Classification des foules
Nous avons indiqué les caractères généraux communs aux foules. Il nous reste à étudier les caractères particuliers superposés à ces caractères généraux, suivant les diverses catégories de collectivités.
Exposons d’abord une brève classification des foules.
Notre point de départ sera la simple multitude. Sa forme la plus inférieure se présente lorsqu’elle est composée d’individus appartenant à des races différentes. Son seul lieu commun se trouve alors la volonté, plus ou moins respectée, d’un chef. On peut donner comme types de telles multitudes, les barbares d’origines diverses, qui, pendant plusieurs siècles, envahirent l’Empire romain.
Au-dessus de ces multitudes sans cohésion, apparaissent celles qui, sous l’action de certains facteurs, ont acquis des caractères communs et fini par former une race. Elles présenteront à l’occasion les caractéristiques spéciales des foules, mais toujours contenues par celles de la race.
Les diverses catégories de foules observables chez chaque peuple peuvent se diviser de la façon suivante :
Foules hétérogènes
Ces collectivités sont celles dont nous avons étudié précédemment les caractères. Elles se composent d’individus quelconques, quelle que soit leur profession ou leur intelligence.
Nous avons prouvé dans cet ouvrage que la psychologie des hommes en foule diffère essentiellement de leur psychologie individuelle, et que l’intelligence ne soustrait pas à cette différenciation. Nous avons vu que, dans les collectivités, elle ne joue aucun rôle. Seuls des sentiments inconscients peuvent alors agir.
Un facteur fondamental, la race, permet de diviser assez nettement les diverses foules hétérogènes.
Nous sommes plusieurs fois déjà revenu sur son rôle et avons montré qu’elle est le plus puissant facteur capable de déterminer les actions des hommes. Son influence se manifeste également dans les caractères des foules. Une multitude composée d’individus quelconques, mais tous Anglais ou Chinois, différera profondément d’une autre composée d’individus également quelconques, mais de races variées : Russes, Français, Espagnols, etc.
Les profondes divergences créées par la constitution mentale héréditaire dans la façon de sentir et de penser des hommes, éclatent dès que certaines circonstances, assez rares d’ailleurs, réunissent dans une même foule, en proportions à peu près égales, des individus de nationalités différentes, quelque identiques que soient en apparence les intérêts qui les rassemblent. Les tentatives faites par les socialistes pour fusionner dans de grands congrès les représentants de la population ouvrière de chaque pays, ont toujours abouti aux plus furieuses discordes. Une foule latine, si révolutionnaire ou si conservatrice qu’on la suppose, fera invariablement appel, pour réaliser ses exigences, à l’intervention de l’Etat. Elle est toujours centralisatrice et plus ou moins césarienne. Une foule anglaise ou américaine, au contraire, ne connaît pas l’Etat et ne s’adresse qu’à l’initiative privée. Une foule française tient avant tout à l’égalité, et une foule anglaise à la liberté. Ces différences de races engendrent presque autant d’espèces de foules qu’il y a de nations.
L’âme de la race domine donc entièrement l’âme de la foule. Elle est le substratum puissant qui limite les oscillations. Les caractères des foules sont d’autant moins accentués que l’âme de la race est plus forte. C’est là une loi essentielle. L’état de foule et la domination des foules constituent la barbarie ou le retour à la barbarie. C’est en acquérant une âme solidement constituée que la race se soustrait de plus en plus à la puissance irréfléchie des foules et sort de la barbarie.
En dehors de la race, la seule classification importante à faire pour les foules hétérogènes est de les séparer en foules anonymes, comme celles des rues, et en foules non anonymes, les assemblées délibérantes et les jurés par exemple. Le sentiment de la responsabilité, nul chez les premières et développé chez les secondes, donne à leurs actes des orientations souvent différentes.
Foules homogènes
Les foules homogènes comprennent : 1° les sectes ; 2° les castes ; 3° les classes.
- La secte marque le premier degré dans l’organisation des foules homogènes. Elle comprend des individus d’éducation, de professions, de milieux parfois fort différents, n’ayant entre eux que le lien unique des croyances. Telles sont les sectes religieuses et politiques, par exemple.
- La caste représente le plus haut degré d’organisation dont la foule soit susceptible. Alors que la secte est formée d’individus de professions, d’éducation, de milieux souvent dissemblables et rattachés seulement par la communauté des croyances, la caste ne comprend que des individus de même profession et par conséquent d’éducation et de milieux à peu près identiques. Telles sont les castes militaire et sacerdotale.
- La classe se compose d’individus d’origines diverses, réunis non par la communauté des croyances, comme les membres d’une secte, ni par la communauté des occupations professionnelles, comme les membres d’une caste, mais par certains intérêts, certaines habitudes de vie et d’éducation semblables. Telles la classe bourgeoise, la classe agricole, etc.