Souffrances psychologie du travail
Historique et approches
Selon Billiard (2001), on peut repérer dans l’histoire de la « psychopathologie » du travail, c’est-à-dire de l’affirmation d’un rôle pathogène du travail sur le psychisme des individus, les périodes clés suivantes :
Édouard Toulouse, psychiatre, crée en 1920 la « Ligue d’hygiène mentale » qui commence à se préoccuper des situations sociales qui pourraient favoriser l’émergence de pathologies mentales afin d’essayer d’intervenir en amont sur ces situations.
Pendant la seconde guerre mondiale, on place certains malades mentaux à des postes de travail, ce qui semble au moins stabiliser leur état et leur donne des repères (horaires, activités, etc.)- On découvre ainsi que l’activité de travail peut avoir un rôle thérapeutique (ergothérapie).
En 1952, Paul Sivadon publie un article intitulé : « Psycho-pathologie du travail ». Avec Claude Veil, il conçoit la maladie comme le résultat d’une dysharmonie entre l’individu et son travail. Beaucoup de psychiatres se sont intéressés au lien entre le travail et les pathologies mentales. Paul Sivadon parlait donc de la possibilité d’une pathologie du travail. On commence ainsi à se poser la question de la « sociogenèse » des maladies mentales, en plus des classiques organo- genèse et psychogenèse de ces maladies.
En 1952 et 1954, des articles de Louis Le Guillant font le lien entre « aliénation mentale » et « aliénation sociale ». En 1956, Le Guillant propose ce qu’il appelle la « névrose des téléphonistes ». Dans cet article, il constate que les téléphonistes (qui branchaient les fils permettant à deux personnes de communiquer par le téléphone) ont des automatismes, des « tics » liés à ce travail répétitif. L’idée est alors que le travail peut entraîner des symptômes de type névrotique, sur le modèle du conditionnement classique. La condition des « bonnes à tout faire » interroge également : leurs employeurs ont souvent tendance à leur dénier toute humanité en les considérant comme des objets ou en ayant des conversations intimes devant elles, comme si elles n’existaient pas, par exemple. Le « crime des sœurs Papin » illustre à l’extrême les effets déstructurant sur le psychisme de l’aliénation sociale qu’elles ont vécue.
Les années 1960 et 1970 voient se développer une domination importante dans les modes de pensée de la psychanalyse et du structuralisme, ce qui correspond à une période « creuse » pour la psychopathologie du travail, liée aussi aux difficultés posées par la volonté d’établir une relation étroite, linéaire entre telle situation de travail et telle pathologie mentale.
– C’est à partir des années 1980 que le programme de réflexion sur les liens entre les situations de travail et la souffrance psychique va être refondé autour de l’idée d’une « psychodynamique du travail » (par Christophe Dejours, cf. ci-dessous.)
Si l’on s’en tient aux différentes approches en termes de « psychopathologie du travail », on peut distinguer plusieurs points de vue :
– Un certain nombre de troubles psychiques sont liés au fait de travailler dans une ambiance toxique : le plomb, les oxydes de carbone, certains solvants chlorés, etc. peuvent, par exemple, générer des bouffées délirantes et des syndromes confusionnels
– D’autres troubles sont liés au travail répétitif : la « névrose des téléphonistes », les « crises de nerfs » sur les chaînes de montage, ce à quoi il faut ajouter que le travail répétitif sous contraintes (délais, surveillance, enjeux, etc.) favorise également des atteintes physiques (troubles musculo-squelettiques).
– Les approches épidémiologiques tendent à introduire l’idée que certaines situations de travail affaiblissent les défenses psychiques et peuvent conduire à des décompensations vers des pathologies variables selon les structures psychologiques des personnes. La difficulté est cependant d’isoler le lien entre les situations de travail et les décompensations psychiques. Quand on analyse des cas individuels, le lien semble clair mais il est très difficile d’établir des statistiques fiables, ainsi que le montre l’absence de données valides sur les suicides liés au travail. La complexité des facteurs (situation de travail, facteurs extraprofessionnels, structure de personnalité) permet toutes les interprétations. Les personnes ne réagissent pas toutes de la même façon à une même situation de travail. On peut également difficilement isoler la cause et la conséquence quand un travailleur dépressif a également des difficultés dans son couple, par exemple.
– Les approches basées sur l’idée d’agression psychique du travail correspondent au courant travaillant sur le stress professionnel .Il s’agit d’isoler les facteurs explicatifs généraux des situations de travail (contraintes de temps, responsabilités, violences, etc.) favorisant des réactions psychologiques pathologiques.