Le stress au travail
Si les travaux de psychopathologie et psychodynamique du travail sont partis de l’hypothèse que certaines formes d’organisation du travail pouvaient être à l’origine de pathologies psychiques, les recherches sur le stress professionnel ont, d’une certaine façon, cheminé dans le sens inverse. À partir du constat fait par Selye de l’existence d’une réaction physiologique de stress chez tous les êtres vivants (et pas seulement les humains), les chercheurs ont reconstitué les facteurs qui pouvaient enclencher cette réaction jusqu’à arriver à l’organisation du travail.
Définitions
Etymologiquement le mot « stress » (Rey, 1992) vient du latin classique : stringere (tendre raide, étreindre, serrer, resserrer), devenu en latin populaire : strectiare et en ancien français : estrecier, estressier, estrece (étroitesse, oppression), destrece (détresse). En anglais du XIIIe siècle le mot distress signifie « affliction ». Au XIVe siècle on trouve le mot stress (épreuve, affliction, pression, contrainte, surmenage) qui est ensuite utilisé en métallurgie (résistance des métaux à une tension) et en linguistique (accentuation).
En 1936, l’endocrinologiste canadien Hans Selye l’utilise pour désigner la réponse générale de l’organisme aux agressions et émotions nécessitant une adaptation. À partir des années 1950 le français reprend le mot stress et, dans les années 1960, il s’utilise très couramment ainsi que stresser (au passif : s’inquiéter, être angoissé, tendu), stressant (qui détermine une agression). D’autres mots ont la même racine latine : étroit, strict, strette (stretto, stretta : mouvement musical plus rapide).
D’autres notions anglo-saxonnes sont liées au développement des travaux sur le stress :
– Daily hassles : les tracas quotidiens qui favorisent le stress.
– Life events : les événements de vie (mariage, décès, naissance, déménagement, etc.) considérés comme des facteurs importants de stress.
– Job strain : tension, effort, fatigue, surmenage au travail.
Bum-out : épuisement professionnel (« brûlure interne »). On utilise ce mot plutôt dans le cas des professions émotionnellement pénibles (infirmiers, policiers, travailleurs sociaux, etc.) du fait d’un travail essentiellement effectué en rapport avec d’autres êtres humains. L’épuisement, physique et psychologique, se manifeste par une fatigue intense, des douleurs diffuses, des troubles du sommeil ainsi qu’un sentiment de déshumanisation, un détachement émotionnel et une indifférence à la souffrance des autres. Le discours est marqué par l’expression d’un désenchantement vis-à-vis du métier et d’un grand
– sentiment d’inutilité.
– Post-traumatic stress disorder (stress post-traumatique) : fréquemment rencontré chez les personnes ayant subi des violences psychologiques importantes (hold-up, agressions et insultes par des usagers, bouc émissaire d’un groupe de travail, etc.) ce trouble se manifeste par la reviviscence de certaines scènes (« flashback ») des difficultés d’endormissement et cauchemars, des réactions de sursaut exagérées, des ruminations et l’évitement des situations qui pourraient rappeler le traumatisme.
– Bullying (Adams, 1992) : tyranniser, persécuter, intimider.
– Mobbing (Leymann, 1993) : « enchaînement, sur une assez longue période, de propos et d’agissement hostiles, exprimés ou manifestés par une ou plusieurs personnes envers une tierce personne » (du verbe « to mob » : assaillir, assiéger).
Bullying et mobbing correspondent à la notion, maintenant inscrite dans le droit français, de harcèlement moral.
Le japonais nous a fourni aussi le mot Karoshi qui signifie « mort par épuisement au travail ». Des charges de travail importantes, des vacances très courtes, des horaires excessifs, des conditions de vie difficiles et l’obligation de ne pas perdre la face, de ne jamais dire non, conduisent ainsi à des réactions de stress excessives : accident cardiaque, suicide, aplasie surrénalienne (destruction des glandes surrénales).
Le Bureau International du Travail estimait, il y a quelques années, les coûts du stress aux USA à environ 150 milliards de dollars. Ce coût comprend, par exemple, l’absentéisme, la faible productivité, la consommation de médicaments et les autres dépenses médicales. Ce qui est quinze fois plus important que le coût des journées de grève et correspond à 500 millions de journées de travail perdues du fait des maladies liées au stress. Des enquêtes effectuées en Suisse et en Belgique arrivent à des chiffres comparables. Les personnes stressées, qui représentent en général de 25 à 30 % des travailleurs ont en effet plus de maladies cardiovasculaires, se nourrissent de façon moins équilibrée et ont plus de problèmes de consommation d’alcool et de drogues. A cela s’ajoutent
souvent des difficultés avec les collègues (agressivité) et plus de troubles physiques (accidents).
Le problème du stress professionnel est donc loin d’être anecdotique et concerne très directement l’action des psychologues du travail et des organisations. Askenazy (2004) tend à montrer qu’il est possible d’agir sur les facteurs de stress. Le système américain de soin crée un lien très étroit entre l’état de santé des travailleurs et les primes d’assurance santé que paient leurs employeurs. En conséquence, des efforts importants ont été conduits par certaines entreprises pour essayer d’alléger certaines conditions de travail. La consommation excessive de médicaments psychotropes en France devrait également inviter à se pencher sur ce problème car il est difficile de nier le lien entre cette consommation et les conditions de travail dans les organisations.