L'approche formelle des organisations du travail
D’autres recherches sur les organisations concernent la question suivante : qu’est-ce qui peut expliquer la forme que prend une organisation ? Dans certains secteurs, les organisations seront plutôt bureaucratiques, dans d’autres secteurs, elles seront plus souples. Certaines sont très petites et nombreuses, d’autres immenses et en nombre limité. Elles peuvent être très anciennes et stables ou l’inverse. Il s’agit alors de caractériser ces différentes formes d’organisations et d’examiner les variables principales qui influencent la construction de ces formes.
Woodward (1965) a ainsi essayé de classer les organisations en fonction du type de production. À une extrémité on trouve la production d’unités sur commande (comme par exemple dans le bâtiment pour la construction d’un immeuble). L’autre extrême est la production à flux continu de gaz-liquides ou de formes solides. Elle distingue entre les deux un autre groupe d’entreprises où l’on produit en masse et en grande quantité (l’automobile par exemple). L’usage des technologies est très différent, allant d’un outillage relativement sommaire pour la production à l’unité à des grandes installations très coûteuses pour la production en grandes séries et en continu. On voit aussi des niveaux de qualifications relativement différents et une organisation hiérarchique plus ou moins complexe.
La proportion de personnel de supervision est variable. Dans la production à l’unité, on constate de manière générale que les chefs encadrent beaucoup de personnes. Dans la production en série, il y a plus de superviseurs
proportionnellement à la production à l’unité. Dans la production continue, il y a encore plus de superviseurs qui encadrent, chacun, peu de salariés. L’étendue de supervision (« span of control ») dépend en particulier de la complexité du travail et des qualifications nécessaires.
La production à l’unité signifie que les subordonnés sont des personnes relativement qualifiées, qui maîtrisent mieux leur métier et qui ont peu besoin d’avoir un supérieur qui leur explique comment faire. Dans les entreprises de production en série, qui suivent plus facilement le modèle taylorien, le travail est peu qualifié et standardisé, les superviseurs ont alors surtout des tâches de contrôle. Dans la production continue, l’essentiel de l’activité est réalisé par des machines, il y a donc peu de personnel, mais une hiérarchie très développée avec de multiples niveaux de qualification.
Burns et Stalker (1961) soulignent la distinction entre des organisations « mécaniques » et « organiques » et la mettent en lien avec l’environnement « stable » ou « instable » de l’organisation.
– Dans l’organisation de type « mécanique », la spécialisation et la standardisation du travail sont très poussées, les conflits sont résolus par la hiérarchie, les décisions sont prises au sommet, la communication repose sur des directives. Ce type de système de gestion est plutôt adapté à des environnements technologiques et économiques stables.
– Pour le type « organique », le travail est peu spécialisé, difficile à standardiser, les conflits sont résolus par les interactions directes entre les membres de l’organisation, les décisions se prennent là où est la compétence pour le faire. Ce type d’organisation survit plus facilement dans des environnements très variables, changeants, en permettant une adaptation « souple » et des capacités d’innovation plus importantes.
Cette distinction relativement ancienne repose sur une vision de l’organisation comme « réactive » à son environnement, la survie dépendant de l’adaptation de l’organisation à cet environnement. Cependant, on peut imaginer aussi une vision « proactive » où l’organisation essaie de modifier son environnement (par rachat de concurrents, lobbying auprès des législateurs, etc.) et qui est plus cohérente avec les pratiques observables de nos jours. De même, comme nous l’avons évoqué plus haut, les grandes organisations fordistes se sont trouvées en difficulté dans les années 1970 et 1980 et beaucoup ont essayé de se réorganiser sous des formes plus « souples », plus « organiques ». La typologie de Burns & Stalker a ainsi perdu un peu de sa pertinence.
Mintzberg a proposé dans un ouvrage célèbre (cf. Mintzberg, 1982) une synthèse des travaux sur les caractéristiques formelles des organisations. La typologie proposée met en relation les caractéristiques structurelles des organisations et les facteurs explicatifs des formes prises par celles-ci.
Parmi les caractéristiques prises en compte, on peut citer : .
- La conception des postes de travail : spécialisation, formalisation, formation et socialisation des travailleurs.
- La conception de la superstructure : regroupements et tailles des différentes unités qui composent l’organisation, modes de supervision, de communication, d’autorité, etc.
- La conception des liens latéraux : systèmes de planification et de contrôle, mécanismes de liaison, organisation des flux de travaux, etc.
- La conception du système de prise de décision : décentralisations horizontale et verticale.
Les variables explicatives repérées dans la littérature par Mintzberg sont principalement :
- L’âge et la taille de l’organisation ;
- Les caractéristiques du système technique sur lequel son activité repose (complexité, régulation) ;
- Les caractéristiques de l’environnement (complexité, stabilité, hostilité, diversité) ;
- Le mode de propriété de l’organisation ;
- Les besoins des membres de l’organisation (valeurs, évolutions culturelles, niveaux de qualification, etc.) ;
- Les modes (propagées par les consultants, imitation des concurrents, etc.).
L’auteur aboutit ainsi à une typologie en cinq « configurations structurelles », chaque organisation réelle pouvant plus ou moins être rattachée à un ou plusieurs de ces types :
La structure simple, très centralisée, où la supervision est directe, comprend peu de niveaux hiérarchiques. On trouve très souvent ce type d’organisation dans les petites entreprises (environnement qui peut être instable mais travail relativement simple).
La bureaucratie mécaniste correspond à des organisations où la stabilité de l’environnement a permis la standardisation des procédés de travail. La décentralisation est limitée et les services fonctionnels ont un rôle très important. Ce type correspond à des productions en grandes séries de produits relativement simples (environnement stable et travail simple).
Dans la bureaucratie professionnelle, la complexité du travail fait que ce sont les qualifications des membres qui vont être standardisées (un niveau de formation important est exigé) plutôt que les tâches elles-mêmes. On aura une décentralisation plus importante, en particulier pour les décisions qui peuvent être assurées par les professionnels très qualifiés. Les hôpitaux ou les universités sont des bons exemples de ce type d’organisations. Elles sont adaptées à des environnements stables et à un travail complexe, difficilement prévisible.
Dans la forme divisionnalisée, ce sont plutôt les produits qui font l’objet d’une standardisation poussée, l’ensemble de l’organisation est décomposé en organisations plus petites (divisions), chacune s’occupant d’une gamme de produits de façon relativement autonome.
L’adhocratie correspond à des organisations qui fonctionnent et se mettent en place pour un projet dont la durée est limitée. Les fonctions de support logistique peuvent être stables mais les opérationnels qui interviennent sur le projet constituent une équipe de travail temporaire qui peut être très différente sur un autre projet. Les entreprises du bâtiment, le monde de la production audiovisuelle, les cabinets de consultants, par exemple, ont souvent ce type de configuration structurelle. Cette forme est bien adaptée quand l’environnement est très dynamique et le travail complexe.
Malgré sa richesse, la typologie de Mintzberg ne rend pas compte des dernières évolutions des organisations qui essaient aussi de plus en plus de s’organiser en interne par projets, par processus ou qui fonctionnent en s’insérant dans des réseaux d’organisations plus vastes (sous-traitants, fonctions externalisées, alliances avec des concurrents, etc.).
Plus récemment, Sainsaulieu et son équipe (Francfort & al., 1995), en pratiquant une analyse secondaire de résultats d’enquêtes effectuées dans des secteurs différents sur des organisations variées (entreprises privées, publiques, collectivités locales, etc.) ont proposé la typologie suivante :
Les organisations « rationnelles », que ce soit darts le monde industriel ou le monde administratif, sont toujours présentes. Le travail y est très divisé, parcellisé, standardisé, et encadré par de nombreuses règles.
Les organisations professionnelles de process concernent les activités effectuées en continu dans des secteurs souvent à haut risque (chimie, nucléaire, agroalimentaire, etc.) où des travailleurs très qualifiés interviennent, avec des formes de coordination transversales, sur les différents phases, en fonction des aléas.
Les organisations personnalisées sont celles qui permettent un service où la relation directe avec le client est essentielle (banque, formation, guichets, etc.), le travail est faiblement codifié et suppose des qualifications assez larges et une autonomie importante de la part des salariés.
Les organisations flexibles, que l’on trouve dans la production de petites séries, les structures projets, les services sociaux, font appel à des équipes semi autonomes et des compétences élevées et codifiées pour les travailleurs.
L’organisation artisanale est toujours présente avec un travail codifié mais une indépendance et des marges de manœuvre importantes pour les employés. Le travail est peu divisé et les savoir-faire acquis par l’expérience ont un poids essentiel.