Souvenirs d'enfance et inscription signifiante
Conséquences dans la cure
L’enfant est-il avare de ses souvenirs ?
C’est un fait d’expérience clinique banal que de constater — avec une déception naïve — la pauvreté des souvenirs d’enfance chez l’enfant; on pourrait au contraire penser que la psychanalyse d’enfant permettrait un accès d’autant plus précieux à ce souvenirs, qu’ils sont plus récents. Autant les hypothèses concernant les théories sexuelles de l’enfant sont vives et souvent assurées, autant les souvenirs sont précaires et avares. Freud a articulé ces diverses contradictions à plusieurs occasions.
Le fragment de pure vérité
Il nous semble d’abord opportun de faire une connexion entre ce que la clinique nous apprend des théories sexuelles infantiles et le texte — «Construction dans l’analyse» et de le faire par l’intermédiaire de ce qu’il y a de vrai dans l’analyse ou dans sa recherche : c’est ce qui pousse l’analysant à dire la vérité, ce fragment de «pure vérité». Ce fragment est-il articulé à son inscription signifiante ou se confond-il avec elle?
- L’adolescent et sa transparence
On pourrait peut-être rapprocher ceci de la position rigide des adolescents concernant leur vérité : devant l’adulte, il n’y a rien à exprimer, car l’adulte le sait : «ça se sait». Par exemple, dans la clinique, «cela se verrait à sa démarche» qu’il se masturbe… C’est le côté transparent de l’adolescent. Ainsi se défend-il de ce qui consisterait à mettre en cause le fait que la théorie sexuelle n’est qu’une théorie, qu’il risque de perdre en en parlant. Et ce fragment de «pure vérité» ne serait-il pas le noyau, au même titre qu’il peut constituer le noyau délirant, de l’exigence particulière de l’adolescent et de son tourment?
- Sa transparence et son secret
C’est pourquoi l’adolescent craint pour sa théorie sexuelle infantile, et au-delà, pour une inscription signifiante fondamentale; il est confronté à cet insu qu’il cache pasionnément : c’est son secret, et seul son propre savoir peut le lui dévoiler. Ici, pas lie généralisation hâtive de la part d’un analyste qui le suivrait en cure : l’adolescent llenl par-dessus tout à sa singularité ; il tient à sa théorie sexuelle infantile, théorie qui lin permet de refaire le monde; théorie à laquelle le psychanalyste se confronte.
- Un théorie sexuelle infantile et le réel de son corps
Ce dévoilement vient se heurter à un obstacle qui serait non pas spécifique mais particulier, et qui est la méconnaissance liée au corps tel qu’il se transforme et est mis a ce moment-là en avant dans le réel. On peut d’ailleurs soulever ici l’hypothèse concernant une interrogation clinique grave : l’hébéphrène ne veut-il pas de souvenir.? Veut-il maintenir le refus du corps, sauf du côté de sa méconnaissance? Ces m lu/ophrènes n’arrêtent pas — tant leur discours le laisse entendre — d’essayer vainement d’inventer la théorie sexuelle infantile qu’ils n’ont pas pu créer dans leur prime enfance. Quelle est la qualité, la nature de l’inscription signifiante, pour qu’ellesoit ce point indéfendable au moment de l’adolescence?
L’inscription signifiante
La question que soulève cette incapacité, est celle de la qualité particulière de l’inscription pour qu’elle soit une inscription signifiante; elle est aussi celle de son support — le support de la chose (par exemple dans « la machine à influencer », de Tausk).
- Le temps des souvenirs
Un enfant petit qui a «des souvenirs» — de tel lieu fréquenté — a dans sa petite h« non pas la carte Michelin mais celle du Tendre. En classe, c’est du côté de la culture, du savoir, que se trouvent être suscités les souvenirs. Ce qui produit un effet de saturation avant l’adolescence. Quand ce travail de recueil ne se fait pas, c’est peut être parce que l’enfant veut en rester au dispositif permettant qu’il n’y ait pas de souvenir, pour que seule l’inscription signifiante compte (mais par quel refoulement i n irste-t-il là, ou par quelle absence de refoulement?).
- Inscriptions signifiantes et refoulement
Dans sa relation à ce qu’il perçoit autour de lui, l’enfant, jusqu’à la période de latence, ne ferait-il pas d’autre travail psychique que de maintenir vive cette inscription’ La motricité, l’agir peut-être, participent-ils à cette inscription, à ses aléas? Les soulignent-ils positivement, les empêchent-ils en soulevant alors la question de l’exis- hcc île diverses modalités de refoulement? Ainsi se trouve posée l’éventualité d’une t/r .iion particulière du schéma de Freud dans le chapitre VII de la « Tniumdeutung », schéma réactualisé dans «Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci» [21]. Cette importance accordée par Freud au corps engagé dans la motricité, montre bien à quel point les aléas de cette inscription signifiante s’articulent aux souvenirs d’enfance dans ce qu’ils ont à voir avec les inscriptions chez la mère elle-même : l’agir de l’enfant venant maintenir, raviver, renforcer l’inscription signifiante chez elle.
C’est cette problématique qui est entièrement remaniée à l’adolescence, où les unis souvenirs sont possibles.
C’est la clinique de la cure qui nous oblige à supposer la nécessité d’une inscription signifiante.
Deux exemples cliniques
La mère d’un adolescent autiste déclare, à propos de la filiation de l’inscription signifiante de son fils, que seule la lignée paternelle connaît des troubles psychopathologiques (internement d’une tante paternelle de l’enfant, dépression de la grand-! mère paternelle, enfants présentant des troubles comportementaux, etc.) alors que dans sa propre famille, dans sa propre lignée, il n’existe aucun trouble psychique : «nous sommes tous sains chez nous». Ce disant, elle s’exclut de sa propre maternité : son fils en effet n’est pas né d’elle, puisqu’il est fou; mais de quelle mère est-il né alors? Il est né de mère inconnue : le ventre de celle dont il naquit n’a reçu en gestation qu’un embryon venu d’ailleurs… Remarquable exemple psychopathologique « d’insémination » artificielle, c’est-à-dire d’inscription signifiante et du même ordre : si elle dût faire l’objet d’une incorporation, elle fut certes signifiante, mais elle aussi du type «insémination artificielle».
Une mère donne le jour à deux jumeaux qui font l’objet à leur naissance d’une déclaration signifiante de la part du médecin accoucheur, déclarant à propos de l’un d’eux qu’il ne pourrait pas vivre longtemps. Ce fut en fait l’autre qui mourut peu de temps après.
L’inscription reçue du désir de l’Autre ne fut incorporée que dans le désir de faire opposition à cette prédiction, mais dans un rapport ambivalent tel à l’Autre — donc au père — que son message fut doublement inversé : ce fut pour l’autre enfant, l’enfant viable, que la mère l’assuma en le renforçant probablement de son propre désir de mort pour l’un de ses deux fils.
Au même titre que Freud doit faire intervenir la notion de frayage dans une acception très proche de celle d’inscription, Lacan emploie l’expression d’inscription signifiante parce qu’elle semble propre à rendre compte des rapports nécessaires entre le signifiant et la lettre. Pour nous, nous serions enclins à considérer que cette expression rend compte d’une certaine articulation entre la fonction et le fonctionnement.
- Inscription signifiante et théorie sexuelle infantile
Cette inscription signifiante est entretenue par une théorie sexuelle infantile. A cette théorie, à cette inscription, tout, ensuite, se ramène et se croise. Le type de refoulement devient alors défensif. Et à partir de l’adolescence, le souvenir est le soutien de ce refoulement. C’est le refoulement à partir des constructions qui permet de s’inventer un passé — et il y fait écran.
Réel sexuel versus théorie sexuelle infantile
Le corps étant en avant de la scène, le réel de la sexualité vient obliger l’adolescenl à défendre sa théorie sexuelle infantile. Et pour ce faire, il n’a que le corps; il n’a donc comme défense que sa méconnaissance. En même temps cette défense est celle de son secret. En d’autres termes, cette théorie sexuelle infantile, sur laquelle se fondaient toutes ses constructions passées, sur laquelle se posait sa période de latence, est une théorie confrontée au réel sexuel du corps.
Clinique. La question centrale de la théorie sexuelle infantile de cette patiente était la suivante ; comment le père peut-il trouver le trou? Vingt ans plus tard, elle n’avail toujours pas trouvé le trou, bien,qu’elle ait fait sa médecine. Elle le cherchait dans son corps sans le trouver : «J’en suis restée là, il ne doit pas y avoir de trou, c’est une erreur.» De sorte que dans sa relation avec l’homme, elle dit : «Ce que je peux chercher chez lui, c’est une barrière, car chaque fois je suis frustrée mais je recom- fcïiu e. » Ainsi la fonction de cette relation est de confirmer sa théorie sexuelle infantile..
Il c’est tout le drame de l’adolescent de devoir faire valoir ce réel contre elle (cf. It’imcsse d’André Gide) [41], donc de devoir pour partie y renoncer, en faire le deuil, llti’inc si en désespoir de cause il en conserve cette part de pure vérité, part qui lui h Mi’ mais qui prend alors seulement valeur d’inscription signifiante.
Le souvenir s’origine dans l’inscription signifiante
Construction et reconstruction du sou (s) venir
Ainsi dans la clinique et la cure psychanalytique, s’articule chez l’enfant ce qui spécifie les théories sexuelles infantiles et les particularités des souvenirs d’enfance. I n effet, ce que nous appelons souvenir d’enfance est à l’instar de la construction en (tuyelianalyse ou de la théorie sexuelle infantile, ce que l’enfant crée, pour maintenir vivace un «fragment de pure vérité», c’est-à-dire une inscription signifiante infantile. Il va se construire une série de souvenirs, dont le trait unaire effacé et rappelé par leur moyen, est une inscription signifiante inconsciente.
De quoi, dès lors, va être constitué le «souvenir d’enfance»? Non pas des images qui l’habillent — écran coloré, restes diurnes du rêve, etc. — mais de l’inscription signifiante proprement dite. Comme d’un rêve, le «souvenir d’enfance» est l’accom- (ilivsement d’un désir inconscient, afin que soit maintenue l’inscription signifiante où li désir trouve sa source.
Hétérogénéité du souvenir et du fantasme
On peut dès lors en tirer cette importante conséquence de la totale hétérogénéité du imivenir d’enfance et du fantasme; car celui-ci reprend l’inscription signifiante dans unelogique formulable du rapport entre le sujet pris dans le langage et l’objet.
- Signifiance du fantasme
Dés la plus petite enfance, l’inscription signifiante, les quelques inscriptions signifiante auxquelles tient l’enfant, relèvent de la formule du fantasme. Les lonséquences dans la cure, c’est qu’on ne peut faire appel à un souvenir d’enfance pour révéler un fantasme; ce que dit Freud à sa façon quand il soutient que «la part de vérité dans une construction en analyse est bien plus thérapeutique que le souvenir refoulé et son retour». (Constructions dans l’analyse [23].)
- Illusion du souvenir
Avec l’enfant, l’analyste est relativement à l’abri de cette illusion que le souvenir, ilmis son imaginaire, serait à prendre en compte alors qu’il n’a d’importance que par son signifiant. L’illusion renvoie ici au figuratif effacé pour le sujet; le figuratif illusoire efface l’accès au signifiant, en barre l’accès.
L ’analyste parfois, recherche chez la mère le souvenir infantile qu’il ne trouve pas chez l’enfant — c’est tout aussi illusoire tandis que la recherche chez, elle d’une inscription signifiante dont son enfant peut dépendre est souvent opportune. C’est parfois un des seuls moyens qui existent de nouer avec ce symbolique le réel el l’imaginaire du corps, quand l’enfant est du réel pour elle.
L’inscription signifiante comme-une
Il se peut que l’enfant soutienne une inscription signifiante, la sienne, qui soil cependant la même que celle que sa mère préserve. Chacune ayant avec l’autre un rapport spéculaire tel, que si la cure dissocie l’une de l’autre, de la dépression, voire de la mélancolie peuvent se mettre en place.
Pendant un temps, la thérapie mère-enfant peut avoir pour effet d’ouvrir entre eux le champ phallique, forçant ainsi la mère à renoncer à faire de son enfant un phallus imaginaire ou l’objet de sa jouissance Autre (entre Réel et Imaginaire).
- Le savoir de la mère
La stratégie analytique va toutefois ici se heurter au type de savoir de la mère dans son rapport avec l’inscription signifiante. C’est elle seule qui peut savoir, et l’enfanl par rapport à l’inscription signifiante n’a donc même pas le droit de se forger l’hypo4 thèse d’une théorie sexuelle infantile soutenant une inscription qu’il ne peut faire sienne. Ici la bi-univocité de l’inscription signifiante ne lui est même pas possible, L’accès au miroir, dans la mesure où celui-ci a à faire avec le Je, lui est dès lors interdit; pas de tiers terme parce que pas d’image virtuelle entre elle et lui.
- Le bord à bord
Dans le cas de cette inscription signifiante commune, qu’en est-il des bords respeeJ tifs mère-enfant comme support de cette inscription? Le bord à bord des orifices mère et enfant, bord à bord relatif au trou dû à l’inscription signifiante quand elle est commune, ne fait pas débordement. Car seul le signifiant dé-borde. Ce qui veut dire f qu’ici le signifiant inscrit l’est, mais à la place du mort, au lieu du mort. Ce lieu est celui du S,, signifiant maître. C’est la mort qui commande, et la mère, par l’inscription commune, tente de tromper la mort.
Au regard de la clinique et du travail freudien, il nous semble donc que l’on puisse considérer qu’un souvenir d’enfance n’en est un que s’il peut être véhiculé et utilisé pour une inscription signifiante. D’ailleurs, l’acception du terme allemand NieclersA chrift qui correspond à la traduction d’inscription, est attestée dès le siècle comme signifiant « Transmettre une information et en conserver le souvenir».
Conclusion
Ainsi l’inscription sert à conserver le souvenir, elle permet de parler d’un souvenii vécu et perdu.
Il ne nous semble pas inopportun de rapprocher cette fonction de celle de la lettre aussi bien dans sa littéralité que dans son acception de courrier.
Et l’on sait, à la suite du travail en 1989 de J.C. Kahn, «Les moines messagers»1 l’importance qu’avait prise cette transmission par inscription à la fin du xic siècle 9 chaque couvent, par l’écrit de celui qui en était capable, venant ainsi conférer ail message la qualité d’une information pour que l’on en garde le souvenir.