La thérapeutique par le temps : Les embryons congelés
Le froid intense provoque le ralentissement des fonctions vitales jusqu’à cet état que les biologistes appellent « vie suspendue » : l’élément ainsi refroidi semble mort. Mais le réchauffement, effectué dans de bonnes conditions, lui rend toutes ses fonctions. C’est un phénomène comparable à celui que nous avons constaté chez des animaux et des végétaux
Les biologistes utilisent cette particularité pour conserver très longtemps au froid de petits fragments de l’organisme, comme des composants du sang, que l’on peut prélever chez un leucémique pendant une rémission de sa maladie, afin de les réinjecter en cas de rechute. On peut constituer ainsi des banques de cellules ou de tissus animaux ou humains, de globules du sang, de fragments d’os ou de vaisseaux sanguins, placés hors du temps pendant longtemps. On utilise cette technique pour conserver le sperme ou même les embryons des animaux, depuis plus d’un demi-siècle déjà. Ce qui permet de pratiquer des inséminations artificielles, souvent plus commodes pour !’éleveur, mais aussi de sauver de la disparition des races menacées et d’en améliorer d’autres, en manipulant, comme on sait désormais le faire, les gènes de ces embryons congelés. Des biologistes ont rêvé de faire revivre des espèces disparues et dont des éléments étaient conservés au froid, comme les mammouths retrouvés dans les glaces de Sibérie. Mais tous les essais ont jusqu’à présent échoué. Jurassic Park restera sans doute pour longtemps dans le domaine de la fiction.
Le sperme humain, gardé dans des récipients d’azote liquide, à – 196 °C, reste intact pendant une durée pratiquement illimitée. Le record actuel est de vingt et un ans, temps pendant lequel a été conservé en Grande-Bretagne le sperme d’un adolescent de dix-sept ans atteint d’un cancer, grâce auquel, ensuite, il a pu concevoir un enfant. Ce record sera certainement battu. Les médecins répondent ainsi à la demande des hommes qui souhaitent que l’on conserve leur sperme parce qu’ils doivent subir un traitement anticancéreux ou une intervention chirurgicale qui risquent de les laisser stériles. Une fois guéris, ils pourront récupérer leur semence et concevoir des enfants. Mais s’ils meurent, que faut-il faire du sperme conservé ? Des veuves ayant souhaité l’utiliser pour procréer, une vive controverse s’est engagée, il y a quelques années, sur la justification éthique de cette pratique, laquelle a finalement été condamnée.
Les embryons congelés défient eux aussi le temps, car ils peuvent être conservés au froid de nombreuses années. Ils sont fabriqués par des couples qui souhaitent avoir un enfant par l’une des méthodes artificielles de fécondation, désormais utilisées lorsque se pose un problème qui interdit la procréation naturelle. Des dizaines de milliers d’enfants sont déjà nés, dans le monde, à partir d’embryons congelés. Mais, ici encore, de difficiles questions d’éthique se posent, car on produit, par précaution, davantage d’embryons qu’il n’en faudra à la future mère pour obtenir un enfant. D’autre part, il arrive que les parents parviennent, entre-temps, à procréer de manière naturelle. Que faut-il faire, alors, des dizaines de milliers d’embryons baptisés « surnuméraires » qui encombrent désormais les congélateurs des centres d’insémination artificielle ? On en compterait entre cent mille et deux cent mille – mille de plus chaque mois – en France : ils sont quatre cent mille aux Etats-Unis. En faire don à d’autres couples stériles ? Les détruire ? Les offrir à la science qui les réclame pour des recherches importantes, dont celles sur les cellules-souches, dont on a vu l’intérêt ? Cette dernière solution a été retenue en France par le Comité national d’éthique et le Parlement, mais le don à d’autres couples est aussi autorisé, sous des conditions très strictes. Il faut éviter, disent les spécialistes, que la congélation d’embryons puisse devenir un moyen de procréation, et que s’installe une sorte de commerce de ces embryons, qu’on en produise, par exemple, pour la recherche. Le statut de l’embryon est un objectif clair du Code civil, a déclaré un ministre de la Santé
On peut aussi congeler des ovocytes, des ovules féminins fécondés, mais la technique est moins sûre et beaucoup moins utilisée. En revanche, une équipe médicale belge a réussi une première mondiale en 2004 : obtenir une fécondation chez une femme à laquelle on avait greffé un fragment de son ovaire contenant des ovules non mûrs, et qui avait été conservé au froid plusieurs années. Cette jeune femme était atteinte de la maladie de Hodgkin, une forme de leucémie qui se guérit désormais, mais au prix de traitements stérilisants. Débarrassée de sa maladie six ans après le prélèvement de son fragment d’ovaire, et désireuse de devenir mère, la jeune femme demanda qu’on lui réimplante son morceau d’ovaire, lequel a repris sa fonction normale, et produit l’ovocyte qui a permis la fécondation