Le Rire : Le XVIIe siècle avec Descartes, Spinoza et Hobbes.
Descartes
Dans Les passions de l’âme, Descartes propose une définition physiologique du rire et identifie quelques éléments psychologiques participant à son éclosion sans développer ses causalités. Le rire lui apparaît comme une des principales expressions de la joie.
Cependant elle ne peut l’induire que si elle est modérée et quand elle s’associe à un effet de surprise devant l’inattendu et/ou quelque émotion de haine et de mépris de ce dont on rit.La moquerie ou dérision intègre, selon lui, ces trois composantes psychiques et constitue une forme classique de risible :
« La dérision ou moquerie est une espèce de joie mêlée de haine, qui vient de ce qu’on aperçoit quelque petit mal en une personne qu’on pense en être digne. On a de la haine pour ce mal, et on a de la joie de la voir en celui qui en est digne. Et lorsque cela survient inopinément, la surprise de l’admiration est cause qu’on s’éclate de rire, suivant ce qui a été dit ci-dessus de la nature du ris.
« Mais ce mal doit être petit, car s’il est grand, on ne peut croire que celui qui l’a en soit digne, si ce n’est qu’on soit de fort mauvais naturel ou qu’on lui porte beaucoup de haine. »
Ainsi, Descartes aura suggéré des hypothèses sur la physiologie et les causalités psychiques du rire sans les conceptualiser. Il s’inscrit dans la tradition grécolatine pour laquelle le rire associe plaisir et agressivité, le risible se situant dans un registre de dégradation et de dévaluation.
Spinoza
De même que l’amour et le plaisir, le rire et la plaisanterie sont, pour Spinoza, « une joie pure », qui, sans excès, sont bénéfiques pour l’homme, son corps et son esprit. En revanche, la raillerie, l’envie, le mépris, la colère se ramenant à la haine ou en découlant, sont des maux.
Il identifie le rire, manifestation de la joie et du plaisir vécus par l’homme, à un signe de puissance de l’âme et d’épanouissement de l’être donc à une des modalités de « participation de la nature divine ».
« Plus grande est la joie dont nous sommes affectés, plus grande est la perfection à laquelle nous passons, c’est-à-dire plus
il est nécessaire que nous participions de la nature divine. Il appartient à l’homme sage d’user des choses, d’y prendre plaisir autant qu’il est possible… »Ainsi, contrairement à la tradition chrétienne médiévale, pour Spinoza, la joie comme le rire sont en Dieu.
Hobbes
Hobbes apparaît comme le principal auteur d’une des grandes théories du rire, celle du sentiment de supériorité du rieur. Cependant, ses commentateurs ont réduit son discours à cette seule conception du triomphe du rieur vis-à-vis de l’objet risible dévalué bien qu’il ait formulé d’autres idées tout aussi intéressantes sur le sujet. Exposons-les.
Tout d’abord, le rire est une expression faciale signalant la joie donc s’affirme être une expression émotionnelle spécifique.Quelles sont la nature et les causalités de cette joie ?
Hobbes tente d’y répondre.Il faut que ce qui excite le rire soit nouveau et inattendu ce qui sera partiellement développé et conceptualisé par Kant.
Il établit alors clairement une relation entre le rieur mis en position soudaine de maîtrise et de triomphe narcissique et l’objet risible représenté par les insuffisances actuelles de maîtrise d’autrui ou anciennes du rieur.
Voici sa formulation concluant son raisonnement :
« On pourroit donc en conclure que la passion du rire est un mouvement subit de vanité produit par une conception soudaine de quelque avantage personnel, comparé à une faiblesse que nous remarquons actuellement dans les autres ou que nous avions auparavant. »
Il évoque aussi l’agressivité manifeste du rire et de la dérision associée au sentiment de triomphe de même que les réactions légitimes de colère des personnes ridiculisées, blessées.
«… Les hommes s’offensent grièvement quand on les tourne en ridicule, c’est-à-dire quand on triomphe d’eux. Pour plaisanter sans offenser, il faut s’adresser à des absurdités ou des défauts, abstraction faite des personnes et alors toute la compagnie peut se joindre à la risée. »
Enfin, après avoir exposé ses conceptions sur le rire et le risible marquées par la maitrîse et le triomphe narcissique du rieur associés à une agression de l’objet risible, il énonce un jugement d’ordre moral bien négatif sur la raillerie ou dérision, à l’instar de Descartes et Spinoza.