Le travail en chiffre : les conditions de travail
Les conditions de travail correspondent aux différents éléments qui font qu’un poste de travail est plus ou moins difficile, contraignant pour le travailleur. Quand ces conditions sont mauvaises, des atteintes à la santé (physique et psychique) peuvent en résulter. La question est donc très importante lorsque l’on considère le fait que rien ne justifie qu’un salarié puisse souffrir de la situation de travail dans laquelle il se trouve même si, d’un autre côté, il est difficile d’espérer, dans tous les cas, qu’il s’y développe et prenne du plaisir.
Pour un travailleur donné, ces éléments comprennent un ensemble de contraintes :
- Liées aux exigences de la tâche : complexité, diversité, délais, interruptions, cadences, horaires, etc.
- Liées à la conception du poste de travail : aménagement, outils mis à disposition, mode de présentation des informations, etc.
- Dans un environnement physique particulier : bruit, éclairage, ventilation, toxicité, humidité, vibrations, etc.
- Et un environnement psychosocial : relations avec les collègues et la hiérarchie, statut, rôle, reconnaissance, pouvoir, etc.
- Influencés par des facteurs extraprofessionnels : conditions de vie, trajets, etc.
Face à ces contraintes, le travailleur a des capacités opérationnelles ou de réserve dépendantes :
- de ses caractéristiques : âge, état de santé, compétences, personnalité, etc.
- de son état fonctionnel : fatigue, stress, rythmes biologiques, niveau de vigilance, etc.
- influencées également par des facteurs extraprofessionnels.
De la combinaison des contraintes du poste et des capacités du travailleur résulte une charge de travail qui comprend trois dimensions :
- La charge physique que l’on peut assez bien évaluer, soit en mesurant la nature de l’effort demandé (exemple : nombre de kilos soulevés par jour), soit en examinant les conséquences de cet effort (exemple : fréquence cardiaque).
- La charge mentale qui correspond à l’activité cognitive (prise d’information, calculs, décision, etc.) nécessaire pour effectuer la tâche. Sa mesure est délicate et souvent grossière. On peut, par exemple, rajouter une tâche et observer si le travailleur a encore des réserves ou s’il y a « surcharge mentale », observable quand les erreurs se multiplient. Comme l’activité mentale n’est pas directement visible par les prescripteurs (la hiérarchie), il n’est pas rare que ceux-ci soient tentés de rajouter des tâches sans percevoir que les réserves de capacité cognitive sont épuisées, avec des conséquences qui peuvent être dramatiques (exemple : trop d’informations qui entraîne une mauvaise décision suite à un incident dans une centrale nucléaire…).
- La charge psychique correspond aux difficultés rencontrées par le travailleur quand il manque d’autonomie, de reconnaissance, qu’il ne peut réaliser son activité comme il le souhaite voire quand ce travail manque de signification ou est fortement dévalorisé par la société. Les effets relèvent alors plus de symptômes de type psychopathologique (insomnies, dépression, ruminations, souffrance psychique, etc.).
Ces contraintes, capacités et charges de travail forment un système où les éléments sont en interaction les uns avec les autres avec des éventuels effets modérateurs ou amplificateurs de certaines conditions de travail sur les autres.
Différentes enquêtes permettent de retracer l’évolution de ces conditions de travail dans les trente dernières années. Auparavant, il faut reconnaître que cette préoccupation, pour laquelle nous disposons néanmoins de témoignages, est souvent restée au second plan, les salariés comme les employeurs allant jusqu’à préférer des primes de risque ou d’insalubrité plutôt qu’un réel effort de diminution de ces risques.
Le ministère du travail français réalise tous les sept ans, depuis 1977, une enquête sur les conditions de travail. Avec l’aide des médecins du travail, sont effectuées également des enquêtes sur les expositions aux risques et pénibilités du travail (enquêtes SUMER). La Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail conduit également tous les cinq ans, depuis 1990, des enquêtes qui permettent de comparer les conditions de travail, et leurs évolutions, dans les différents pays de l’union. On peut citer aussi l’étude « Belstress » en Belgique ou celle sur les coûts du stress en Suisse, par exemple. Un certain nombre de résultats convergent, malgré les différences entre pays, qui peuvent souvent s’expliquer par l’évolution des formes d’organisation du travail mais aussi par une perception plus aiguë des problèmes posés par les conditions de travail parmi la population.
Les pénibilités physiques ainsi que celles liées à la manipulation de produits dangereux n’ont pas autant diminuées, au cours du XIXe siècle, que l’on pourrait le croire. En effet, les bénéfices apportés par les machines et l’automatisation n’empêchent pas l’apparition de nouvelles contraintes (de rythme, d’attention, par exemple) et ne peuvent concerner tous les postes de travail. Souvent quand une machine est déréglée, qu’il faut la nettoyer, les ouvriers de maintenance et d’entretien s’exposent à de nombreux risques. Avoir à déplacer des charges lourdes concerne 37 % des travailleurs européens en 2000 contre 31 % en 1990. Ces proportions sont supérieures pour les intérimaires et les personnes en contrat à durée déterminée. Les troubles musculo-squelettiques liés à des gestes répétitifs ont également tendance à augmenter et représentent la maladie professionnelle la plus répandue. En effet, non seulement ces gestes répétitifs n’ont pas disparu mais ils sont maintenant effectués dans des conditions de rythme, de contrainte, sans possibilité de prendre des temps de repos, qui accentuent les atteintes physiques. La caissière de supermarché a bien un tapis roulant, un lecteur optique, qui devraient lui faciliter le travail, mais elle a aussi des normes qui concernent la vitesse de passage d’un client et une surveillance permanente de son activité qui ont rendu plus critique le geste pourtant allégé par les automatismes et l’informatique. Le travail taylorien, répétitif a envahi les activités tertiaires (téléopérateurs, employés administratifs, caissières, etc.) et n’est plus réservé aux ouvriers de l’industrie.
Beaucoup d’atteintes physiques sont aussi liées à des conditions de travail où le salarié manipule ou est environné de produits dangereux. L’amiante en est le plus bel exemple qui provoque un type de cancer (mésothéliome) qui entraîne des milliers de décès chaque année en France. Et l’évolution de nos technologies permet de créer de nombreuses molécules dont les effets sur la santé sont loin d’être maîtrisés et prévisibles. Ainsi, de nombreux chercheurs s’interrogent sur les fibres qui sont maintenant utilisées pour remplacer l’amiante. En Europe, une directive oblige les industriels à mieux gérer les substances chimiques qu’ils utilisent mais il reste beaucoup à faire en ce domaine.
Le poids des prescriptions, c’est-à-dire le fait de dire au travailleur exactement quels sont les différents gestes, tâches, procédures à appliquer dans le travail, semble reculer. Les emplois où il n’est pas possible de faire varier les délais, où c’est la machine qui règle le rythme de travail, ont tendance à être un peu moins nombreux. Il semble que l’autonomie se développe un peu mais il faut mettre en rapport cette évolution avec la très forte croissance des situations de travail où le salarié doit s’interrompre, réorganiser son travail pour s’adapter aux demandes des clients. L’autonomie dans la façon de faire son travail peut donc s’accompagner d’un accroissement des dépendances (aux collègues, aux clients).
Les contraintes de rythme sont particulièrement fortes lorsqu’il y a une demande à satisfaire immédiatement. Les années 1980 ont vu se développer des formes d’organisation en « juste à temps » où l’activité de chacun subit une pression non pas liée à des ordres hiérarchiques mais à un processus reposant sur la nécessité de satisfaire le plus rapidement possible les demandes des clients qui remontent toutes les étapes de ce processus.
aux demandes, d’essayer d’atteindre des objectifs toujours croissants, de devoir faire face aux nombreuses réorganisations. On comprend que les conséquences sur la santé sont importantes, 28 % des travailleurs européens déclarant manifester des symptômes de stress en 2000 (Merllié & Paoli, 2001).
Cependant cette évolution n’est pas inéluctable, l’argument d’une « nécessaire adaptation à la mondialisation de l’économie » est fallacieux. En effet, Askenazy (2004) montre qu’au USA, les entreprises ont réussi à inverser la tendance moyennant une responsabilisation des employeurs d’autant plus facile que le système de protection sociale les obligent à agir s’ils ne veulent pas augmenter le coût de leurs primes d’assurance. Une étude récente à partir des résultats de l’enquête française de 2005 sur les conditions de travail indique également une stagnation dans l’évolution de l’intensification du travail qui pourrait être due à la fin d’une période importante de changements organisa- tionnels qui avait débuté à la fin des années 1980 et/ou à un ralentissement de l’activité des entreprises (croissance moins forte en 2005 qu’en 1998, date de l’enquête précédente).
Les accidents du travail et les maladies professionnelles constituent, malheureusement, des éléments précieux pour comprendre les conditions de travail. Le nombre d’accidents du travail est en effet considéré comme un indicateur essentiel des contraintes qui pèsent sur les salariés. C’est le « haut de l’iceberg », la partie moins visible étant composée des presqu’accidents, incidents et, tout au fond, des décisions et choix qui font le quotidien des organisations. Le mode de gestion des salariés, les critères sur lesquels ils sont évalués ne sont pas sans lien avec ces accidents et incidents. Un travail sur une machine dangereuse mais qui est payé au rendement, en fonction des pièces produites, est « accidentogène », il pousse l’ouvrier à prendre des risques pour gagner plus, et les efforts pour mettre en place des protections sont souvent vains. La réduction des accidents est alors plus facilement obtenue en changeant le système de salaire.
En conséquence, le psychologue du travail a tout intérêt à suivre avec attention l’évolution de la nature et du nombre des accidents et arrêts maladies voire même des petites blessures enregistrées sur les cahiers de l’infirmerie de l’organisation. Ces informations le renseignent aussi sur les difficultés et dysfonctionnements de tel ou tel service et contribuent à définir les priorités de son action. Ces indicateurs doivent cependant être manipulés avec précaution, à la fois parce que tous les accidents et maladies professionnelles ne sont pas forcément déclarés et enregistrés mais aussi parce que de nombreux problèmes de santé se manifestent alors que les salariés ont quitté l’entreprise (par exemple, les cancers professionnels).
Les spécialistes de la sécurité au travail utilisent principalement les indicateurs suivants :
- Le taux de fréquence : rapport entre le nombre d’accidents avec arrêt de travail multiplié par 1000 sur le nombre d’heures travaillées. On peut l’affiner en examinant aussi le nombre d’accidents déclarés (y compris lorsqu’il n’y a pas d’arrêt de travail) et le nombre d’accidents enregistrés (dans les cahiers de l’infirmerie par exemple).
- L’indice de fréquence ramène le nombre d’accidents avec arrêt, multiplié par 1000, au nombre de salariés.
- Le taux de gravité des accidents est le rapport entre le nombre de journées perdues (arrêts de travail), multiplié par 1000, sur le nombre d’heures travaillées. Dans ce cas, un accident mortel est compté pour 6000 journées perdues et une incapacité permanente de travail est comptabilisée en multipliant le taux d’incapacité par 6000 journées.
Les données de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie indiquent par exemple qu’en 1955 l’indice de fréquence pour la France entière était de 117,8 contre 49 en 1987 mais 52,8 en 1990. On avait 0,209 accidents mortels pour 1000 salariés en 1955 contre 0,052 en 1986 et 0,084 en 1990. Ces indicateurs montrent ainsi, comme pour les enquêtes évoquées précédemment, qu’après des progrès importants en matière de conditions de travail jusqu’au milieu des années 1980, une dégradation s’est produite ensuite.
Selon les catégories socioprofessionnelles et les secteurs d’activités on observe des variations importantes du nombre d’accidents du travail et de maladies professionnelles. Ceci joue évidemment sur l’espérance de vie en fonction du métier. Le taux d’accident des ouvriers est cinq fois supérieur à celui des cadres. On constate aussi des différences entre les hommes et les femmes, les hommes sont plus souvent sur des métiers où il y a plus de risques.