Le travail en chiffre : le temps de travail
Dans les pays industrialisés depuis le XIXe siècle on observe une durée moyenne annuelle réelle du travail en baisse constante avec cependant un palier et une stagnation à partir des années 1980, d’après l’OCDE. Cette durée moyenne se situe actuellement dans ces pays dans une fourchette allant d’environ 1500h/an (Suède) à 2000h/an (USA). Les durées de travail sont en général plus importantes dans les plus petites entreprises, les durées légales étant mieux respectées dans les plus grandes. On observe également de grandes variations selon les secteurs. Les salariés du commerce ou de la restauration sont, par exemple, souvent obligés de dépasser largement les horaires hebdomadaires légaux sans pour autant être rémunéré en conséquence.
Le travail à temps partiel (moins de 80 % de la durée hebdomadaire légale) est très majoritairement réservé aux femmes et souvent utilisé par les entreprises comme une forme normale d’emploi, en particulier dans le secteur de la grande distribution. En France, les enquêtes de l’INSEE et du ministère du travail montrent que cette forme d’emploi n’est pas toujours un choix du salarié. Dans l’enquête de 1998, par exemple, 2 714 000 femmes sont à temps partiel et 469 000 hommes. Pour 71 % des hommes, le temps partiel était imposé dès l’embauche, contre 49 % pour les femmes. Celles-ci, lorsque c’est possible, ont pu faire ce choix pour éviter d’avoir à payer des frais de garde lorsque les enfants ne sont pas à l’école. Dans ce cas, le « choix » correspond bien souvent à une contrainte économique lorsque les salaires sont peu élevés. Pour le salarié, le temps partiel constitue souvent un obstacle à son développement professionnel (accès moindre à la formation, promotion limitée, suspicion sur l’engagement du salarié, etc.). Dans notre société l’homme doit avoir un « métier », la femme devant se contente d’avoir un « emploi ». Comme nous l’avons évoqué plus haut, des sociologues comme Maruani et Nicole-Drancourt (1989) montrent que, quand on regarde toutes les conditions d’emploi, les métiers (qualifiés, à plein temps, avec des possibilités de carrière) sont réservés aux hommes et les emplois («jobs » sans carrières sans qualifications, souvent à temps partiel) sont plutôt réservés aux femmes.
Un autre aspect important de la durée du travail concerne les horaires dits « atypiques ». En France, le Centre d’Étude de l’Emploi a pu montrer que ces horaires n’étaient pas si minoritaires ou atypiques :
- 50 % des salariés travaillent au moins un samedi par mois. Pour les employés des services et du commerce, la proportion est de 74 %.
- Un tiers travaille au moins un dimanche par mois (42 % dans les services et les commerces).
- Le travail de nuit concerne un salarié sur six et, en particulier, 35 % des ouvriers.
- 43 % des ouvriers ont des horaires postés (matin, soir, et/ou nuit).
- Plus de la moitié des cadres font au moins une journée par mois de plus de lOh.
Ce que l’on considère habituellement comme des horaires « normaux » (travail en journée du lundi au vendredi) ne concerne donc en fait que 30 % des salariés. 70 % des salariés ont au contraire des horaires décalés dans la journée, travaillent la nuit ou le dimanche, etc.
Les horaires dits « postés » correspondent à la nécessité, dans de nombreux secteurs, d’assurer une activité permanente, de jour comme de nuit voire le week-end : c’est le cas dans les secteurs de la chimie, de la santé, des
secours, etc. Mais le travail posté s’est aussi développé dans les industries qui souhaitent mieux utiliser leurs équipements car il est évidemment plus intéressant de faire travailler trois équipes sur une même machine que d’investir dans trois machines pour que tous travaillent en journée. Les cadres eux travaillent très peu en horaires postés, alors que chez les ouvriers qui travaillent dans l’industrie 42 % le font. Ce qui peut poser des problèmes de coordination, de mise à l’écart des salariés mais aussi une responsabilisation plus importante de ces salariés. Le travail posté dit « alternant » correspond au fait que le salarié n’occupe pas toujours le même poste au cours de l’année : on lui demande, par exemple, de travailler une semaine le matin, la semaine suivante le soir, la troisième semaine la nuit. Les conséquences de cette forme d’horaires sont catastrophiques sur le plan physique mais aussi psychologique. En effet, notre corps obéit à un rythme dit circadien dans ses différentes activités (sommeil, concentration, digestion, etc.). Le travail posté suppose déjà de modifier ce rythme mais lorsqu’en plus le changement de rythme s’opère chaque semaine, la régulation physique est impossible. De même, les activités familiales, les loisirs ont leurs propres rythmes auxquels le salarié en poste alterné ne peut plus du tout s’adapter. Le recours à des médicaments ne suffit pas à compenser les dérégulations physiques et le déphasage avec la vie familiale et sociale et de nombreux symptômes apparaissent fréquemment : problèmes digestifs, insomnie, dégradation du climat familial, etc. Si le travail posté peut intéresser certains salariés à des phases de leur vie (travail de nuit pour mieux s’occuper des enfants en journée), le psychologue du travail doit être attentif aux conséquences d’une telle organisation du travail et doit tout faire pour éviter les postes en alternance.
Sur les horaires, il y a aussi d’autres différences selon les catégories socioprofessionnelles. En général, les employés et les ouvriers commencent leur journée plus tôt et la finissent également plus tôt alors que les cadres commencent leur journée plus tard et terminent plus tard l’après-midi voire en soirée. En termes de management des organisations, il est intéressant de constater que les différentes catégories ne travaillent pas au même moment, ce qui ne facilite pas la coordination en début ou en fin de journée.
Les incidences de la vie au travail sur la vie hors travail sont donc très importantes. La complexité des différents rythmes sociaux a pu conduire certaines collectivités locales à la création de « bureaux des temps » pour essayer de mieux les harmoniser : horaires d’ouverture des services publics, fréquence des transports en commun selon le moment de la journée, accroissement des plages horaires d’accueil des enfants, etc.
La gestion des temps de travail par les salariés peut aussi être mise en rapport avec la répartition des tâches dans les couples. D’après une enquête « emploi du temps » réalisée par l’INSEE en 1999, les différents temps de vie moyens dans une journée (temps de sommeil, de repas, de loisirs, de travail, etc.) varient selon que les couples travaillent tous les deux (bi-actifs) ou qu’un seul membre du couple travaille (mono-actifs) :
- La moyenne pour les hommes dans un couple biacide de temps de travail est 6h37 et pour les femmes de 5h22, le temps de travail domestique (soin des enfants, achats quotidiens, etc.) est de lh29 pour les hommes et 3h51 pour les femmes.
- Lorsque la femme est à temps partiel (3h03 en moyenne), le temps domestique est en moyenne de 5h00.
- Dans les couples mono-actifs, les hommes ont en moyenne 6h39 de temps de travail et 1h15 d’activité domestique, les femmes travaillent 7 minutes et le temps de travail domestique est évalué à 6h59 pour elles.
L’idée d’une double activité des femmes apparaît clairement : même quand elles ont un emploi, le partage des activités domestiques avec leur conjoint est très loin d’être équitable. A cela, il faut ajouter que certaines femmes ont des horaires variables d’une semaine à l’autre (hôtesses de caisse mais aussi consultantes, par exemple) et qu’elles ont aussi alors souvent en charge une sorte de troisième activité consistant à organiser (garde des enfants) la compatibilité entre leurs activités de travail et les activités domestiques .