les tabagiques. Le tabac est un danger pour la santé, le fumeur occulte cette vérité, persuadé que la maladie ne l’atteindra pas. Ce processus en psychologie s’appelle l’annulation. Il correspond à un mécanisme de défense contre l’anxiété que nous utilisons tous. Conscients de la réalité d’un risque, nous nous conduisons comme s’il n’existait pas. Nous le reléguons au fin fond de notre psychisme afin de nous sentir moins menacés. C’est illusoire, peu efficace dans la durée. Dans le cas des acheteurs compulsifs, les dettes s’accumulent vite et la faillite ne peut passer inaperçue bien longtemps. Les dépensiers, qui ne reconnaissent à aucun moment l’existence du problème, présentent des perturbations graves de la personnalité. Ils opèrent dans ce que l’on dénomme en psychologie le déni, véritable rejet de la réalité. Les comportements dilapidateurs accompagnent dans ce cas une pathologie mentale d’ordre psychotique ou schizophrénique.
C’est pourquoi il est nécessaire de rester vigilant lorsqu’un proche ou un ami vous semble être trop dépensier. Agir vite, prévenir, c’est guérir. Il faut lui parler des risques et l’amener à les mentaliser. Accepter de voir en face le danger encouru motive chez certains dépendants l’arrêt de la consommation. La prise en charge du dépensier compulsif passe, comme avec l’alcoolique ou le drogué, par le traitement de la dissonance avec une réelle prise de conscience des conséquences néfastes de son addiction.