Savoir renoncer aux tics…de "language" : Le bien parler
me fais plaisir
Est une des nouvelles scories de la philosophie à la Star Ac : « du moment que je m’éclate, tout va bien. » Voilà qui justifie tout et n’exclue rien. On le ressent au bureau où le plaisir n’est pas forcément l’élément discriminant. À force de vouloir du « moi d’abord », on oublie le rapport à l’autre et l’individualisme érigé en principe fait que « l’enfer, c’est les autres… »
On va manger !
On ne « déjeune » plus, on ne « goûte » plus, on ne « dîne » plus… Quant à souper, n’en parlons plus. Désormais, on mange ! L’appauvrissement du vocabulaire reflète-t-il un comportement ? « Manger » devenant générique, on s’imagine facilement une vaste mangeoire internationale, à base de produits packagés, sans raffinement et sans convivialité. « On va manger ensemble » donne l’image de deux individus se nourrissant pour faire le plein de carburant, ni plus ni moins. L’univers de l’entreprise, grâce à ses repas d’affaires, va- t-il sauver un distinguo linguistique et culturel ?
j’aime pas trop
Est le tic de langage par excellence. Il a laminé l’étymologie grammaticale de la formule. «Trop», rappelons-le, est un comparatif et non un adjectif qualificatif, servant d’appréciation nuancée tout terrain. Le politiquement correct du rejet, comme quoi une faute de français peut réconcilier un peuple, est : « trop c’est trop » !
Y’a pas d’scoucis
Réjouissons-nous, les bureaux fleurissent de l’absence de soucis. Le souci ayant remplacé le problème et sachant qu’on ne dit plus « oui », on rétorque qu’il n’y a pas de problème et qu’on maîtrise le souci. Le summum de l’adhésion serait qu’un collaborateur vous dise : «J’aime pas trop, mais y a pas de souci ». Ceci qui signifie que, même si cela l’embête, il fera ce que vous lui demandez. Certes, il ne s’agit pas de décourager les bonnes volontés en masse, mais la richesse des nuances et de la langue permet d’exprimer plus, donc mieux. C’est à l’entreprise d’exiger une certaine «qualité» de l’expression… y compris dans les couloirs. La responsabilité de la publicité en la matière n’est plus à démontrer ; sous prétexte de favoriser le consensus populaire et de capter l’ambiance de la rue, faut-il véhiculer fautes de français et de grammaire? De la même façon que le BVP (bureau de vérification de la pub) est supposé empêcher les exploitations excessives (par exemple, du corps de la femme) censées faire mieux vendre, ne pourrait-il pas mieux surveiller les abus de langage ? Un slogan, pour être talentueux, doit-il comprendre une faute de français et deux fautes d’orthographe ? À quand un code éthique du bien parler de la pub ? Jusqu’à quand la faute de français sera-t-elle estimée créative ?
Au plaisir
à ne pas confondre avec le best-seller de Jean d’Ormesson Au plaisir de Dieu. « Au plaisir » (sous-entendu de vous revoir) est une expression populaire qu’il convient d’éviter. Elle est, à tort ou à raison, considérée comme parfaitement vulgaire et classera irrémédiablement celui qui l’emploie. Préférez en partant : « j’ai été ravi de faire votre connaissance… ou ravi de vous revoir. » Dans tous les cas, « à bientôt j’espère » suffira largement.
Les fautes de grammaire
Sont une entorse au savoir- vivre puisqu’il s’agit d’une faute envers l’esthétique de la langue. Attacher une importance particulière aux participes passés ; bien les accorder vous classe parmi ceux qui savent maîtriser la langue et, en conséquence, son contenu et sa pensée. À force de communiquer, on ne sait plus parler ; après s’être fait chair, le verbe s’est fait image. On assiste à la régression progressive d’un vocabulaire que l’on croit enrichir en psalmodiant les mots inscrits au palmarès du mois et des expressions technico-américaines. On prend un mot pour un autre, les adjectifs ne qualifient plus, les subjonctifs ont, sur le grand public, des effets comiques.
Les expressions
On évitera avec soin les mots paillassons et les tics de langage qui dénaturent et dévalorisent tout ce qui est dit. Les exemples sont nombreux : «Je veux dire… Tu vois… C’est vrai… Faut voir… N’importe comment… Note que… Dans ma tête… Il faudra renoncer aux superlatifs laudatifs : super, hyper, extra, géant, méga, cool, trop, top… Lorsque l’on veut approfondir un concept, il suffit d’ajouter: «quelque part… »
On évitera les surnoms, les diminutifs sympathiques et les petits mots tendres : les « chouchou », « mimi », « minouche », « pupuce » insipides.
Si l’on tient à jurer, soit, mais alors, allez-y carrément. Tout, plutôt que les « zut », « mince » et « flûte », demi-mesures bien pires que la bonne franche vulgarité (entre être vulgaire ou ordinaire, il faut choisir).
Les effusions
Dans les tics, on peut inclure la gestuelle. Ainsi, il est devenu habituel de s’embrasser tout le temps et en tout lieu. Ce sont les adolescents qui nous ont passé cette coutume certes chaleureuse mais pesante. On embrasse maintenant jusqu’aux inconnus que l’on vous présente. L’épidémie est moins répandue dans le milieu professionnel, mais elle s’étend. Est-il indispensable à l’entrée d’un colloque d’embrasser l’hôtesse d’accueil même si on la connaît bien ? Trop d’affection tue l’affectif, aussi, revenons à des pulsions normales. Personne n’a vraiment envie d’embrasser quelqu’un qu’il ne connaît pas, alors pourquoi se forcer? La coutume de l’embrassade généralisée a en plus ses propres codes : faut-il tendre une joue ? Deux, trois ou même quatre joues ? Si l’on ne pratique pas au même rythme, on se retrouve alors violemment projeté dans le vide d’une joue non offerte ou, au contraire, nous mettons en danger nos cervicales parce que l’on a oublié la troisième « bise ».
De désagréable, l’affaire vire au cauchemar lorsqu’on se retrouve dans une manifestation rassemblant beaucoup de monde. Au bout d’un quart d’heure, les femmes en particulier se retrouvent dévorées, secouées (et démaquillées !), tenues par les épaules et passées au suivant comme un ballon de rugby. Une chaleur communicative? Ce n’est pas certain. Retrouvons la distance qui crée la rareté et rend les manifestations d’amitié vraiment chaleureuses. Le baiser est un art de vivre, pourquoi le galvauder ?