Les cultures organisationnelles du travail
Introduction et définition
La notion de « culture » fait partie de ces mots, comme la notion « d’intérêt », dont l’usage traverse les sciences humaines en se chargeant d’une multiplicité de significations telle qu’ils en arrivent à perdre leur pouvoir explicatif. Néanmoins, les spécialistes du travail et des organisations ont eu besoin de décrire certains comportements qui ne relèvent pas d’autres logiques (pouvoir, économie) et qui se rapprochent de ceux observables dans toutes les communautés humaines : construction de règles et normes sociales, productions de discours parfois mythiques, représentations partagées, références à des valeurs communes, etc.
La psychologie sociale a largement démontré le fait que n’importe quel groupe humain, même constitué de manière aléatoire, fabrique spontanément des normes de comportement, différencie des statuts, et contraint les individus qui l’intègrent à adopter les mêmes normes. Que les groupes soient des groupes de travail n’empêche évidemment pas ces processus de normalisation de se produire. De même, l’identité d’une personne se constitue en rapport avec les groupes auxquels elle appartient ou souhaite appartenir. Le travail, les organisations sont autant de support à la construction de cette identité sociale.
Analyser les organisations comme des milieux produisant de la « culture » est donc pertinent pour comprendre les comportements et stratégies individuelles, les fonctionnements collectifs, les processus de changement social dont les organisations sont composées.
Les entreprises n’ont pas toujours été regardées sous cet angle. On peut situer le début de cet intérêt pour les cultures organisationnellfes aux années 1980. Plusieurs facteurs peuvent être évoqués :
– Les années 1980 correspondent à une période où beaucoup d’entreprises se sont restructurées, ont fusionné, se sont internationalisées. Les intentions des dirigeants se heurtent souvent à des difficultés inattendues qui concernent des manières de travailler différentes entre deux entreprises qui fusionnent ou entre une entreprise d’un pays et les salariés d’un autre pays où elle souhaite implanter un établissement. De plus, le fait d’être dans le même secteur d’activités, d’utiliser le même type de technologie ne change rien à ces difficultés. Des chercheurs en gestion (cf. Véry, 2001) ont pu montrer que les projets de fusion ou d’acquisition n’atteignent jamais leurs objectifs économiques de départ (économies d’échelle, rationalisation) dans 80 % des cas. Il est en effet très difficile de faire travailler ensemble des personnes ayant des normes, des cultures différentes, de nombreux conflits surgissent entre les différents groupes. Ces difficultés engendrent des coûts nouveaux qui viennent annuler les gains espérés au départ.
– Les réorganisations et changements devenant de plus en plus fréquents dans les entreprises (par rapport à la période fordiste), la question des héritages culturels, les normes sociales lentement construites, et donc difficiles à faire évoluer, ont rendu plus saillante la vision de l’organisation comme un milieu social empli de rites, d’habitudes, de règles implicites, de symboles structurant les représentations.
– L’instabilité des relations d’emploi a également contribué à multiplier les interrogations sur le rôle du travail, des organisations, des métiers dans la construction des identités, et donc dans l’équilibre psychique, des travailleurs.
– On ne peut négliger le fait que des ethnologues et historiens, à la fois pour des raisons théoriques (étude du temps présent, des sociétés occidentales) et pratiques (financement des recherches, accès au terrain) se sont de plus en plus intéressés aux organisations de travail.
De nombreuses thèses ont ainsi été réalisées sur la base de monogra phies d’entreprises.
Les premières publications sur les « cultures d’entreprise » étaient cependant parties sur une voie peu réaliste en affirmant l’importance d’une « culture forte » pour la performance d’une entreprise et en suggérant qu’il serait possible de « piloter », « façonner » la culture d’une organisation. Cehi alors que les travaux anthropologiques insistent plus généralement sur la lenteur des évolutions culturelles, le fait qu’elles résultent des multiples activités des collectifs et pas seulement de la volonté de quelques personnes, et que la force, la profondeur d’une culture serait plutôt un indice de sa rigidité.
Les approches des sociologues, psychologues sociaux et du travail se sont montrées plus fructueuses, tout en ramenant le volontarisme managérial à plus de modestie.
Du point de vue théorique, les organisations sont des constructions sociales et cognitives. Par leurs activités quotidiennes, la perception qu’ils ont de leur environnement, les représentations qu’ils construisent sur leurs objectifs et leurs missions, le sens qu’ils essaient de donner à ce qu’ils vivent au travail, les travailleurs façonnent, fabriquent l’organisation à laquelle ils appartiennent. Karl Weick (1969) a introduit l’idée « d’enactment » pour exprimer cette construction permanente et circulaire de l’organisation dont les membres essaient d’interpréter ce qui se passe, agissent à partir de ces interprétations et modifient ainsi la réalité dans laquelle ils évoluent et pour laquelle ils essaient de fabriquer du sens à travers leurs multiples interactions. On comprend mieux ainsi la diversité des manières de travailler entre des organisations qui, pourtant, fabriquent les mêmes objets ou réalisent les mêmes services.
Pour définir la notion de culture organisationnelle, nous retiendrons en l’adaptant celle proposée par Schein (1985) :
- un système de postulats de base, de règles, de normes, de valeurs et d’artefacts,
- apprenant à résoudre ses problèmes d’adaptation à l’environnement et d’intégration interne,
- et qui a fait suffisamment ses preuves pour être valide du point de vue du groupe,
- et donc pour être enseigné aux nouveaux membres comme la manière correcte de percevoir, de penser, de sentir et d’agir face à ces problèmes.
2 réponses pour "Les cultures organisationnelles du travail"
Vous ne notez pas vos sources, attention au plagiat…
Merci de m’indiquer le nom au complet de Tayechi afin que je puisse le citer.