Agir sur le travail en organisation : Les pratiques des psychologues
Introduction
Le pari fondamental des psychologues qui interviennent dans le monde du travail est de pouvoir concilier le respect et le bien-être psychologique des personnes avec les enjeux et les contraintes des organisations. La tâche n’est évidemment pas facile et les contradictions sont nombreuses qui viennent perturber cette mission :
– Les « ressources humaines » sont pour les gestionnaires un des éléments comptabilisés, mesurés comme le sont les ressources financières et matérielles. Il est généralement plus saillant, plus immédiat de voir ces « ressources » d’abord comme une « dépense », très importante pour la plupart des organisations, plutôt que comme un « investissement », « une valeur ajoutée » essentielle. Aussi, le psychologue doit souvent apprendre à manier le langage des gestionnaires pour faire la démonstration des coûts entraînés par une organisation défaillantes ou par des salariés en souffrance. S’il ne veut pas être cantonné au traitement humain des conséquences des choix de gestion (licenciements, par exemple), il faut aussi essayer, le plus en amont possible, d’intervenir sur ces choix de gestion. Plus les décideurs sont éloignés des salariés, plus le lien humain qui les relie est distendu, plus ces décideurs deviennent humainement aveugles sur les conséquences de leurs actes et ont besoin qu’on leur rappelle les particularités de ces travailleurs, de ces humains.
– Les organisations sont dans des processus de changement permanents, les décideurs bougent également en passant rapidement d’un poste à l’autre, les actionnaires, dans le secteur privé, ou le personnel politique, dans le secteur public, attendent des résultats à très court terme. La difficulté est, pour le psychologue, d’introduire des actions qui se déploient sur un terme plus long, demandent du temps, afin de permettre aux travailleurs de se former, de se développer, de s’approprier le changement.
– Tout le monde étant un peu « psychologue » dans sa vie quotidienne, analysant et interprétant les comportements des autres, on comprend que, contrairement à des métiers mieux identifiés et défendus, les psychologues sont parfois surpris de constater la facilité avec laquelle n’importe quel ingénieur, commercial, manager, peut porter des jugements sur les candidats à un recrutement et s’approprier les instruments psychométriques ou peut expliquer facilement les causes d’un problème dans une équipe de travail. Le psychologue a besoin de lutter contre le sens commun en s’appuyant sur des théories et des méthodes validées scientifiquement, en démontrant l’intérêt et les spécificités de ses compétences.
– Le lien de subordination qui, à travers un contrat de travail, lie l’individu à une organisation ne facilite pas la recherche d’autonomie, de liberté pour cet individu. Bien sûr, le droit du travail est là pour limiter les excès de cette subordination mais, au quotidien, il est souvent nécessaire d’avoir un professionnel pour rappeler que le bonheur se trouve rarement dans la soumission totale à une organisation.
Cependant, ces exemples de difficultés montrent aussi le besoin qu’ont les organisations et les travailleurs d’un point de vue éthique, humain, soucieux du bien-être et du développement du psychisme. En ce sens,-la mission des psychologues du travail et des organisations est parfaitement honorable.
Nous avons souhaité terminer cet ouvrage en examinant les principaux champs dans lesquels des psychologues du travail et des organisations sont présents et apportent leurs compétences spécifiques.
Le recrutement
Les pratiques sociales d’évaluation des personnes sont fréquentes en milieu de travail :
- recrutement ;
- évaluation annuelle ;
- diagnostics divers (ex. : 360°) ;
- bilan de compétences ;
- bilan d’orientation ;
- reclassement ;
- examens professionnels, habilitations ; etc.
Dans ces différentes pratiques, le psychologue peut apporter des outils plus valides scientifiquement mais aussi une capacité à utiliser avec précaution les résultats de ces outils et à faire des retours constructifs et non destructeurs aux personnes ainsi évaluées.
Dans le cas du recrutement, on distingue classiquement les étapes suivantes :
- apparition d’un besoin (remplacement ou création de poste) ;
- décision de recruter ;
- définition du poste ;
- définition du profil ;
- diffusion de l’offre ;
- réception des candidatures ;
- tri sur dossier ;
- entretien(s) et tests ;
- sélection ;
- intégration dans l’entreprise.
Certaines phases de ce processus peuvent être qualifiées de « critiques », en ce sens qu’elles mettent en jeu des mécanismes qui peuvent favoriser différentes formes de discrimination, par exemple. Le psychologue devrait être sensible en particulier aux biais socio-cognitifs, c’est-à-dire aux mécanismes « automatiques » de jugement qui interviennent dans l’évaluation d’autrui et qui sont particulièrement présents lors des phases de tri des dossiers et d’entretien :
- la « première impression » ;
- L’« effet de halo » ;
- le biais de confirmation d’hypothèse ;
- les « théories implicites de la personnalité » ;
- l’erreur fondamentale d’attribution ;
- la norme d’internalité ;
- l’influence majoritaire et la tendance au conformisme.
Les études sur les phénomènes de discrimination montrent également les points suivants :
- Moins les méthodes sont structurées, plus il y a discrimination.
- La discrimination joue plus fortement pour les emplois peu qualifiés.
- Le « feeling », le « bon sens » entraînent en fait un recours massif aux biais et stéréotypes et accentuent donc les discriminations.
- Les critères de personnalité sont souvent les mêmes quel que soit le poste dans les annonces (« dynamique », « autonome », « responsable », « motivé », etc.). C’est en fait la voie d’entrée des normes sociales permettant de décider (ex. : norme d’internalité).
Les psychologues ne sont évidemment pas les seuls à effectuer des recrutements, il importe qu’ils fassent la preuve de leur professionnalisme et de la qualité de leurs instruments et interventions pour que, sur cette question très difficile du choix d’une personne pour un poste, on fasse peut-être plus souvent appel à eux.
L’insertion professionnelle
Les restructurations des entreprises et le niveau de chômage ont créé depuis une trentaine d’années le besoin d’avoir des conseillers, des accompagnateurs des travailleurs en recherche d’emploi, en plus du métier plus classique de conseiller d’orientation pour aider les plus jeunes à s’orienter vers un métier.
Les psychologues du travail sont particulièrement bien préparés à ces fonctions et interviennent pour effectuer des bilans professionnels afin d’aider les travailleurs à construire un projet professionnel réaliste, à partir d’un diagnostic partagé de leurs compétences mais aussi de leur projet de vie.
Les instruments psychométriques peuvent être employés dans ce cadre mais leur utilisation ne constitue qu’un temps de l’accompagnement.
Une des difficultés de ce secteur tient à l’instabilité des structures employant les psychologues du fait de la variabilité des financements et de la législation dans le domaine de l’insertion.
La gestion des carriéres
Ce domaine en pleine transformation, du fait de l’évolution des entreprises et de la difficulté pour celles-ci de proposer des parcours de carrière clairs et à long terme, est un champ d’exercice qui devrait se développer pour les psychologues.
Tous les salariés n’ont pas, en effet, les moyens de gérer eux-mêmes leur carrière et leur « employabilité ». Un apport d’informations sur les dispositifs de développement possibles (formation), sur les postes envisageables ou les reconversions à prévoir peut être essentiel.
L’accompagnement des salariés dans ce domaine peut être externalisé mais beaucoup d’organisations intègrent également des conseillers carrières pour gérer les parcours des travailleurs. Le reclassement des travailleurs handicapés, la gestion des personnels expatriés sont aussi souvent impliqués dans cette fonction.
Le coaching
Les entreprises ont trouvé dans cette forme d’accompagnement la possibilité d’intervenir auprès des salariés (en général plutôt qualifiés) lors de la prise d’une fonction nouvelle ou face à des difficultés relationnelles avec une équipe, par exemple.
Parfois critiqué pour avoir tendance à individualiser, voire psychologiser, les problèmes de l’organisation, le coaching peut néanmoins tout à fait se justifier pour aider une personne à passer un cap difficile dans sa carrière.
Les psychologues qui pratiquent cette activité efficacement ont généralement une bonne connaissance de l’entreprise et évitent soigneusement de sortir du cadre du coaching pour ne pas dériver vers des pratiques thérapeutiques. C’est une fonction qui peut difficilement être exercée par un psychologue débutant et qui nécessite une supervision par un coach plus expérimenté.
La formation
Analyser les besoins en formation, élaborer un cahier des charges ou un plan de formation, évaluer les formations effectuées mais aussi intervenir comme formateur sont des activités fréquemment exercées par les psychologues du travail.
Ce champ est important et ne comprend pas que des aspects techniques ou administratifs. Les processus psychologiques en jeu chez une personne qui se forme, en particulier lorsque cette formation est longue, sont très importants. Ils concernent, par exemple, la question de l’identité, celle des compétences acquises ou à acquérir et parfois aussi l’estime de soi. En conséquence, le psychologue peut avoir un rôle d’accompagnement des formés dans leur développement psychologique.
Les « groupes d’analyse de la pratique » sont une activité en plein développement. De nombreux professionnels, souvent dans les secteurs de l’enseignement, du soin ou du travail social, ont besoin de temps collectifs pour développer leur réflexivité sur leurs activités, construire des éléments de réponses communs aux difficultés qu’ils rencontrent, consolider leur métier et leur cadre éthique. Le psychologue anime, en « tiers extérieur », ces séances d’analyse en garantissant un cadre pour les échanges.
Le développement des organisations
Les interventions à l’échelle des organisations sont généralement le fait de psychologues qui exercent en tant que consultants dans un cabinet de conseil en organisation ou en interne dans un service spécifique (que l’on trouve dans certaines grandes entreprises).
Métier d’une très grande richesse, l’intervention auprès des organisations implique en effet, d’une part, de renouveler et d’actualiser régulièrement ses connaissances et savoir-faire et, d’autre part, de bonnes capacités d’analyse et de compréhension des demandes formulées qui sont généralement très différentes d’un chantier à l’autre.
Conditions de travail et souffrances au travail
Certains psychologues investissent le champ des conditions de travail, en particulier pour ce qu’il est maintenant convenu d’appeler les « risques psychosociaux » :
- stress ;
- harcèlement sexuel ;
- violences psychologiques ;
- violences physiques ;
- plans sociaux ;
- addictions ; etc.
Les interventions peuvent prendre différentes formes :
- le soutien psychologique aux salariés en difficulté ;
- le diagnostic des risques ;
- la formation des personnels ;
- la mise en place de dispositifs de prévention ; etc.
La prise de conscience, encore limitée mais réelle, de ces risques dans les organisations privées et publiques débouche principalement sur le recours à des cabinets et organismes extérieurs qui se sont spécialisés dans ce domaine. Les psychologues du travail peuvent ainsi être amenés à collaborer avec des psychologues cliniciens qui sont plus spécialisés sur le soutien psychologique individuel.