Galerie de portraits : Le speedé
Le speedé, dernier produit de la mondialisation, a envahi nos bureaux, nos vies et nos écrans. Curieusement, c’est la bourse qui lui a conféré ses lettres de noblesse. C’est peut-être en trader ou en golden boy qu’il s’éclatera le plus. Idéal des jeunes, il a le prestige des romantiques du siècle dernier ; il ne mourra pas de phtisie ou de langueur, mais d’un infarctus ou d’un abus de coke. Ce n’est pas grave car, tels les héros marqués par le destin, il court la main sur le cœur pour en maîtriser les battements désordonnés, conscient de jouer sa santé et peut-être sa vie au nom de la sainte consommation et d ‘un système monétaire déifié.
Son incessante activité vous culpabilise et vous plonge, au bout de cinq minutes, dans les affres d’une fébrilité impuissante, avec l’impression d’être un mort vivant au pays des eldorados sur écran.
Il court, crie, s’agite, piétine (les autres), sacrifie tout et tous sur l’autel des plus-values. Il ne manifeste d’égards pour personne, trop soucieux de chaque minute qui passe et qui lui fait perdre de l’argent. Il ne dépense pas, il « claque », ça va plus vite. Quand il se lève au milieu d’un déjeuner pour courir passer un coup de fil (et éventuellement ne jamais revenir), on l’admire presque de ne pas prévenir et de ne pas s’excuser. Comment cette admirable course à la réussite s’accommoderait-elle des freins qu’impose le savoir-vivre ?
Le plus que parfait : trop poli pour être honnête. C’est un tueur, il en a le regard noir, implacable. Son ego, lui tient lieu d’idéal. Il est porteur de l’ambition de l’humanité ; il fait d’ailleurs tout ce qu’il faut pour mériter la haute opinion qu’il a de lui-même. Il est au-dessus du commun des mortels mais ne les méprise pas pour autant. Son arme : « la courtoisie », celle qui désespère, qui étouffe, qui ne laisse rien au hasard. Il s’en sert pour mettre une infranchissable distance entre lui-même et l’autre : il virevolte, s’efface devant les portes, court ouvrir une portière, arrache le manteau que vous vouliez tranquillement enfiler. Il enfle son discours de « je vous en prie », « je n’en ferai rien», souhaite tout à tout le monde, tout le temps « bonne après-midi», « bonne soirée»… y compris au portier du restaurant qui n’en demande pas tant. Courtois, exagérément courtois, envers ceux qui l’accompagnent et qui l’entourent. Voilà qui fera oublier pense-t-il ses propos cinglants et son manque d’attention réelle à autrui. En fait, on lui pardonne car c’est de lui dont il a peur.