La valorisation récente du travail : une exception historique ?
On peut s’interroger sur la place prise par le travail dans notre civilisation. Il n’est pas rare d’entendre des discours qui en font une valeur en soi. On nous éduque pour devenir de bons travailleurs. On est une personne importante dans la société si on travaille beaucoup. Un détour par l’histoire et l’anthropologie apporte quelques éléments pour resituer cette valorisation du travail. Rappelons que les grecs avaient en quelque sorte mis à l’écart le travail qui était réservé aux esclaves et non aux véritables citoyens. La politique étant l’activité humaine noble par excellence. Plus largement, l’anthropologie montre en fait que le travail n’est quasiment jamais valorisé en tant que tel. M. Sahlins, dans son ouvrage «Age de pierre, âge d’abondance », explique qu’en observant les traces laissées par les hommes préhistoriques, on s’aperçoit qu’ils n’étaient pas du tout dans une situation de nécessité. Ils trouvaient suffisamment d’animaux, de fruits pour se nourrir, de grottes pour s’abriter, et donc avec une heure ou deux d’effort de travail par jour, ils arrivaient à vivre. J.Cauvin, un anthropologue spécialiste du Moyen-Orient, s’est interrogé sur le problème de la sédentarisation. Les nomades chassaient, cueillaient, mais n’avaient pas d’élevage ni d’agriculture. La sédentarisation a débuté entre 8000 et 10000 ans avant aujourd’hui. À cette époque, les nomades commencent à s’installer, construire des villages, l’agriculture se développe ainsi que l’élevage.
La question que se pose J. Cauvin, c’est quelles sont les raisons qui ont poussé ces êtres humains, à cette époque là, à se sédentariser. Ce n’était pas forcément un problème de pénurie alimentaire, ce n’était pas non plus une nécessité économique. Par contre, il constate l’apparition de signes montrant une évolution des mentalités, il observe des traces de rites et d’objets religieux. Les représentations du monde, de la vie humaine ont changé. Les hommes se sont sédentarisés pour pouvoir se consacrer à leurs rites religieux. Le travail n’était donc pas le fondement ni l’objectif de l’organisation sociale nouvelle mais plutôt la conséquence d’un changement dans les représentations qui a conduit à développer l’agriculture et l’élevage.
Dans beaucoup de civilisations, on ne trouve pas de mot équivalent au mot « travail », à cette activité d’effort. Tout ce qui est travail n’est pas distingué en tant que tel pour assurer la survie, c’est une activité qui, lorsqu’elle est fortement développée, s’intégre dans la volonté de s’affirmer, de montrer sa puissance. Le travail n’est donc pas si spécifique, ni naturel, ni typique de l’être humain.