Les modèles du stress au travail : L’individu face au stress
Le concept du stress existe depuis plusieurs siècles mais ce n’est qu’à partir de la seconde moitié du vingtième siècle qu’il a été considéré comme un sujet de recherche en psychologie.
Selon de nombreux auteurs (Lazarus & Follkman, 1984; Winnubst ,1984), l’essor du stress en psychologie est lié principalement aux travaux de trois scientifiques Cannon en 1932, Selye en 1936 et Wolff en 1953.
Cannon (1932), très intéressé par la physiologie des émotions, considérait le stress comme une perturbation de l’homéostasie chez l’individu soumis à des conditions difficiles.
En 1956, Selye parle du stress d’une manière assez technique dans le sens d’un ensemble orchestré de défenses du corps contre toute forme de stimulus nocif, une réaction qu’il a appelée le « Syndrome Général d’Adaptation » (SGA).
Le stress n’était pas donc une demande environnementale (qu’il appelait d’ailleurs un « stresseur »), mais plutôt un ensemble physiologique universel de réactions et de processus créés par cette demande.
Wolff (1953) mérite aussi d’être mentionné dans la mesure où il a été, avec Selye, le précurseur des définitions actuelles du stress tout en insistant sur le caractère dynamique de l’état de stress.
Dès 1966, Lazarus dépasse ces définitions tout en insistant sur la relation entre l’individu et son environnement.
Appliqué au milieu de travail, le stress est défini comme «toute caractéristique de l’environnement de travail qui constitue une menace pour l’individu».
Devant la diversité étonnante des définitions du stress citées dans la littérature et dans un souci d’éviter toute ambiguïté, il est important d’adopter une définition précise du stress au travail.
Sur la base de la littérature décrite ci-dessus, nous avons choisi de baser la nôtre sur le concept de contrôle de l’activité de travail. De plus, nous concevons le stress comme un processus évoluant dans le temps et non plus comme un phénomène statique.
Nous envisageons le stress psychologique dans la sphère du travail comme une «réponse du travailleur devant des exigences de la situation pour lesquelles il doute de disposer des ressources nécessaires, et auxquelles il estime devoir faire face.».
Certains auteurs ont énuméré des listes de conditions de travail susceptibles d’entraîner du stress chez les travailleurs (la surcharge de travail, l’insécurité de l’emploi, ou le conflit de rôle), listes uniquement basées sur des données empiriques, sans référence à un modèle conceptuel. D’autres chercheurs ont, par contre, utilisé un cadre conceptuel théorique précis pour développer leurs modèles sur la base des éléments qu’ils considèrent fondamentaux dans l’étiologie du stress.
De manière générale, il faut retenir que trois modèles ont dominé la communauté scientifique au cours des vingt dernières années le modèle d’adéquation entre l’individu et l’environnement, appelé communément dans la littérature anglophone le « P-E fit model», le modèle de l’astreinte professionnelle appelé « JD-C model » de Karasek et le modèle transactionnel.
Les modèles du stress au travail
Le modèle «P-E-FIT»
Le modèle «P-E-FIT» (Person- Environment Fit) signifie le modèle de l’ajustement entre la personne et son environnement. La base de cette théorie est que le degré d’adéquation entre l’individu et son milieu de travail détermine le degré de stress ou de tension vécue.
Deux types d’adéquation sont considérés
-celle entre les résultats obtenus dans la situation de travail et les besoins, les intentions de l’individu.
-celle entre les demandes et exigences de la situation de travail et les aptitudes et compétences du travailleur.
L’originalité de ce modèle est d’envisager les diverses interactions possibles entre le pattern comportemental de type A et B et ce que French et Harrison appelaient un environnement de type A et B.
Cette approche reconnaît trois niveaux d’influence l’environnement (les agents stresseurs), l’individu et le contexte. Selon cette optique le milieu de type A est un environnement contrôlable, à allure rapide présentant des défis importants et encourageant l’autonomie.
A l’opposé l’environnement de travail de type B est un milieu routinier, à allure modérée présentant des défis peu importants et encourageant peu l’autonomie.
Ce modèle postule que si les exigences de la situation de travail de type A ou B (s’accordent de manière optimale au pattern comportemental de type A ou B de l’individu, il en résultera une adéquation (une congruence) entre l’individu et son milieu de travail, l’absence d’adéquation serait à l’origine des symptômes de stress.
L’utilité de la théorie se limite à spécifier comment des situations de travail deviennent source de stress .En ignorant le rôle fondamental des contraintes environnementales, le modèle ne peut pas mettre en évidence les conditions de travail qui provoquent du stress. Ce modèle peut seulement montrer que les perceptions de l’individu agissent en tant que «médiateur» dans la relation entre les stresseurs de l’environnement de travail et le stress. Il ne teste pas quelles caractéristiques spécifiques de l’activité de travail provoquent du stress. Ce modèle est aussi critiqué car il évalue prioritairement le stress en termes de besoins, valeurs et aptitudes individuelles et conçoit le stress au travail comme une fonction de l’individu plutôt que de l’environnement de travail.
Le modèle JD-C
Le modèle de Karasek (Job strain model ou modèle de l’astreinte professionnelle) a été proposé au début des années 1980. L’intérêt de ce modèle est de donner une explication du stress au travail en croisant deux types de facteurs de stress:
– La demande psychologique associée aux contraintes liées à l’exécution de la tâche.
Les aspects du travail qui occasionnent une augmentation de la demande psychologique sont
•une quantité excessive de travail
•un travail mental élevé
•une concentration intense pendant de longues périodes
•des demandes contradictoires
•une tâche souvent interrompue
•un travail très mouvementé
•le manque de temps pour effectuer le travail
•un travail très rapide
•le travail souvent ralenti, en attente des autres.
-La latitude décisionnelle qui rassemble à la fois les compétences et les marges de manœuvre.
Les aspects du travail qui favorisent l’autonomie décisionnelle concernent la possibilité de
•prendre des décisions de façon autonome
•décider comment faire son travail
•avoir de l’influence au travail.
Les aspects du travail qui favorisent l’utilisation des compétences comprennent la possibilité de
•développer ses habiletés
•apprendre des choses nouvelles
•utiliser un niveau élevé de qualifications;
•faire un travail varié;
•utiliser sa créativité;
•faire plusieurs choses différentes.
Le croisement de ces deux facteurs permet de définir quatre types de situation de travail telles que rapportées par le tableau n°1
Selon ce modèle, une tension mentale et physiologique au travail survient lorsqu’une demande psychologique élevée s’accompagne d’une faible latitude décisionnelle. De nombreuses études empiriques ont appuyé l’effet de ces contraintes sur la santé physique (maladies cardio-vasculaires) et mentale (dépression et épuisement professionnel).
Johnson a complété le modèle de Karasek en y intégrant la question des relations humaines dans l’entreprise. Une troisième composante a donc été ajoutée au modèle pour tenir compte du soutien social des collègues de travail et des supérieurs qui modifierait l’association entre la tension au travail et la survenue de problèmes de santé en agissant comme antidote ou facteur de protection.
Utilisé avec succès dans de nombreux pays et largement diffusé dans la communauté scientifique, ce modèle est devenu une référence incontournable pour les intervenants en santé mentale au travail.
Il semble donc utile d’identifier des facteurs mieux définis et spécifiques de l’activité de travail de manière à pouvoir envisager des stratégies de prévention du stress. Baker conclut que le succès des recherches sur le stress au travail va dépendre de la capacité des chercheurs à démontrer que le stress n’est pas une expérience émotionnelle nébuleuse de l’individu, mais plutôt un phénomène multifactoriel déterminé par l’environnement, ce qui entraine des conséquences négatives au niveau de la santé.
Le modèle transactionnel
Devant les limites des recherches traditionnelles sur le stress qui ont été largement basés sur les modèles «antécédent-conséquence» ou «stimulus-réponse», il revient à Lazarus et Folkman (1984) d’avoir parlé pour la première fois du modèle transactionnel).
Selon Lazarus et Folkman, l’évaluation de la situation se fait par étapes; avant de répondre de manière impulsive, il est évident que le sujet, soumis aux exigences de son environnement, procède d’abord à une évaluation de la situation, de ses ressources cognitives, émotionnelles et comportementales. En fonction des résultats de cette évaluation, l’individu adoptera une stratégie adaptative qui lui convient. Lazarus et Folkman (1984) ont identifié trois sortes d’évaluation cognitive
• Evaluation primaire où l’individu se pose la question suivante «Suis-je en danger?». Ainsi, il s’agit d’un premier jugement qui permet de déterminer si l’influence de la situation de confrontation sur le bien-être de la personne est hors propos, bénigne, voire positive ou stressante.
• Evaluation secondaire qui permet de déterminer les solutions possibles. Il s’agit d’un processus d’évaluation complexe qui prend en considération toutes les options de «coping» disponibles, la probabilité qu’une option de «coping» donnée entraînera ou non les résultats escomptés. En ce sens, la démarche d’évaluation de la situation se rapproche de celle utilisée lors de la résolution de problèmes.
Les évaluations primaire et secondaire interagissent entre elles pour déterminer le degré de stress.
• La réévaluation concerne un changement dans l’évaluation initiale basé sur l’apport d’information nouvelle de l’environnement ou de la personne elle-même. Parfois, cette réévaluation résulte d’un effort d’adaptation, elle prend alors le nom de «réévaluation défensive».
Une fois que le sujet a terminé son évaluation de la situation de confrontation, il sera temps de choisir une des stratégies d’adaptation. Les stratégies adaptatives possèdent deux fonctions principales maîtriser ou modifier le problème qui entraîne du stress dans l’environnement (stratégie d’adaptation focalisée sur le problème) ou, réguler la réponse émotionnelle au problème (stratégie d’adaptation focalisée sur l’émotion), ces deux stratégies s’influencent mutuellement lors d’une situation de confrontation donnée.
Des facteurs individuels et d’autres liés à la spécificité de la situation vont avoir une influence considérable sur l’évaluation de la situation et sur les stratégies d’adaptation utilisées.
D’une part, au niveau des facteurs individuels, on peut, notamment, citer l’engagement et les croyances qui traduisent ce qui est important pour les individus et déterminent comment ils évaluent ce qui se passe et ce qui est sur le point de se produire.
D’autre part, certaines propriétés formelles de la situation de travail peuvent aussi influencer le processus d’évaluation. Il s’agit, par exemple, du caractère nouveau de l’événement, son ambiguïté ou son incertitude.
Les facteurs temporels doivent aussi être pris en compte l’imminence, la durée de la situation de confrontation. La plupart des recherches sur la durée ont été influencées par le concept du «General adaptation syndrome» de Selye (1956), incluant une réaction à une alarme, une phase de résistance et une phase d’épuisement.On peut aussi considérer l’aspect répétitif d’une situation de confrontation dans le temps, pouvant entraîner notamment des stratégies d’adaptation anticipées.