Le stress au travail : Les modèles comportementaux
Les premiers modèles proposés consistaient à repérer tous les événements de vie qui peuvent déclencher des réactions de stress ainsi que les « tracas quotidiens » qui peuvent plus ou moins directement amplifier ces réactions. La fameuse échelle de Holmes-Rahe propose ainsi une série d’événements négatifs (décès, licenciement, etc.) ou positifs (mariage, vacances, etc.) qui ont comme caractéristique d’instaurer une rupture dans la situation vécue par l’individu. Il
apparaît ainsi que le décès du conjoint est un des événements les plus stressants mais qu’organiser son propre mariage est également facteur de stress. Les petits problèmes quotidiens comme les temps de trajet, les factures à payer, la panne de la machine à laver, etc., viennent renforcer le stress lié à ces événements ou sont eux-mêmes rendus plus pénibles à supporter suite à ces événements de vie. Ce schéma se veut donc général, il se base sur une approche strictement behavioriste consistant à mettre en relation des stimuli (événements de vie et tracas quotidiens) et le niveau de réponse (stress) sans considération de la « boîte noire » (fonctionnement psychologique interne). Mais les individus ne réagissent pas tous de la même façon aux mêmes facteurs de stress. Il est donc nécessaire d’essayer d’ouvrir cette « boîte noire » pour examiner le cheminement psychologique qui conduit tel sujet à interpréter comme stressante une situation à laquelle un autre ne réagira pas de la même façon.
Le modèle cognitivo-comportemental de Beck (1976) apporte un enrichissement en introduisant les cognitions individuelles qui permettent de comprendre les émotions et les réactions comportementales des individus face à des stresseurs. Différents schémas cognitifs d’interprétation des situations ont pu ainsi être repérés qui ont tendance à accentuer l’effet des stresseurs :
– les pensées automatiques, comme par exemple : «je suis nul », « les choses ne se passent jamais comme prévues »
– des croyances irrationnelles : «je dois être aimé par tout le monde », « je dois être parfait », « le monde doit être juste », etc.
– des biais cognitifs : généralisation abusive, lieu de contrôle interne, biais de disponibilité, etc.
Le même stresseur peut donc être interprété de manière différente selon les individus et déclencher des réactions de stress plus ou moins importantes. En tant qu’enseignant, par exemple, il est toujours frappant de constater que certains étudiants se trouvent « nuls » s’ils n’ont pas au moins 17/20 de moyenne tandis que d’autres se satisfont de 11/20. On imagine facilement les variations de niveau de stress lorsqu’il leur est annoncé le report d’un examen final pour cause d’inondation de l’amphithéâtre.
Le modèle de Lazarus & Folkman (1984) : la double évaluation
Les comportementalistes et cognitivistes ont introduit l’idée qu’il y avait aussi des stratégies pour faire face au stress (stratégies de coping’). C’est-à-dire un certain nombre d’attitudes et de comportements habituellement déclenchés par un individu chaque fois qu’il rencontre une situation stressante. Ces stratégies ont pour objectif d’essayer de maîtriser, tolérer ou diminuer l’impact de la situation sur l’individu. Elles ne sont évidemment pas toutes efficaces, en particulier celles qui ne changent pas la situation qui a déclenché le stress :
– recherche d’une solution au problème
– évasion (ex. : regarder la télévision)
– soutien social (recherche d’aide, d’informations, soutien émotionnel, etc.)
– autocontrôlé
– fuite/évitement
– replanification (redéfinir ses priorités, réajuster son plan de travail)
– résignation/dénégation
– diplomatie (négocier)
– confrontation
– évolution personnelle (se former, lire des ouvrages spécialisés pour accroître ses compétences et mieux maîtriser la situation).
Lazarus & Folkman (1984) introduisent ainsi l’idée que face à une situation stressante, les individus procèdent à une double évaluation :
1. Une évaluation de la menace, du danger. Son résultat (positif ou négatif)
va enclencher le choix d’une stratégie d’ajustement.
2. Une évaluation secondaire sur la capacité à faire face à cette menace :
est-ce que la stratégie de coping sera suffisante ou pas ?
S’il y a à la fois menace et incapacité à faire face, la réaction de stress va alors se développer. Il peut également y avoir une troisième évaluation corres-
pondant en fait à une réévaluation de la situation en fonction d’informations nouvelles sur celle-ci.
Les apports de Karasek et Siegrist
Concernant l’étude du stress professionnel, le modèle de Karasek & Theorell (1990) a connu un succès important, non seulement dans les milieux spécialisés mais aussi parce qu’il permet assez facilement et avec une bonne validité d’être utilisé sur de nombreux postes de travail et dans des études épidémiolo- giques. Les travaux des auteurs ont permis également de valider le lien entre certaines caractéristiques des postes de travail et les maladies cardiovasculaires.
Ce modèle repose sur le croisement de deux dimensions des postes de travail :
– la demande (job demands), c’est-à-dire les exigences, les délais à respecter, la complexité du poste de travail, la prévisibilité des tâches, la fréquence des interruptions ;
– le contrôle (job decision latitude), c’est-à-dire la possibilité pour le travailleur d’avoir suffisamment, de marges de manœuvre, de compétences, de possibilités de prendre des décisions ou de modifier la situation, pour faire face aux exigences du poste.
En croisant ces deux dimensions, on peut ainsi repérer des postes très « actifs », où les exigences sont élevées mais le contrôle suffisant (dirigeants, ouvriers professionnels, par exemple). À l’inverse, il existe des postes « passifs » où les exigences sont faibles et le contrôle également (gardien de phare, par exemple). Les postes à faible « tension » sont ceux où le contrôle est très élevé mais les exigences faibles (éclusier, par exemple).
C’est évidemment pour les postes où les demandes sont très élevées et les possibilités de contrôle sont faibles que l’on trouve les situations les plus stressantes et, à long terme, des risques cardiovasculaires. Karasek évoque, dans ce cas, des métiers tels que : téléopérateur, serveur, soignant. On note que, contrairement aux représentations du sens commun, ce ne sont pas les cadres et managers qui vivent le plus de stress. Les métiers où les personnes sont en quelque sorte « coincées » entre des demandes importantes et la difficulté à y faire face sont plus souvent des métiers moins qualifiés. Ce que confirment les enquêtes épidémiologiques sur les atteintes à la santé et l’espérance de vie selon les professions (cf. Gollac & Volkoff, 2000).
Plus récemment, Karasek et ses collègues ont intégré dans leurs questionnaires une troisième dimension : le soutien social (social support’). En effet, il semble que cette dimension joue un rôle modérateur par rapport au stress. Un soutien social important trouvé par les travailleurs dans leur entourage de travail (collègues et hiérarchie) permet d’atténuer les effets négatifs d’un poste stressant. Ce soutien peut concerner un apport instrumental pour faire face à un problème, un apport de biens et d’informations ou un soutien émotionnel. Cependant, les auteurs n’intègrent pas dans leur modèle (et dans le questionnaire) l’idée que le soutien puisse venir aussi du milieu extraprofessionnel.
Nous évoquerons un dernier modèle relatif au stress professionnel qui a la particularité de permettre de faire le lien avec les approches en termes de psychodynamique du travail examinées précédemment.
Siegrist (1996) introduit en effet l’idée que le stress est le résultat d’un déséquilibre entre les efforts du travailleur et la reconnaissance et les récompenses (rewards) qu’il en obtient. Il ajoute également l’idée que le niveau d’effort n’est pas seulement lié au poste de travail mais aussi aux caractéristiques du travailleur (sa personnalité, ses schémas cognitifs, ses contraintes extraprofessionnelles, etc.).
Le déséquilibre entre effort et récompense (effort-reward imbalance) résulterait de la combinaison de ces trois dimensions :
1. L’effort extrinsèque, très proche de la dimension « exigences » de Karasek : pression temporelle, fréquence des interruptions, niveau de responsabilité, dépassements horaires, demande physique, accroissement de la charge de travail.
2. La faiblesse des récompenses : reconnaissance (respect, soutien inadéquat, traitement injuste) salaires et contrôle du statut (possibilités de promotion, changement non désiré, insécurité d’emploi, inconsistance du statut).
3. L’effort intrinsèque : besoin de contrôle, recherche d’approbation, esprit compétitif, irritabilité excessive, difficulté à s’extraire du travail.
Une réponse pour "Le stress au travail : Les modèles comportementaux"
En complément de ces modèles comportementaux, voici quelques livres de base pour approfondir le stress au travail à travers d’autres modes d’entrée dans ce vaste sujet :
– DEJOURS, »Travail, usure mentale », Ed.Bayard. Sur la psychodynamique du travail.
– BAUGÉ et PIERREJEAN, »Mal-vivre au travail », Ed.Paulo-Ramand. Sur le stress et le harcèlement au travail.
– GOLLAC et VOLKOFF, »Les conditions de travail », Ed.La Découverte. Sur les conditions de travail.