Accompagner l'enfant en deuil
La première démarche dans l’accompagnement de l’enfant en deuil est d’aider sa famille endeuillée elle- même. Aider la famille, c’est d’abord aider le parent ou les parents endeuillés. Il convient de conseiller à la famille qui appelle à l’aide que les proches entourent les parents et les enfants en deuil, c’est-à-dire qu’ils soient à leurs côtés, qu’ils les aident à la fois dans le concret de la vie bouleversée et les aident affectivement dans le vécu de leur souffrance, qu’ils leur parlent de la personne qu’ils ont perdue et que, loin d’écarter les enfants de leur deuil, au contraire ils le vivent avec eux.
Une certaine connaissance, même limitée, du deuil des enfants est nécessaire aux membres de la famille pour pouvoir les aider dans ces moments-là. S’ils ne montrent qu’une curiosité relative à ce sujet, il suffira de les aider à prendre conscience que les enfants ne réagissent pas comme nous, que leur vie psychique n’est pas régie par la logique, qu’ils éprouvent du chagrin mais ne peuvent le faire longtemps, que leurs manières d’exprimer leur souffrance et leurs angoissés passent beaucoup plus par leur corps et leur comportement à la maison et à l’école. Il y a également des choses indispensables à leur dire au moment de la disparition, faute de les entendre ils ne pourraient supporter à peu près normalement cette perte. Il y a aussi des choses à faire et des comporte- ments-à avoir avec eux comme leur parler du disparu et vivre ses émotions tous ensemble.
Aider les parents
D’où vient la demande ? par qui est-elle formulée ? — Il arrive que ce soit le parent endeuillé qui prenne l’initiative de demander conseil et/ou soutien pour un ou plusieurs de ses enfants. Il ne faut pas manquer de l’écouter d’abord parler de son propre deuil en lui signifiant discrètement notre sympathie pour sa propre souffrance avant d’aborder les difficultés soulevées par le ou les enfants.
Mais c’est plus souvent un membre de la famille, un grand-parent, une tante qui prend cette initiative. Il est très frappant que ce soit pratiquement toujours les femmes. Ce sera déjà plus facile en parlant de l’enfant en deuil d’en venir aussi au parent ou aux parents restants.
Quelle est la demande ? — Souvent elle est formulée sous la forme assez concrète d’un conseil précis : par exemple, « faut-il emmener l’enfant aux funérailles ? », « faut-il lui parler de son papa qui est mort ? ». Écouter la personne qui a formulé la première demande avant de lui répondre lui permet de parler de l’enfant et de la famille en deuil, de ce qui s’est passé et de son propre chagrin. En réalité, quel que soit le motif plus ou moins précis de l’appel, les demandes de la famille et des amis se répartissent entre « comment pouvons-nous aider » et « comment pouvez-vous nous aider ? ».
Il arrive souvent qu’il n’y ait pas de demande formulée.
Sachant que le deuil chez l’enfant est toujours difficile et que toute la famille est gravement éprouvée, en particulier le parent qui reste pour qui c’est aussi un grand choc de perdre son conjoint trop jeune, il est évident qu’il est plus que raisonnable de proposer de l’aide à ces familles. C’est aux intervenants qui ont entouré, accompagné la mort de l’être aimé, qu’il revient de faire signe à la famille dans les semaines qui suivent au mieux par un courrier qui les invite à reprendre contact avec l’équipe, mais qui indique systématiquement une autre possibilité, associative, au cas où la famille ne souhaiterait pas revenir sur les lieux du décès.
Que conseiller aux proches qui demandent à aider ?
Les entourer. — Le deuil est toujours éprouvé comme un vide et comme un abandon ; aussi la présence des autres est-elle si importante et combien sont utiles les cérémonies rituelles où les gens se rassemblent en grand nombre. La présence de tous ces parents, de tous ces amis, de tous ces proches, de toutes ces connaissances réalise autant de manifestations d’affection mais aussi de vie pour les endeuillés qui, au début du deuil, sont plus ou moins fortement tentés d’aller rejoindre dans la mort celui ou celle qui vient de disparaître. Il ne faudrait jamais laisser seul un endeuillé pendant les premiers jours, même s’il a ses enfants près de lui. Qu’un proche ou un ami vienne s’installer chez lui pour quelque temps. Tout d’abord cela permettra de prendre soin de lui et des enfants, de s’occuper de leurs besoins élémentaires : la nourriture, le sommeil, les déplacements, les démarches ; toutes choses si simples mais qui demandent habituellement de tels efforts pendant les premiers temps du deuil, et ainsi celui qui vient de perdre un être cher sent et constate qu’on peut encore s’occuper de lui.
Mais il n’y a pas que durant les premiers jours que le parent endeuillé a besoin d’être entouré. Le temps passant, la plupart des gens s’éloigne des endeuillés. Restent, il faut là encore l’espérer, quelques fidèles qui vont se manifester à un rythme et de manière variables. Il n’est pas toujours facile d’entourer les personnes en deuil en particulier dans les mois qui suivent. Elles ne se manifestent plus et c’est toujours les autres qui doivent faire les premiers pas.
Les aider. — Les entourer est déjà une forme d’aide mais celle-ci, en ces circonstances, prend naturellement des tournures plus concrètes. Outre la surveillance des besoins élémentaires d’alimentation, de sommeil et d’activité, cette aide porte principalement sur le souci et l’entretien des enfants. Conduire un enfant à l’école, assurer son coucher peuvent être d’un grand apaisement pour une mère ou un père endeuillés mais, à un autre moment, les mêmes gestes peuvent demander une énergie dont on ne dispose guère. C’est alors un soulagement de sentir près de soi une présence fidèle qui prend soin des enfants.
Les parrains et marraines, ayant pris jadis l’engagement de responsabilités éducatives vis-à-vis de leur filleul, il est tout naturel de les voir alors s’occuper régulièrement de celui-ci lorsqu’il est en deuil d’un de ses parents.
Aider, c’est encore proposer d’accompagner le parent en deuil à la fois dans les démarches administratives et dans ses visites au cimetière ou au colombarium. Même repoussées plusieurs fois, certaines démarches ne peuvent pas être omises. Aider, c’est aussi donner par sa présence la possibilité au parent en deuil de pouvoir parler autant qu’il le souhaite de son deuil, de sa souffrance, de l’être cher qu’il a perdu, de ses souvenirs, et la possibilité aussi de se taire ensemble à certains moments, la possibilité enfin de pouvoir décharger une partie de son chagrin, de sa colère, de ses ressentiments, de ses sentiments d’abandon, de culpabilité, de ses inquiétudes, de ses angoisses, de cet immense sentiment de vide, d’inutilité et d’extrême lassitude.
Les aider à parler.— Dans les premiers temps, c’est tout naturellement que la personne en deuil parle beaucoup de celui qu’elle a perdu. Mais avec le temps qui passe il en va habituellement autrement. L’endeuillé parle beaucoup moins facilement d’une manière générale et de son mort en particulier. C’est la période du grand silence et de la grande solitude où il attend surtout que les autres viennent vers lui et lui parlent, lui fassent signe, se soucient de lui. En lui parlant au téléphone ou de vive voix, en lui écrivant, en venant le voir, l’occasion se trouve d’évoquer le souvenir du disparu afin de permettre à la personne en deuil d’en parler de nouveau. Il ne faut pas regretter d’avoir fait revenir ses pleurs ; c’est une nouvelle partie de son chagrin qui s’en va.
Quelle aide proposer à ceux qui la demandent ?
La première démarche va être d’écouter longuement la personne qui prend contact, ce qui se fait habituellement au téléphone en une ou plusieurs fois. Mais il peut être nécessaire de la recevoir afin qu’elle voit qui, où et comment on va s’occuper de la personne qu’elle nous signale. C’est aussi au cours de ces premiers contacts qu’il est possible d’insister sur la nécessité de ne pas s’occuper que des enfants en deuil mais de porter la plus grande attention également aux parents.
Avant d’en venir au deuil de l’enfant, il est indispensable de bien écouter le parent, et même de l’inciter à parler de son propre deuil. Il est alors possible de revenir aux enfants et à leurs difficultés pour les écouter en détail. Les conseils fournis répondent aux questions posées mais comportent toujours la recommandation d’essayer d’être naturels, de continuer de parler du parent perdu et de pleurer ensemble.
Au cours du premier entretien, il est opportun de donner la parole à chacun des enfants et de bien écouter ce qu’ils disent, ces premiers mots étant très indicatifs sur leurs préoccupations. On demande alors aux enfants de dessiner sur une table prévue à cet effet avec le matériel nécessaire, en préférant les feutres aux crayons de couleur : « Tu veux bien me faire un dessin ? » ou « Des- sine-moi ta famille. » Le dessin du mandala des émotions est une pratique bien utile. Il s’agit de remplir l’intérieur d’un cercle dessiné à l’avance avec des couleurs différentes représentant chacune un sentiment (joie, tristesse, colère, espoir, désespoir, tranquillité). Ces dessins ne sont pas interprétés. Ils donnent seulement lieu à quelques questions : « Qui as-tu dessiné ici ? Qui est-ce ? Qu’est-ce que tu as voulu dessiner ici ? »
La suite se répartit schématiquement entre les deux possibilités générales suivantes. Ou bien la situation n’est pas trop préoccupante, les enfants ne sont pas trop perturbés, le parent ne paraît pas trop dépassé ni dans un deuil trop compliqué, il suffira de revoir toute la famille dans quelques mois, étant entendu que le parent, tout comme les enfants, peuvent appeler entre temps s’ils le souhaitent. Ou bien la situation paraît plus difficile, la demande est plus pressante, alors nous allons proposer à la famille un suivi régulier dans un cadre associatif si les difficultés ne sont pas encore de l’ordre de la pathologie et conseiller la consultation d’un spécialiste dans ce dernier cas. Lorsque la situation familiale à ce moment du premier entretien ne semble pas pencher ni d’un côté ni de l’autre, il est souvent utile de revoir, environ un mois plus tard, le parent sans les enfants.
Aider les enfants
La première démarche est d’acquérir quelque connaissance des particularités du deuil des enfants. Il est difficile de les comprendre et donc de les aider pour qui n’a pas un minimum de connaissances de leurs manières de ressentir et de vivre le deuil. C’est la raison pour laquelle cet enseignement fait partie de la formation de base de tous les bénévoles qui interviennent dans ce champ. Il commence également à faire partie de la formation des travailleurs médico-sociaux.
Le pire vient toujours du manque d’information : ni le parent restant ni la famille n’ont pensé à venir informer l’école de ce qui vient de se passer pour l’enfant, ni en parler avec les responsables enseignants. On risque ainsi de voir un enfant en deuil secoué, rabroué ou puni pour inattention ou turbulence au moment même où il a le plus besoin de compréhension et de ménagement, car l’école doit toujours rester un refuge de détente pour l’enfant endeuillé.
Veiller à l’intégration des enfants dans la famille éprouvée. — Il est clair que la tendance générale actuelle de la société à remettre la maladie et la mort entre les mains de spécialistes, à les institutionnaliser, ce qui les éloignent de la vie familiale, ne va pas dans ce sens. Il y a donc une prise de conscience sociale à promouvoir, un retournement, presque une révolution culturelle à opérer à tous les niveaux de la société depuis les professionnels, les associations jusqu’au grand public pour que les enfants ne soient plus écartés des grandes épreuves de la vie et les partagent naturellement au sein de leur famille, mais avec une attention et un accompagnement suffisants.
Que les enfants restent donc chez eux avec leurs parents lorsque la maladie d’un membre de la famille s’aggrave, durant les derniers jours et les derniers moments de la vie, durant l’agonie, à la veillée funèbre lorsqu’elle existe encore, au moment des funérailles et les autres cérémonies à la mémoire des disparus. Lorsque les enfants ont participé ainsi à la vie familiale durant les derniers moments, il est tout naturel qu’ils viennent dire au revoir à celle ou celui qui vient de mourir.
Ce qu’il est indispensable de dire à un enfant qui vient de perdre un de ses proches. — Ils ont d’abord le besoin indispensable de savoir la vérité. Mais qu’est-ce que la vérité ? Jusqu’où peut-on la dire lorsqu’elle est particulièrement tragique? Dans quelle mesure l’enfant, cet enfant, peut-il la comprendre, la supporter et l’intégrer ? La vérité, c’est d’abord que la personne aimée est bien morte. La vérité c’est aussi de bien vouloir reconnaître clairement devant l’enfant qu’un de ses parents s’est suicidé. La vérité ne se refuse pas mais elle n’a pas à être assénée sans égard. On ne dit pas la vérité en ces domaines, on y acquiesce. On ne la prêche pas, on s’y soumet en répondant simplement. Vérité reconnue, il reste maintenant encore bien des choses à dire à ces enfants en deuil. Elles sont toutes importantes car, à défaut de les entendre répéter, ils ne pourraient vivre correctement leur deuil avec toutes les difficultés qu’il comporte déjà de toute manière.
Ils ont d’abord besoin de s’entendre dire qu’ils ne sont pas responsables de la mort de leur père, de leur mère, de leur frère, de leur sœur, de tout être important qu’ils viennent de perdre. Cette mort n’a été entraînée par rien de ce que l’enfant a pu dire ou a pu faire, ne pas dire ou ne pas faire. En raison de sa pensée magique où les mots ont la même efficience que les actions, les désirs les mêmes pouvoirs que les actes, en raison également de ses sentiments profonds de toute-puissance – où tout ce qui se passe autour de lui vient toujours de son fait – l’enfant pense toujours et très solidement, très concrètement, très profondément le contraire : pour lui, cette mort qui vient de survenir, c’est à cause de lui.
Tout comme des informations précises ont été données aux enfants sur la maladie fatale de manière progressive, en temps et en heure, il ne faudra pas oublier de leur dire que ni eux ni le parent qui leur reste ne sont en danger de mourir, car c’est encore ce qu’ils pensent spontanément. Si un proche meurt ainsi d’une manière si prématurée, si inattendue, si inexplicable pour eux, si inhabituelle, si à contretemps, rien ne leur garantit qu’un autre malheur n’est pas en train de se préparer et qu’une autre personne proche ne va pas également mourir et peut-être eux-mêmes !
Même bien entouré, bien accompagné, l’enfant en deuil se pose des questions sur son avenir, ce qui va se passer concrètement dans sa vie maintenant. Les mots qui rassurent ont une très grande importance pour l’enfant, en particulier dans les circonstances difficiles, et pourquoi ne pas lui éviter quelques semaines d’angoisse en lui disant rapidement que, si personne ne peut remplacer ni son papa ni sa maman, cependant tous ceux qui l’entourent vont faire leur possible pour s’occuper au mieux de lui et essayer de faire en sorte qu’il souffre le moins possible de l’absence de son parent perdu ?
La dernière des choses importantes qui reste à dire à ces enfants est de les assurer que tous, adultes et enfants de la famille, continueront à aimer le cher disparu dans leur cœur et que jamais ils ne l’oublieront. Ces paroles auront plus d’effets si les actes les accompagnent. Elles ont pour fonction en réaffirmant un peu solennellement l’amour partagé de faire diminuer l’ambivalence et les sentiments inconscients de culpabilité des enfants.
Outre ce qui est à dire, il y a encore des choses à faire
Les objets-souvenirs. — C’est une très bonne pratique de rassembler toutes les photos que la famille possède du disparu, d’en faire faire un tirage pour chacun des enfants, en leur disant qu’on leur donnera quand ils seront grands. En attendant les mêmes photos sont regardées tous ensemble, habituellement dans les albums de famille. Il en est de même des films et enregistrements vidéo. Mais les enfants ont également besoin pour les aider dans leur deuil de recevoir en souvenir un ou plusieurs objets ayant appartenu à la personne disparue. Ils en deviennent ainsi dépositaires.
Encourager les relations avec le souvenir de la personne qui est morte. — Les photos, les films, les vidéos, les objets sont déjà des modes du souvenir. Mais ils pourraient rester des modes relativement discrets, secrets, privés, trop personnels, si ce n’était pas l’occasion de parler en famille, d’évoquer les souvenirs communs avec celui ou celle qui nous a quittés. Mais il y a dans la vie courante des circonstances qui favorisent ce resouvenir et dont on va se saisir naturellement pour les vivre en commun : ce sont surtout les anniversaires et le retour en certains lieux.
Vivre ses émotions, exprimer ses sentiments. — Entretenir ouvertement les relations et les souvenirs de manière informelle dans le courant de la vie ordinaire comme de façon plus ritualisée à l’occasion des anniversaires et de certains déplacements n’est au fond possible que dans la mesure où le travail de deuil de la famille s’est déclenché et suit son cours, ce qui implique nécessairement de laisser chacun ressentir ses émotions douloureuses, de pouvoir les exprimer et les partager.