Le mythe du psy au cinéma: l'époque moderne
Jusqu’aux années 1960, le psy est donc un personnage positif, puis la situation se détériore. Le film de John Huston, Freud, passions secrètes, qui sort en 1962, est un échec au box-office. Le XXe siècle entre dans une autre période, particulièrement féconde et créative. Le romantisme n’est plus de mise, et la contestation sociale s’exprime sous toutes ses formes. Le psy, garant de la réalité et de la santé mentale, qui expulse les monstres de l’inconscient, laisse la place à une figure plus ambiguë. D’exorciste, il devient Diable. De scientifique, il devient manipulateur. De sain d’esprit, il se transforme en fou. De chaste, il devient la terreur des divans. La période moderne va de 1962 au milieu des années 1990. Lentement mais sûrement, l’image se dégrade, depuis les premiers films de Woody Allen et les remakes de Hitchcock par Brian de Palma jusqu’aux mélos-psy actuels d’Hollywood, lourds et parodiques. Deux thèmes majeurs dominent : celui du psychiatre fou et celui des relations sexuelles entre patients et thérapeutes.
Le psychiatre fou et le flic angélique:
L’image du psychiatre fou va permettre de mélanger deux genres : le film policier et le film psy.
Le psychiatre fou se double souvent d’un assassin banal ou d’un serial-killer qui assouvit ses instincts sous le couvert de sa profession. Ce thème se retrouve aussi bien dans Pulsions de Brian de Palma (1981), que dans Le Silence des agneaux (Jonathan Demme, 1990) et Hannnibal (Ridley Scott, 2001). Le succès de ces deux derniers films qui présentent le psy, Hannibal Lecter, comme un serial-killer cannibale, repose sur un contraste manichéen opposant la sombre figure du psy à l’image lumineuse et courageuse d’une femme policière qui doit descendre dans les gouffres de la folie pour remettre un peu d’ordre dans ce monde. L’image du bon flic a remplacé celle du bon psy de la période précédente.
Les nuits avec mon thérapeute:
Gabbard, en 1999 a recensé dans la production d’Hollywood le nombre, imposant, de films dont le ressort dramatique est la sexualité entre psychanalystes et patients. Le personnage du psy (homme ou femme) se situe toujours dans un climat fortement érotisé et de manipulation mutuelle. Il existerait au moins 17 films où un thérapeute tombe amoureux d’une patiente contre 27 où une thérapeute tombe amoureuse d’un patient. Dans 32 films, un thérapeute de sexe masculin traite avec efficacité une femme. Beaucoup de films cités par Gabbard n’ont pas été diffusés en France.
Vu le nombre de scénarios de ce genre, je me contenterai d’examiner un seul film, un standard : Sang chaud pour meurtre de sang froid de Phil Joanou (Final Analysis, 1992). Il a toutes les caractéristiques d’une production hollywoodienne de l’époque : un casting prestigieux, un mélange de sexualité torride et de psychologie des profondeurs et une démarcation peu habile des grands maîtres du cinéma.
Sang chaud pour meurtre de sang froid:
Un psychanalyste est piégé par deux sœurs, dont l’une est sa patiente. Elles le font soupçonner d’un meurtre que l’une des deux a commis. Non seulement ce psychanalyste est ignorant : sa patiente lui raconte un rêve qui a été rapporté par Freud dans L’Interprétation des rêves sans qu’il le reconnaisse, mais il a une déontologie élastique, car la sœur de sa patiente devient sa maîtresse. Finalement, le psy ne doit son salut qu’à son sens de la manipulation psychologique. Il utilise un de ses patients, un délinquant, comme détective privé et découvre la vérité sur la meur-trière grâce à l’aide d’un policier noir, qui lui sauve la vie. L’image du psy, jouée consciencieusement par Richard Gere, est donc celle d’un professionnel incompétent, manipulateur, veule, et qui n’établit pas de limites très claires entre sa vie privée et sa vie professionnelle.
Cette histoire rocambolesque est une démarcation de Vertigo (Sueurs froides) de Hitchcock. Le moment de vérité dans Sang chaud pour meurtre de sang froid se situe dans un phare et reproduit la séquence finale de Vertigo où James Stewart doit monter un escalier dans une tour. De même, dans Vertigo, il y a deux femmes qui se ressemblent dont on se demande si ce n’est pas la même déguisée ; dans Sang chaud pour meurtre de sang froid, il s’agit de deux sœurs. Enfin, la partition musicale de Sang chaud est un hommage plus qu’appuyé à celle de Bernard Hermann dans Vertigo, qui était elle-même une démarcation habile de la fin de Tristan et Isolde de Richard Wagner.
Le thème des relations sexuelles entre patients et psychothérapeutes est ancré dans la réalité. Il repose sur les statistiques de l’Association psychiatrique américaine qui a suspendu ou interdit définitivement d’exercice 113 membres entre 1981 et 19911 à la suite de plaintes de patients. Le plus souvent, la relation avait débuté durant la thérapie ou juste après. Dans 80 % des cas, les relations sexuelles avaient eu lieu entre un psychothérapeute et une de ses patientes.
L’Association américaine de psychiatrie a mis au point un programme de prévention, car il a été montré qu’il ne s’agissait pas de passages à l’acte rapides et sans réflexion, mais d’un dérapage progressif. Le conseil est donné aux thérapeutes qui ont le sentiment de glisser sur cette pente de chercher de l’aide ou une supervision pour reprendre de la distance. En France, selon l’Ordre des médecins, la section disciplinaire du Conseil national a eu à connaître une quarantaine d’affaires de ce type au cours des dix dernières années.
L’époque postmodeme:
Cette époque nous semble débuter avec les films récents de Woody Allen (Harry dans tous ses états, 1997) et de certains metteurs en scène français. De miroir, de référence scientifique, ou d’ambassadeur de la réalité, le psy devient un simple acteur de fantasmes dont on ne sait pas si ce sont ceux du patient, les siens propres ou ceux de la société. Ce psy imaginaire est une projection sur écran. C’est aussi une projection au sens psychologique du terme : il lui est attribué ce qui est à l’intérieur de la tête du metteur en scène qui représente à la fois le spectateur et la société. Le psy devient ainsi le reflet du malaise individuel et social. Il existe de moins en moins de distance entre lui et le patient. Psy et paranoïaque finissent par se confondre comme dans Passage à l’acte de Francis Girod (1996). L’ambassadeur de la réalité est désormais le flic qui mène l’enquête.