Les critiques de La psychanalyse
Les critiques de la psychanalyse sont apparues dès les premiers textes freudiens. Elles n’ont pas cessé depuis. Nous reprendrons ici les plus fréquentes d’entre elles. Nous distinguerons des questions très générales, puis celles qui concernent des points de la théorie, et enfin celles liées à la technique psychanalytique et à sa pratique.
Questions générales
La psychanalyse n’est pas une science
La psychanalyse a été considérée par Karl Popper comme un dogmatisme, un système explicatif du monde qui repose sur l’adhésion de l’individu plutôt que sur une démonstration expérimentale. Il l’a comparée sur ce point au marxisme. Pour cet auteur, ce qui manque c’est la possibilité de réfuter les thèses proposées. Popper distingue, en effet, les vérifications faites à partir d’illustrations cliniques – cas choisis pour conforter la démonstration – de la réfutation à partir d’expériences « cruciales », c’est-à-dire dont les résultats sont véritablement décisifs quant à la poursuite ou non de la démonstration.
Mais le succès amena beaucoup d’intellectuels et de psychanalystes à des simplifications et des engouements très contestables. Ce que l’on peut retenir des critiques de Popper (qui a été lui- même souvent critiqué par ses pairs), c’est le manque de formation scientifique de beaucoup de praticiens de la psychanalyse et la négligence, voire le rejet, de certains quant à la rationalité. On peut dire que la fréquentation fantasmatique propre à ce métier est devenue, pour certains, un véritable refuge. Il leur a manqué le goût de rendre compte de ce travail de façon rationnelle et avec la nécessaire distance critique. Cette distance aurait permis de mieux préciser les limites de la théorie et de la pratique psychanalytiques.
Cette question de la scientificité est toujours d’actualité, notamment dans un système de pensée qui catégorise des sciences « dures » pour les protéger de la contamination de sciences qui seraient donc « molles » ! Parmi les premières, on compte les mathématiques, la physique, les neurosciences, etc., et, bien sûr, parmi les secondes toutes les « sciences » humaines auxquelles on hésite parfois même à appliquer le terme de « science ». Le débat est donc beaucoup plus large : il ne concerne pas la seule mise en cause de la psychanalyse, mais englobe tout ce qu’une approche humaniste a d’approximatif par rapport à un idéal mathématique, promu en unique modèle « scientifique » !
L’informatique avec le modèle de l’ordinateur n’a fait qu’accentuer ce phénomène : l’idéal est devenu une compréhension « logicielle » du fonctionnement psychique, celle que déjà des robots « humains » expérimentent pour nous. Cet homme robotisé est donc l’avenir idéalisé qu’on nous propose.
On comprend qu’en conséquence les travaux qui concernent l’homme intérieur, la subjectivité, les valeurs et les significations personnelles accordées aux expériences… ne soient plus à l’ordre du jour de la recherche qualifiée de sérieuse. Freud a démontré qu’il existe une compréhension possible des phénomènes les plus étranges dans ce domaine, celle-ci n’a pas de place dans cette rationalité logicielle dans laquelle la science s’est engagée. Bien sûr il ne s’agit là que de confrontation de modèles différents, mais dont les échos politiques et économiques peuvent avoir des conséquences majeures sur la vie de tout un chacun !
Le rapport au savoir
Il y a un autre argument à développer ici. Il concerne le rapport de la psychanalyse au savoir. Notre fonctionnement intellectuel (on parle maintenant de cognitif), les connaissances que nous accumulons, sont le résultat des processus secondaires que Freud distingue des processus primaires plus directement liés aux pulsions. La psychanalyse a mis en évidence l’articulation de ces deux niveaux de fonctionnement. Elle a montré, par exemple, que l’envahissement des processus primaires (émotions, excitation, angoisses) ne permettait pas de fonctionner intellectuellement. Mais aussi que le travail intellectuel pouvait être développé au détriment de la vie affective, et être ainsi utilisé de façon défensive. Dans les deux cas on peut aboutir à une inhibition, ou une paralysie des processus secondaires, dont le résultat le plus manifeste est l’échec de l’apprentissage, l’échec dans le travail. Cette façon d’analyser le travail scientifique lui-même, de le situer comme un dérivatif pulsionnel, a pu agacer certains scientifiques, en même temps qu’elle a permis à nombre de patients de retrouver leurs capacités intellectuelles ! Enfin, il faut être très clair sur le fait que tout ce qui a trait à la psychanalyse n’est pas scientifique en soi, que peu de psychanalystes sont engagés dans une démarche scientifique, et que les sociétés de psychanalyse elles-mêmes ne définissent pas toujours le cadre de la recherche poursuivie en leur sein. De notre point de vue, la recherche psychanalytique devrait être délimitée de telle façon que la part scientifique de la psychanalyse se dégage clairement pour le milieu scientifique, facilitant les confrontations indispensables à ce niveau.
Le matérialisme psychanalytique
C’est un reproche qui a beaucoup été fait au début. L’approche analytique qui déconstruit, ramène certaines productions humaines à leurs éléments supposés constitutifs, dont les pulsions (libidinale et pulsions de vie et de mort), avait choqué. Il semble que ce ne soit plus tellement le cas maintenant. Finalement la psychanalyse apparaît, dans le contexte actuel, plutôt comme une résistance à la mécanisation du corps et du psychisme. Elle défend encore une dimension humaine, basée sur une subjectivité, sur une dimension symbolique par laquelle le sens habite toujours toutes les productions humaines.
Il n’en reste pas moins quelle se distingue nettement de toutes les approches thérapeutiques spiritualisantes, qu’elles viennent des sectes, ou de méthodes de psychothérapie reconnues, comme des pratiques jungiennes, ou le mouvement humaniste initié par Abraham Maslow aux États-Unis, par exemple. De ce point de vue la psychanalyse considère comme une valeur essentielle la liberté de pensée pour elle-même, l’analysant étant libre ensuite d utiliser celle-ci dans le sens et les domaines qui lui conviennent.
Tout ramener au sexe
L’un des principaux obstacles à la diffusion de la psychanalyse le scandale que produisit, dans la société bourgeoise, l’importance donnée à la sexualité. Dans l’après-coup on peut voir là un Paradoxe. Car, nous l’avons précisé, Freud a voulu d’entrée de jeu se démarquer de la sexologie, pour s’intéresser aux aspects Psychiques du fonctionnement sexuel. On a aussi vu comment il a élargi le concept de libido pour inclure toutes les formes prises Par l’amour, l’amitié, etc. Il était donc loin de l’exercice du sexe ! Mais pour s’en rendre compte, encore fallait-il s’informer plus Précisément de son œuvre. Car ce qui choquait des séances de Psychanalyse, c’était cette liberté avec laquelle on y parle des choses sexuelles.
Mais ce qui était encore le plus choquant, c’était que Freud ait Proposé de relier tous ces aspects et de les considérer comme un ensemble. Il y avait là comme un sentiment de contamination entre le sexe – qui devait être soigneusement isolé et caché – et les autres activités psychiques, notamment les plus valorisées, les plus élevées, comme l’amour de la beauté, l’art, la religion amour de Dieu).
plus scandaleux était donc ce qui se trouvait derrière le concept de sublimation : l’existence de l’énergie sexuelle à la base de toutes ces productions de l’esprit. La société s’est pourtant habituée à ces ouvertures et à ces passages dont elle a semble-t-il dû tirer profit.
Au moment où Freud commence ses premiers travaux, la question de la sexualité est très présente dans le milieu intellectuel, dans la recherche descriptive et classificatoire des conduites normales ou pathologiques. La théorie de l’hérédité et de la dégénérescence est appliquée notamment dans les recherches criminologiques. Une science est née, la sexologie, mais Freud s’en dégage rapidement. Il s’intéresse à la bisexualité psychique, non aux conduites homosexuelles, par exemple, mais plutôt à l’homosexualité latente chez tout individu. Il se manifestera contre toute discrimination, ce qui ne sera malheureusement pas le cas, par la suite, de tous les psychanalystes et des sociétés psychanalytiques, Anna Freud en tête ! Lacan, pour sa part, instituera une nouvelle tolérance dans le milieu psychanalytique.
Psychanalyse et biologie
Freud est parti de la biologie, ses premiers travaux sur les neurones cherchaient à créer une science capable de rendre compte du fonctionnement psychique par la neurologie. On peut considérer l’engouement actuel pour les neurosciences comme une répétition, pour ne pas dire un retour à ce point de vue, les nouvelles technologies en plus. Et ce n’est pas peu dire car il est certain que l’imagerie cérébrale, par exemple, a de quoi fasciner par ce qu’elle montre de l’activation des zones du cerveau, par telle ou telle activité, telle ou telle forme de pensée.
Mais les chercheurs concernés sont les premiers à dire le chemin qu’il y aurait encore à parcourir pour pénétrer véritablement la complexité extrême du fonctionnement du système nerveux central aux commandes de tous nos états, ressentis, comportements, pensées… Cela n’empêche pas de considérer que l’ordinateur est un modèle : situation paradoxale que l’inventeur d’une machine estime que celle-ci puisse donner la clé du fonctionnement de son propre cerveau ! Il n’en est pas moins vrai que les découvertes de la biologie nous permettront d’avancer encore dans la compréhension de bien des pathologies, physiques et psychiques, ce dont on ne peut que se réjouir. Freud lui-même espérait qu’un jour certains de ces mystères seraient ainsi éclairés par les progrès de la biologie.
Des résultats thérapeutiques difficiles à évaluer
Les enquêtes régulières sur les résultats des traitements psychothérapiques tentent d’opposer certaines techniques à d’autres pour démontrer leur efficacité, et proposer une hiérarchisation. Les récentes recherches qui ont opposé thérapies cognitivo- comportementales et thérapies psychanalytiques ont bénéficié d’un important relais médiatique pour mettre en cause ces dernières.
Bien qu’habitués à ces polémiques, notamment en ce qui concerne les recherches sur les médicaments, comme celles répétées depuis une quinzaine d’années sur les effets cancérigènes ou non des traitements hormonaux, l’annonce des résultats a toujours un effet sur le public. Malgré les progrès des statistiques on imagine mal le nombre des paramètres à considérer pour la comparaison de traitements psychothérapiques qui ont des objectifs aussi différents. Bien sûr il s’agit toujours d’apporter une aide, mais à quel niveau, par quels moyens, dans quel délai… ? Les questions sont très nombreuses. Ce qui est à retenir de ces critiques qui mettent en cause l’efficacité de la psychanalyse, c’est que les psychanalystes ont trop négligé la communication des résultats obtenus ainsi que des échecs.
Enfin, il est un fait que la personnalité du thérapeute joue un rôle essentiel et cela, dans toutes les techniques thérapeutiques. Voilà au moins un résultat régulièrement confirmé par toutes les études ! Dans le cas du psychanalyste, le fait qu’il ait eu à vivre pour lui-même la situation psychanalytique afin de prendre conscience et tenter de se dégager de ses propres conflits névrotiques (ou autres pathologies), est un plus qui a souvent été justement souligné. Il n’en reste pas moins qu’il y a des psychanalystes plus sympathiques que d’autres, plus expérimentés, plus à l’écoute et sensibles à telle ou telle situation, etc.
Certains auteurs considèrent l’œuvre de Freud comme une œuvre essentiellement littéraire, mais non scientifique. Qu’est-ce à dire ? Que si le lecteur se retrouve dans les pages de Freud, c’est par la capacité de l’auteur à faire partager des états d’âme, voire même à les analyser comme le faisait un Proust ? Est-ce vraiment une critique ou plutôt un hommage ? Car peu de scientifiques ont pu être loués pour la qualité littéraire de leurs écrits, et encore moins pour les effets thérapeutiques de ceux-ci !
Expérience existentielle et traitement
Finalement, la psychanalyse n’est-elle pas plutôt une expérience existentielle qu’un traitement à proprement parler. La position des psychanalystes à cet égard n’est peut-être pas suffisamment claire. Ceci rejoint la question de l’évaluation des résultats.
Pourquoi et comment s’engage-t-on dans une psychanalyse ? Pas pour la suppression d’un symptôme. Si ceci est acquis, il faut en tirer les conséquences dans l’évaluation des bénéfices et des résultats obtenus, ce qui n’est pas toujours clair. Toute relation prolongée (fréquence et durée) est une expérience existentielle et l’analyse offre ce dispositif, de même que les prises de conscience successives modifient sensiblement les positions du sujet par rapport à son histoire et à son environnement. Alors quel sera l’effet le plus thérapeutique ? Celui qui soulage la souffrance psychique ? Celui qui fait disparaître le symptôme ? On celui qui dégage une énergie restée paralysée dans des mécanismes de défense ?
Psychanalyse et société
La psychanalyse répond-t-elle aux questions de notre temps ? Cette question nous semble essentielle. La remise en cause actuelle de la psychanalyse est contemporaine de la remise en cause de la théorie de l’évolution des espèces de Darwin. Cette conjonction est importante.
C’est le paléontologue américain Stephen C. Meyer qui, en 1988 créa Y Intelligent Design, l’idée que seul un formidable designer peut être à l’origine de la complexité du monde. Depuis, des donateurs, des sectes, des églises, et jusqu’à G. Bush récemment s’allient pour contrer la théorie darwinienne et revenir au récit biblique, pour conforter le mouvement créationniste. L’homme fait à l’image du créateur, lequel d’entre nous n’est pas concerné par ce fantasme de toute puissance ?
Aussi la remise en cause de Freud dans ce contexte se comprend comme une contestation de la nature pulsionnelle du fonctionnement psychique, de la place donnée à la sexualité, s’entend, au-delà des abus incontestables de tel ou tel praticien ou théoricien de la psychanalyse, d’un retour au discours religieux, voire du mouvement plus large des intégrismes.
La « chosification » du corps, désormais inclus dans le marché (le corps en morceaux sous-traités), d’une part, le développement du virtuel dans les représentations mais aussi dans les relations quotidiennes, d’autre part, remettent profondément en cause notre représentation de nous-mêmes. Et l’actualité nous confronte à la perte des repères fondamentaux et aux violences qu’elle suscite.
La question du sens
Le bébé est une personne et, particulièrement le prématuré perdu dans un univers de machines… Avez-vous eu la chance de voir un de ces petits êtres réagir au souffle d’une soignante sur son front, à la voix chaleureuse et modulée d’une autre, au chantonnement de sa propre mère ? Avez-vous constaté sa décrispation immédiate, l’ouverture de son corps, de ses petites mains en direction de ce qui lui arrive ? Etc.
Avez-vous eu comme moi encore la chance exceptionnelle de travailler avec de grands handicapés qui, perdus dans leur monde, s’ouvrent tout à coup à un son, à une présence ? À ce moment-là vous ne vous posez pas la question du sens, voire de l’abus de sens de ce que vous faites. Penser que tout être humain, quel que soit son état, est porté par le sens, c’est peut- elle une illusion, ou une hypothèse indémontrable, mais une nécessité pour la vie psychique, la nôtre et celle de l’autre.
Questions portant sur la théorie
Le complexe d’Œdipe – infantile ou nombrilisme
La psychanalyse serait-elle une démarche régressive, voire même anti-adaptative ? Et faut-il tout ramener à l’Œdipe ? Si déjà dans le mouvement psychanalytique certains auteurs comme Otto Rank (il a voulu ajouter le « traumatisme de la naissance ») et Mélanie Klein ont considéré qu’il fallait aller encore plus loin, c’est-à-dire avant l’Œdipe, le mouvement contestataire va plutôt dans le sens opposé, critiquant le fait de s’attacher à cette période initiale du développement de l’individu.
Pour certains cela apparaît comme réducteur, voire encore comme une façon de prendre ses distances par rapport à ses responsabilités, de considérer que l’on ne peut rien à ce qui nous arrive puisque tout dépend des conditions dans lesquelles on a vécu notre enfance. Ce sont là des réductions, des simplifications faites pour tenter de s’approprier à moindre coup un langage psychanalytique. Nostalgie d’enfance, nombrilisme, ce serait ce qui anime l’analysant qui, sur le divan psychanalytique passerait beaucoup de temps à cette attitude de complaisance à l’«égard de lui-même au lieu de se confronter à la dure réalité. La cure elle-même n’est-elle pas une proposition séduisante ? pouvoir se laisser aller, tout dire (contrairement à l’adaptation nécessaire aux règles de la communauté), n’est-ce pas là comme un piège qui fait régresser l’individu plutôt que de l’adapter ? On sait, en effet, le peu de cas fait à cette dimension de l’adaptation à la société dans le cadre psychanalytique.
Déjà du temps de Freud, la question de l’Œdipe a été posée en relation avec les différences culturelles. Elle a donné naissance au courant culturaliste. Plus récemment, il s’agit d’une question cruciale en raison de l’évolution de notre propre culture. Les modifications de la structure familiale au cours de ces dernières armées ont conduit à réinterroger l’importance donnée par Freud au triangle œdipien désormais associé à un modèle traditionnel jugé par certains dépassé : père-mère-enfant.
Que dire du développement des familles monoparentales ? Plus récemment encore, que dire des nouvelles familles créées par des parents homosexuels ? Quel est le devenir des enfants ? Pourront-ils se structurer ? S’il est normal de se poser à nouveau ces questions, il faudrait aussi rappeler qu’il s’agit d’un mythe et que la force de la théorie du complexe d’Œdipe est du côté du symbolique. Lacan a bien rappelé la distinction structurante entre les registres du réel, du symbolique et de l’imaginaire.
L’importance du tiers, pour le développement de l’enfant, c’est aussi le social, et pas seulement tel ou tel membre précis de la famille. Il n’en demeure pas moins, que le modèle reste toujours à travailler, à modifier si nécessaire, en fonction des nouvelles problématiques qui peuvent apparaître au travers des modifications de la clinique.
Le rêve et son interprétation
Les avancées des travaux de psychophysiologie et de neurologie concernant le rêve alimentèrent un temps la polémique sur la place et l’usage que l’on fait du rêve en psychanalyse. Concernant le rêve, les travaux réalisés depuis Freud ont permis de mettre en évidence les processus biologiques producteurs du rêve. Citons notamment les travaux de Michel Jouvet. En 1959 cet auteur a découvert le fait que le rêve accompagne une des phases du sommeil, ce qu’il a appelé le sommeil paradoxal car il s’agit d’une phase entre le sommeil et la veille, comme un troisième état du cerveau qui se trouve, à ce moment, activé d’une façon particulière. Il ne s’agit donc pas d’un sommeil léger, comme on l’a longtemps pensé, mais bien d’un autre état psychique. Cet état se retrouve particulièrement développé chez le nouveau-né et chez le chat (!). Il consomme en réalité beaucoup d’énergie. Le sommeil paradoxal est caractérisé par son apparition de l’ordre de 90 minutes après l’endormissement. L’électroencéphalogramme montre l’équivalent d’une attention vigile, et on observe des mouvements oculaires rapides (alors que le reste du corps est atone). Il dure une vingtaine de minutes et se manifeste quatre ou cinq fois par nuit. Il peut être accompagné d’érection.
Cette auto-activation cérébrale (selon J. A. Hobson), sans fonction vitale, se manifeste, chez l’adulte, environ deux heures par nuit. On a ainsi pu calculer qu’une personne de 70 ans a passé six années complètes à rêver ! C’est dire qu’on ne peut négliger ce phénomène ! Jouvet a pu ainsi mettre en évidence le mécanisme physiologique du rêve, une activité cérébrale qui mobilise l’hypothalamus, l’hypophyse et le bulbe ou activité ponto- géniculo-occipitale (PGO). Mais si le mécanisme du rêve est de mieux en mieux cerné, ses fonctions restent encore énigmatiques. Cette activité est présente dans le règne animal à partir des oiseaux et chez tous les mammifères, elle semble liée à l’homéothermie, elle se trouve présente de façon plus importante dans les organismes immatures.
Michel Jouvet a considéré que le rêve pouvait être lié à la mémoire génétique, que cette activation serait nécessaire pour entretenir la programmation génétique contre les influences de l’environnement. De ce point de vue, le rêve serait utile à l’individuation. Mais cet auteur souligne la grande part d’inconnu encore de ce phénomène et il considère qu’il n’y a pas d’explication causale simple du rêve, mais qu’il résulterait plutôt d’un ensemble de causes. Alors, bien sûr, on est loin de l’affirmation de Freud « le rêve, gardien du sommeil », par exemple. Mais cela est bien normal puisque cette affirmation date d’un siècle et de l’état des recherches des années 1900.
Pierre Benoit, médecin et psychanalyste, s’est particulièrement intéressé à la façon dont le phénomène biologique est infléchi, chez l’homme, par sa subjectivité, par l’introduction du langage. De cette façon l’homme est « cocréateur de sa propre physiopathologie », voire d’une « métabiologie humaine ». Tout ce que l’être humain vit au niveau de son corps est nécessairement traité psychiquement, intégré subjectivement. Sami Ali s’intéresse lui aussi à ce qui fait obstacle au rêve pour un individu : l’insomnie, le désintérêt porté au rêve, ou encore des contenus de rêves qui collent à la réalité, comme les rêves de travail. Il observe que ces conduites manifestent une sorte d’hyperadaptation à la réalité, l’impossibilité de s’en détacher pour se mettre en contact avec un contenu de rêve qui lie affect et images, témoin (et peut-être renforcement) de la subjectivité, théorie que cet auteur a développée dans son approche de l’imaginaire.
Parmi tous les auteurs et notamment les contemporains qui se sont intéressés à la question nous citerons encore Didier Anzieu (1985) qui a trouvé que les quatre phases du rêve décrites par la neurophysiologie correspondent à trois types de rêves qui, pour lui, répondent à des principes différents et complémentaires du fonctionnement psychique :
- la première phase est celle des images hypnagogiques, images sensorielles correspondant à l’endormissement, période de désorganisation liée à la désintrication entre corps et psychisme. C’est le moment du désinvestissement de la réalité ;
- la deuxième phase correspond au passage au sommeil lent, elle est marquée par une activité onirique intense liée à la perte de contrôle et laisse apparaître des terreurs nocturnes, des cauchemars ;
- la troisième phase est celle du sommeil lent, sans rêves. Elle correspondrait, pour cet auteur, au principe du Nirvana ;
- la quatrième phase correspond au sommeil paradoxal, c’est le temps du rêve qui correspond au principe de plaisir.
Cet auteur trouve que les travaux récents ne mettent pas fondamentalement en cause l’approche psychanalytique du rêve, mais lui apportent plutôt des éléments supplémentaires et une compréhension plus précise. Il propose de considérer que le rêve a une fonction vitale dans la reconstruction quotidienne de l’enveloppe psychique, cette protection du Moi vis-à-vis des agressions extérieures, contre les microtraumatismes accumulés.
Voler est un grand rêve de l’humanité, pouvoir décoller, être dégagé de la pesanteur, des contraintes physiques. C’est encore une illustration du rêve considéré comme réalisation de désir. Et ce décollement de la réalité quotidienne, peut être rapproché de moments physiques et/ou émotionnels intenses comme l’orgasme, l’extase, etc.
On trouve fréquemment le cauchemar d’être poursuivi ou pris dans une situation catastrophique et de ne pouvoir se sauver, d’être paralysé, de ne pouvoir crier. En suivant les propositions de D. Anzieu, ces cauchemars feraient partie de la phase de passage au sommeil lent pendant laquelle, effectivement, nous perdons nos moyens de défense physiques. Ce qui reste toujours aussi important pour la psychanalyse, c’est la façon dont le contenu du rêve est lié à l’histoire de l’individu, et le récit du rêve reconstruit pour être présentable au Moi. Ce sont ces processus de reconstruction (le travail du rêve) qui sont alors analysés. Il convient de distinguer : la production de rêve (ses conditions neurophysiologiques en particulier), le contenu des récits de rêves, l’usage que le rêveur fait de ses rêves, enfin, l’interprétation des rêves et l’hypothèse d’un niveau latent. Précisons encore qu’on a parfois confondu le fait que Freud affirme que le rêve est la réalisation d’un désir, avec l’idée que les contenus de rêve seraient tous de nature sexuelle. Ce que déjà de son vivant Freud a été amené à corriger. Dans l’interprétation des contenus de rêves il y a un reste d’inconnu. Il n’y a pas un seul sens logique mais beaucoup de ramifications possibles.
Rêves de complaisance et rêves pénibles
Il y a encore deux cas particuliers de rêves qui ont alimenté les discussions :
- les rêves de complaisance, les rêves suggérés démontrent un phénomène d’influence sur le rêve. Ainsi, dans la cure psychanalytique, l’analysant peut être amené, de façon inconsciente, à produire des rêves « pour faire plaisir » au psychanalyste. C’est pour cela que c’est toujours dans la relation transférentielle qu’il convient d’interpréter le rêve.
- les rêves pénibles, les cauchemars. Freud distingue les rêves d’angoisse et de punition (correspondant à un conflit identificatoire œdipien), des rêves traumatiques qui correspondent à l’incapacité du psychisme à lier l’excitation à la source de l’effraction subie. Leur caractère répétitif correspond à une tentative de maîtrise rétroactive. La discussion a porté ici sur l’affirmation de Freud selon lequel le rêve est une réalisation de désir : comment expliquer alors ces rêves pénibles ? Freud s’est heurté lui-même à cette difficulté.
On voit que les connaissances plus récentes présentées ci- dessus, notamment les apports de D. Anzieu, rendent ces phénomènes plus acceptables et compréhensibles.
L’origine des maladies
Il s’agit, lorsque l’on aborde les critiques adressées à la psychanalyse, d’un chapitre difficile. Freud ne cachait pas son ambition de trouver des causes psychiques aux névroses en particulier, et peut-être même à d’autres affections mentales. Même si, de sa formation médicale, il retenait l’espoir d’autres avancées biologiques.
Les premières générations de psychanalystes ont eu tendance à maximaliser cette ambition, à s’identifier à elle, et à s’appuyer sur ces élaborations théoriques comme sur des fondements définitifs, devenus ainsi progressivement dogmatiques dans les écoles de psychanalyse. Certains auteurs n’ont alors pas hésité à opérer des raccourcis et simplifications extrêmes : tout était joué à cinq ans, la mère était à l’origine de la pathologie de l’enfant, etc. Ces excès ont fait du tort à certaines familles paradoxalement culpabilisées et, en retour, au mouvement psychanalytique lui-même.
Les exemples de la schizophrénie et de l’autisme
Bien qu’à des périodes un peu différentes, des psychanalystes ont considéré la relation maternelle comme ayant eu une incidence plus ou moins directe sur ces deux maladies. Ce qui a entraîné une forte culpabilisation des mères. On se rappelle, par exemple, le livre de Maud Mannoni, L’enfant, sa maladie et les autres (au début des années soixante-dix), dans lequel l’auteur considère le désir de la mère pour son enfant comme ayant le pouvoir d infléchir la maladie. Nous avions nous-mêmes réagi, à l’époque, par une thèse visant à mettre en valeur la relativité de ce « pouvoir », l’impact de la pathologie de l’enfant sur la mère, et les conditions environnementales.
Ces abus ont eu des conséquences négatives reconnues actuellement par le milieu psychanalytique lui-même. On peut sans doute incriminer ici le manque de formation scientifique de beaucoup de praticiens et la transformation d’une théorie (faite toujours d’hypothèses) en une idéologie. Ce glissement toujours défensif permettant de ne plus s’embarrasser de certaines évidences cliniques. L’excès inverse est, lui, plus contemporain. Il est d affirmer que tout vient du biologique et que les solutions à tous nos maux seront apportées par les découvertes à venir dans ce domaine. L’effet négatif de cette nouvelle idéologie est de dénier au sujet la souffrance psychique qui est la sienne et la dimension symbolique qui l’habite et le fait vivre.
Peut-on rester réaliste ?
Ce sujet qui a le pouvoir de tellement nous agiter s’accommode- t-il de réalisme ? Restons objectifs et notons que, malgré les années qui passent, au fond l’on ne sait toujours pas grand-chose de ces pathologies. On les a classées, déclassées, reclassées… On ne cesse de les disséquer à partir d’échelles d’évaluation nouvelles… mais peu de choses ont véritablement avancé. En revanche, certaines se sont modifiées, d’autres formes sont apparues, ce qui montre bien leur variabilité en fonction du temps et de l’évolution de nos sociétés. Alors soyons modestes. Mais comment le dire au public, confronté au non-savoir, sans produire une énorme déception ?
Questions relatives à la technique et sa mise en pratique
La méthode freudienne de l’interprétation des rêves a eu un succès qui n’a pu la protéger des effets pervers manifestés dans la recherche de recettes d’interprétations utilisées à tort et à travers, comme faire-valoir, prise de pouvoir, agression, etc. C’est ce que l’on appelle la « psychanalyse sauvage ». L’interprétation psychanalytique ne devrait pas sortir de son cadre, c’est-à-dire une relation qui lui donne sens et la rend utile. En dehors, elle est totalement arbitraire puisqu’elle n’est pas issue de la connaissance intime de la personne, de son fonctionnement inconscient. Elle fait alors violence à celui qui n’est pas prêt à l’entendre, ou elle est tout simplement un placage, c’est-à-dire en décalage complet avec la situation elle-même. Elle « tombe comme un cheveu sur la soupe » ! Par exemple, il ne saurait y avoir d’interprétation codée des rêves. Même si certains symboles peuvent être considérés comme relativement partagés dans une culture donnée, ils s’inscrivent chez chaque individu dans un contexte singulier.
Tout est-il résistance ?
C’est un argument qui a été souvent utilisé à tort par certains psychanalystes devant toute opposition, voire toute critique à l’endroit du travail psychanalytique (en séance), ou de la théorie. D’une part la défense n’est pas négative, elle ne peut être d’ailleurs jugée, car, si elle existe, c’est qu’elle est nécessaire à cet individu, dans cette situation. D’autre part, que l’intellectualisation puisse avoir une valeur défensive dans certains cas plus que dans d’autres, cela n’enlève rien à la qualité de ce qui est dit. Cela souligne seulement qu’il y a un autre niveau, émotionnel, pulsionnel, qui est tenu à l’écart de la conscience.
Enfin ce fut un mode d’argumentation stéréotypé de certains psychanalystes, dans les années soixante-dix en particulier, que de répondre systématiquement à leurs contradicteurs que leurs critiques étaient défensives, et que, d’autre part, ils ne pourraient rien comprendre tant qu’ils ne passeraient pas par le divan ! Ils manifestaient par là qu’ils avaient eux-mêmes encore un bon bout de chemin à faire pour se dégager de cette emprise sur eux- mêmes projetée sur les autres !
Analyse et synthèse : une reconstruction
On a reproché à la technique psychanalytique de déconstruire à force d’analyse, dans un mouvement réducteur, défaisant progressivement les liens, les relations, tout ce qui a constitué l’édification de la vie de l’individu. Elle ramènerait aux éléments les plus primaires. Et, surtout, elle ne propose rien d’autre, elle ne remplace pas ce qui a été ainsi analysé, elle n’offre pas de reconstruction.
Certaines formes de psychothérapies se félicitent, de proposer au contraire activement au patient des modèles ou de l’aider à reconstruire. La réponse c’est que le psychisme ne laisse pas de vacance, il est toujours actif, toujours à construire, reconstruire. Ainsi, le travail d’analyse incite nécessairement ce mouvement de reconstruction. On parle dans ce cas, notamment, d’un travail de réélaboration. Ainsi, par exemple, les souvenirs traumatiques, une fois abordés, analysés, se trouvent, justement, occuper une nouvelle place dans le fonctionnement psychique, intégrés et non plus enclavés.
L’argent et la psychanalyse
La psychanalyse coûte trop cher. C’est encore un argument critique. Pourquoi avoir à payer pour se faire écouter quand on connaît des bénévoles dévoués à leurs tâches sans réclamer aucune rétribution ? La rémunération est une question de professionnalisation et d’éthique. La séance de psychanalyse doit rester dans le cadre d’un travail reconnu, or tout travail reconnu est rémunéré. C’est ce qui garantit la distance nécessaire à la qualité de ce travail. C’est aussi ce qui permet à l’analysant de se positionner par rapport à ce cadre : il peut refuser de payer et donc arrêter. Il peut oublier, ne pas avoir la somme sur lui, etc., tous comportements qui s’analysent dans la relation au traitement et au psychanalyste. Le coût, bien adapté aux possibilités du client, est aussi un formidable moteur pour faire avancer le traitement. Mien sûr, il peut arriver que toutes ces conditions ne soient pas remplies, et que le traitement ne puisse se faire, ou bien s’éternise.
L’argent est un signifiant du don, très tôt mis en place dans les échanges de l’enfant et de son entourage, et ce, particulièrement, dans la phase de l’apprentissage de la propreté. Cette dimension anale occupe une place importante dans le développement libidinal de l’individu. Et il n’est pas rare, dans la vie quotidienne, de constater les comportements caractéristiques de nos interlocuteurs concernant le don, l’échange, le paiement, la comptabilité. Mais il est toujours plus facile de faire ces observations sur les autres ! L’argent donné au psychanalyste ne représente donc pas seulement, au niveau matériel, le paiement d’un travail, mais porte toute cette dimension symbolique. Il s’inscrit dans l’histoire de l’individu. Le paiement de l’analyste offre ainsi, dans le présent, l’opportunité d’une actualisation de problématiques anciennes, répétitives. C’est donc l’occasion d’analyser certains blocages, fixations, afin de trouver une plus grande liberté et décontraction aussi dans ce domaine !
Je suppose que cette anecdote vous évoque d’autres notes pour lesquelles vous avez, vous aussi, pu rencontrer certaines difficultés (vous-même, ou votre entourage). À la fin de ce chapitre sur les critiques de la psychanalyse, il faudrait encore considérer ici les débats portant sur des détails historiques. Toutefois, nous ne reprendrons pas ces critiques, auxquelles seuls les historiens peuvent répondre. Enfin, un certain nombre de critiques ont été progressivement intégrées à l’évolution de la théorie psychanalytique, la place de l’enfant, l’analyse de la sexualité féminine, la place de la culture, la famille comme partie de la pathologie et donc du traitement, les pathologies liées au groupe, etc. Ces développements ont aussi donné naissance, comme nous avons eu l’occasion de le voir, à différents mouvements, sociétés de psychanalyse. L’idéalisation, la sacralisation de la psychanalyse constituent des modalités défensives de la pensée, donc opposées à la démarche psychanalytique elle-même : elles ont parfois conduit à des blocages et des erreurs.
Les théories comme les pratiques psychanalytiques sont bien sûr critiquables. La modestie du praticien, la démarche du chercheur, doivent permettre d’utiliser positivement les critiques lorsque celles-ci sont fondées. Il reste un champ très ouvert de questions, de besoins cliniques auxquels les praticiens sont invités à offrir leurs compétences.