les éléments du fonctionnement psychique:La position dépressive
On ne peut guère parler du deuil en tant que perte d’objet, sans évoquer la position dépressive, notion conceptualisée par Mélanie Klein en 1934. La position dépressive n’est pas issue de l’étude du deuil. Elle provient des travaux de Klein sur le monde fantasmatique et la relation à l’objet des jeunes enfants. Winnicott préféra le terme de « stade de l’inquiétude ». C’est une étape normale du développement de l’enfant et notre capacité à faire un deuil en dépend en partie.
Selon la théorie kleinienne, le deuil serait la répétition de ce que le bébé éprouve durant la position dépressive. Dans un premier temps, il perçoit sa mère comme un objet partiel, clivé en deux : d’un côté, la bonne mère (ou le bon sein qui donne) et de l’autre, la mauvaise (le mauvais sein qui frustre). Il introjecte ces deux objets en lui (objets internes) ce qui le rassure en l’absence de l’objet externe (bon objet) et le met en danger (mauvais objet). L’angoisse ressentie est de nature persécutive. Il projette aussi des pulsions libidinales et agressives sur l’objet externe. C’est par ce mécanisme de clivage d’objet que l’enfant négocie l’ensemble de ce qu’il ressent. Ceci est la position schizo- paranoïde (quatre premiers mois de la vie).
Puis la mère est perçue comme un objet total pulsionnel et introjecté (il existe une représentation de l’objet en son absence) entre cinq mois et un an. Les aspects bons et mauvais ne sont plus répartis entre des objets séparés par le clivage. Ils sont rapportés en un seul et même objet.
Par ailleurs, les pulsions libidinales et agressives s’unissent, donnant naissance à l’ambivalence pulsionnelle (amour et haine). Amour et haine ne sont plus clairement séparés. Ainsi, l’objet des pulsions devient un seul objet et les attaques risquent de le faire disparaître. L’angoisse se change donc en une angoisse non plus persécutive, mais de perte d’objet. Le bébé a peur des conséquences de ses pulsions sadiques qui risquent de le lui faire perdre. Winnicott nous explique « Le petit enfant ne peut accepter le fait que cette mère, si appréciée dans les phases de calme, est la même personne qui a été attaquée impitoyablement dans les phases d’excitation. L’enfant est capable de s’identifier à la mère, mais il ne fait pas encore la différence entre ce qui réside dans l’intention et ce qui se passe dans la réalité. »
Ceci va engendrer des sentiments de culpabilité et un besoin de réparer l’objet (par exemple, le don dans le jeu). La réalité extérieure devient essentielle car elle rassure l’enfant sur le fait que son monde interne n’a pas détruit ou fait disparaître l’objet externe. La continuité des soins permet de renforcer le bon objet interne. Le sentiment de sécurité interne se renforce avec la présence du bon objet introjecté. Ainsi, pour atteindre la position dépressive (deuxième partie de la première année), l’enfant doit d’abord se percevoir comme un être total et distinct de l’autre perçu également comme totalité. C’est un préalable à la position dépressive.
Dans De la pédiatrie à la psychanalyse, Winnicott nous dit « Au cours des analyses que nous faisons nous pouvons atteindre le sentiment de culpabilité dans ses rapports avec les pulsions d’agressivité et de destruction et c’est seulement lorsque le malade est capable de comprendre ce sentiment de le supporter et de l’assumer qu’on voit apparaître un besoin de réparation. »
En effet, face à cette angoisse de perdre l’objet, le jeune enfant a besoin de le « réparer ». Segal explique ainsi ce processus psychique de réparation : « Quand le nourrisson entre dans la position dépressive et se voit confronté avec le sentiment d’avoir, par sa toute-puissance, détruit sa mère, sa culpabilité et son désespoir de l’avoir perdue éveillent en lui le désir de la restaurer et de la recréer afin de la récupérer aussi bien extérieurement qu’intérieurement. » Ainsi naît le désir de réparer l’objet. Par le jeu, l’enfant se rassure du don qu’il peut faire à la mère. Il lui tend des jouets et elle les reçoit. C’est une partie importante du jeu pour atténuer son angoisse de détruire l’objet aimé.
L’enfant dépasse plus ou moins bien la position dépressive. Son inquiétude diminue par la présence du bon objet intériorisé, construit par la continuité de soins suffisamment bons. La façon dont l’équilibre se fait entre les pulsions libidinales et agressives est un facteur important. De plus, l’objet externe (la mère) ne doit pas favoriser les angoisses persécutrices au risque que l’enfant reste dans la phase schizo-paranoïde.
En résumé, la position dépressive est caractérisée par l’introjection de l’objet aimé suffisamment bon perçu comme total. Elle fait suite à la prise en compte croissante de la réalité extérieure, qui rassure l’enfant. Venons-en maintenant au lien avec le deuil en tant que réaction à la perte. Lorsque la position dépressive est établie chez le sujet, cela lui permet d’introjecter les bons souvenirs de l’objet aimé et de continuer à vivre sans le soutien de l’environnement. La haine activée par la perte de l’objet est nuancée par sa liaison au bon objet interne introjecté. Lorsque la position dépressive n’a pas été élaborée, Winnicott expose ainsi le processus de dépression qui s’installe suite à la perte d’un être cher : « Le deuil signifie que l’objet perdu a été introjecté sur le mode
magique, et (comme Freud l’a démontré) il est alors soumis à la haine. Je suppose que nous voulons dire par là qu’il est admis au contact des éléments persécuteurs internes. Incidemment l’équilibre des forces en est bouleversé : les éléments persécuteurs sont renforcés et les forces bénéfiques ou de soutien sont affaiblies. Il se crée une situation de danger et le mécanisme défensif qui amortit tout produit un état de dépression. »
Avoir dépassé la position dépressive signifie que l’ambivalence pulsionnelle est assumée et que l’agressivité a diminué. Grâce à la prise en compte de la réalité extérieure et à la confiance en ses objets internes, le sujet devient capable de distinguer la frustration imposée de l’extérieur de ses dangers internes fantasmatiques. De plus, un travail de liaison se fait entre la frustration causée par la réalité externe et la haine ressentie. Par conséquent, le fantasme d’omnipotence (toute puissance) diminue, ce qui rassure l’enfant.
Dans le deuil, les sentiments ambivalents sont réactivés comme dans la position dépressive. La présence d’un bon objet interne total permet de protéger le Moi contre la haine activée par la perte. Le désinvestissement de l’objet interne perdu s’effectue pour sauver le Moi. Le deuil pathologique ferait suite à un défaut d’introjection et à un Moi attaqué par l’ambivalence pulsionnelle.