Le travail et la nature humaine
Pourtant,, le travail apparaît de nos jours comme une valeur en soi, qui va même siHivent servir de repère pour estimer la valeur d’un individu. D’un point de vue historique, il y a une sorte de concordance entre plusieurs courants de pensée, receñís a l’échelle de l’histoire de l’humanité, qui, malgré leurs contradictions, aboutissent à mettre en valeur le travail. Par exemple, Adam Smith avec sa vision libérale, ou le marxisme : ces deux théories sont très différentes, mais les deux aboutissent à l’idée que le travail est essentiel. Tout comme pour rinllucnce religieuse protestante, où le travail est, face au jugement dernier, l’instrument de mesure de la valeur de l’individu. Donc, quelqu’un qui a travaillé beaucoup, qui a produit tout au long de sa vie des richesses, aura une valeur très positive. S’il a gaspillé les richesses et qu’il ne reste rien au moment du jugement dernier, il aura une valeur très faible, risquant ainsi d’accéder plutôt à l’enfer.
Adam Smith voyait le travail comme la source de toute richesse. Plus on travaille, plus on gagne de l’argent, plus la société s’enrichit, plus tout va aller pour le mieux pour ses membres. Le travail est défini comme le fondement même du développement de la société, des richesses, de l’économie.
Karl Marx examinait le travail à partir de sa fonction sociale. On est humain à travers ce que le travail va permettre d’exprimer. Le travail ne doit donc pas être exclu de l’activité humaine, il doit au contraire être valorisé parce que c’est en tant que travailleur qu’on existe comme être humain.
Au XIXe siècle, s’est produit un changement très concret dans le monde économique. Le développement et la construction de toutes les grandes usines, des mines, de la sidérurgie, conduit à la création d’un nouveau type de travailleur : le salarié, ouvrier dans ces industries. On peut se demander si l’évolution des idées ne sert pas à sous-tendre, à légitimer, l’évolution des pratiques. Il semble avoir été nécessaire de justifier la valeur que peut avoir le fait de travailler en usine. On observe en effet une concordance à la fois des idées et de l’évolution des pratiques.
Dans le système paternaliste, l’objectif est de prendre totalement en charge les ouvriers, en s’occupant de leur fournir un travail, en faisant en sorte que le travail ne les détruisent pas complètement, et en leur permettant d’avoir des enfants qui seront aussi des « bons travailleurs ». Il y a une prise en charge quasi-totale de la vie des gens. Dans les bassins miniers, par exemple, l’école, le système de protection sociale, sont gérés par l’entreprise minière, le logement est fourni, même l’église a été construite par la mine. Le mineur qui travaille dur peut aussi compléter son salaire dans son petit jardin et compenser, en plein air, les effets néfastes du travail. Les sociologues Murard & Zylberman (1976) indiquent que les employeurs essayaient ainsi de former des « petits travailleurs infatigables ».
De nos jours, les entreprises n’arrivent plus à raisonner à si long terme, elles ne peuvent pas s’engager dans des investissements si lourds et conséquents pour prendre en charge la totalité de la vie du travailleur. Il faut aussi évaluer les effets négatifs de ce paternalisme. Quand les mines se sont arrêtées, beaucoup de suicides ont été constatés parce que les gens considéraient qu’ils n’étaient plus rien. Alors qu’ils avaient une maison dans laquelle ils étaient nés, qui leur appartenait presque, ils ont dû la quitter ou la racheter, ils n’avaient, plus de sécurité sociale spécifique, ni d’espoir que leurs enfants intègrent un jour l’entreprise. Beaucoup d’éléments qui structuraient leurs vies disparaissent, conduisant à un effondrement psychologique.
On peut également évoquer le cas, par exemple, des « usines pensionnats » pour les jeunes filles, qui y entraient vers 13-14 ans. Elles étaient encadrées par des religieuses qui s’occupaient aussi de leur apprendre la cou- ture, la cuisine en plus du travail ouvrier (tissage). Jeunes femmes, elles sortaient, de ces usines pensionnats avec un « trousseau » complet, et elles pouvaient se marier. C’était donc une main d’œuvre très bon marché, avec une morale et une éducation religieuse, à qui on apprenait toutes les bonnes manières, ce que devait être une femme etc. Cet « enseignement » a existé jusqu’en 1974 dans la région lyonnaise.
On a donc transformé, au XIXe siècle, le travail en quelque chose d’essentiel, jusqu’à le considérer comme « naturel ». Comme si c’était quelque chose de fondamental pour l’être humain, comme s’il existait une « nature anthropologique du travail ». Il s’agit d’une construction sociale qui peut être située à une époque précise et qui correspond au développement de la société industrielle. C’est-à-dire à un moment où on a besoin de former une nouvelle catégorie de travailleurs, qui ne sont plus des paysans, ni des artisans, qui sont des ouvriers salariés, c’est-à-dire des gens qui ne possèdent pas d’outils de travail mais qui louent contre un salaire leur force de travail.