Galerie de portraits : Le bosseur drogué
Il n’est pas de savoir-vivre sans savoir-être. Le savoir-être est l’harmonie qui préside à toutes nos attitudes. « L’honnête homme » disparu correspond avant tout à une recherche d’équilibre à la fois culturel, moral et social. Trouver l’harmonie intérieure est aujourd’hui le socle sur lequel se bâtit notre rapport à l’autre. C’est ce qui nous permet de résister à un siècle de pressions, de tensions et de sollicitations.
Lorsque tout est fait pour agir dans l’instant pour consommer sans restrictions, pour dire, en temps réel, ce que l’on a envie de dire à n’importe qui et n’importe où, il faut reconstruire une hygiène personnelle et sociale ; c’est la rencontre du savoir- être et du savoir-vivre, un équilibre nouveau à trouver en particulier sur les lieux de travail.
Ces quelques portraits sont destinés à faire prendre conscience que le savoir-vivre est avant tout une attitude dans la vie. Vous les reconnaîtrez, ils font partie de notre entourage. À moins qu’il ne s’agisse de vous-même ?
Le bosseur drogué. On ne devrait pas le montrer du doigt, ni lui en vouloir, pourtant, ce que l’on retient de cet acharné c’est son égocentrisme et son incapacité à hiérarchiser. Ses motivations sont diverses, mais en général, il veut réussir et surtout ne fait confiance à personne. Déléguer équivaut pour lui à déserter ; or, c’est un guerrier. Il fait la guerre au temps : il relève des défis qu’on ne lui demande pas de relever, doit être le premier au bureau et y revenir après-dîner. Il sacrifie tout à son aliénation volontariste. Il commencera à se poser des questions lorsque son neveu de neuf ans lui dira «bonjour monsieur» le soir de l’année où il rentrera à 8 heures… Sa femme est prévenue, elle passe après. Toute révolte de sa part sera vécue comme une intolérance, d’autant qu’elle n’a pas à se plaindre, il l’entretient avec largesse (quand aurait-il, lui, le temps de dépenser son argent?). Quand il croit être amoureux, ses efforts pour se rendre disponible sont admirables (pendant 8 jours). Le rendez-vous au salon de thé près de son bureau entre 16 h 45 et 17 h 50 sera intense, mais attention aux symptômes suivants :
Il tâte le vibreur de son portable à travers la poche de son veston ;
Son regard erre de table en table dans l’espoir fou de trouver un client qui l’obligerait à repartir.;
Il tire un peu la manche de sa chemise pour vous cacher qu’il regarde l’heure.
Mais, il vous aime, n’en doutez pas et dès qu’il est avec vous il n’a qu’une hâte c’est de vous fixer un nouveau rendez-vous entre 20 h 15 et 21 h 50 (il faut bien se nourrir).
Quand il (ou elle) vous emmène en week-end, sachez qu’il y a une conférence à la clé ; le reste du temps, il se cultivera au pas de course suivant une trajectoire minutée dont il ne déviera pas. Il compense son indisponibilité par un empressement marqué, vous arrachant des mains tout ce que vous pouvez faire seule. Il vous servira une tasse de café, hélera un taxi à votre place, empoignera votre valise, voire votre sac à main. Il faut qu’il comble chaque minute de la vie qui s’écoule. Le travail est sa drogue, si vous le lui supprimez, il somatise et consulte aux urgences de l’hôpital ; forcément, il ne va pas traîner dans une salle d’attente. Il ne sait pas vivre : personne n’a de place dans sa vie. Vous avez résisté et vous vivez avec lui ? Débrouillez-vous pour être sa « cliente », c’est la seule chance que vous avez pour qu’il conserve quelque intérêt pour vous. Lorsqu’il répondra à son portable sur l’oreiller, épousez son concurrent ! « La peur de l’ennui est la seule excuse du travail » Jules Renard.