Question mille et une raisons pour de choix vouloir, ou non, allaiter
De le nombreuses raisons sont invoquées pour justifier le choix de l’allaitement au sein ou au biberon. Ce choix reste néanmoins influencé par des paramètres de toutes sortes, qui vont conditionner le déroulement de ‘allaitement. Il s’agit, pour la plupart, de peurs et de résistances. Clairement formulées ou bien cachées au fond de l’inconscient, ces peurs choisissent cette période de plus grande vulnérabilité pour se manifester. Il arrive ainsi que certaines femmes, informées et désireuses d’allaiter, soient contrariées et empêchées dans leur décision par un processus inconscient, qui joue sa partition dans les coulisses et avec lequel elles n’ont pas de relation.
L’indépendance de la femme menacée
Au premier abord, il paraît simple d’allaiter. Mais, pour certaines, c’est difficile. L’allaitement repose sur la loi de dépendance complète du nouveau-né envers sa mère, dépendance que celle-ci peut trouver pesante. Personne ne peut lui donner le sein à sa place. Certaines trouvent qu’elles ont déjà beaucoup donné d’elles-mêmes et sacrifié leur liberté en portant le bébé neuf mois et en l’accouchant.
Dépendance et indépendance
Parfois, les femmes ne veulent pas allaiter de peur que l’enfant ne s’attache trop à elle et n’acquiert pas rapidement son indépendance. Cette peur exprime non seulement celle de leur indépendance menacée, mais aussi celle qui se rattache à une vieille croyance qui empoisonne encore le comportement vis-à- vis des enfants : « Il ne faut pas trop les câliner ni les porter afin qu’ils ne prennent pas de mauvaises habitudes et, surtout, deviennent vite indépendants… »
C’est pourtant tout le contraire ! Nombreux sont les psychologues à avoir démontré que, dès sa naissance, un enfant allaité, porté, câliné et non séparé de sa mère développera cette confiance en lui qui est la condition première de son indépendance.
Allaiter, ou la peur de se faire absorber
L’acceptation par la mère de cette dépendance initiale est aussi une condition essentielle. Cette dépendance, plus grande dans l’allaitement, abolit les repères et les distances habituelles. La femme peut avoir peur d’être absorbée, presque engloutie par la bouche de son enfant. Sa vie s’écoule dans celle à peine née. En ce sens, il est compréhensible que certaines préfèrent interposer un objet neutre entre leur corps et celui de leur enfant. Le biberon devient un objet sécurisant car il ne puise pas directement « dans » la mère…
Peur de la fatigue
On entend très souvent dire que l’allaitement fatigue pour les raisons suivantes : les tétées fréquentes, les nuits hachées et le corps épuisé à fabriquer le lait. Déjà, la grossesse et l’accouchement entraînent une fatigue globale de l’organisme consécutive à la rapide dépression hormonale et au choc de l’événement. Et devenir parent est, à lui seul, un bouleversement psychologique suffisant pour expliquer une grande fatigue. Les temps de ressource- ment nécessaires pour intégrer cette vie nouvelle seront recherchés dans le sommeil, mais aussi favorisés par la relaxation et la détente… pendant l’allaitement.
Cela dit, l’allaitement peut se révéler fatiguant si la mère reprend trop vite ses activités ménagères et professionnelles, si elle ne profite pas du temps de la tétée pour se reposer, si sa nourriture est insuffisante et de qualité médiocre et si, enfin, le rythme des parents (sorties, voyage, entourage bruyant et nerveux) l’emporte sur celui du nouveau-né. Dans ces conditions, l’allaitement peut évidemment provoquer une fatigue supplémentaire au lieu de procurer l’occasion bénéfique de se reposer et de se détendre. L’allaitement peut aussi « insécuriser » certaines femmes de nature inquiète qui, par manque de confiance en leurs capacités maternelles, se feront trop de soucis, risquant même de bloquer l’éjection du lait. Celles-ci seront tentées de peser leur bébé avant et après chaque tétée, voire de téléphoner au pédiatre deux fois par semaine. Mais elles se rassureront assez vite au verdict de bonne santé qu’il formulera dès le passage du nouveau-né sur la balance.
En définitive, cette peur de la fatigue avant d’allaiter ne cache-t-elle pas aussi celle, naturelle, d’être pompée, vidée au cœur de soi- même ? La peur de perdre le peu de sécurité affective et de confiance en soi amassées au cours de sa vie ? La fatigue deviendrait ainsi un prétexte légitime pour se protéger contre une vulnérabilité mise à fléur de peau par l’allaitement.
Cela ne vaut pas fa peine… s’il faut retravailler deux mois et demi après
Cette raison est souvent invoquée. Il est malheureusement vrai que le congé postnatal est trop court. Nourri au sein comme au biberon, un bébé de deux mois et demi a encore besoin de sa mère. Et elle aussi a besoin de lui. Il leur faut déjà se quitter alors qu’ils commencent à peine à se connaître et que le lait coule enfin sans difficulté.
Le nouveau-né grandit et mûrit très vite au début de sa vie. Il suffit parfois de deux à quatre semaines supplémentaires pour permettre à chacun de mieux vivre la séparation. Allaité déjà pendant deux mois et demi, un enfant démarre sa vie dans des conditions de sécurité immunitaire et affective. Pourquoi aussi ne pas tenter de concilier travail et allaitement? Cette alliance peut être une merveilleuse façon de « nourrir » le lien à son enfant tout en réinvestissant sa réalité professionnelle.
Le droit au temps
Le pire défi de notre société est le droit au temps. Il faut le rentabiliser ! Enceinte, la femme dispose encore du droit au temps : le temps, pendant quelques mois, de prendre son temps. Souvent, en fin de grossesse, elle ne sait plus ni le jour ni l’heure. Elle n’a plus la même conscience du temps. Elle est « hors du temps », dans un temps autre que celui scandé par les minutes, les horaires à tenir et les obligations à assumer. Les retards, l’oubli des rendez-vous – alors qu’elle était la ponctualité même – sont devenus monnaie courante, et elle prend dix fois plus de temps pour faire les choses. L’accouchement est un long et rapide voyage dans le temps, de la naissance de son enfant vers sa naissance à elle, temps dilaté en centimètres et dont la fin est ponctuée par l’heure et les minutes du premier cri. L’allaitement perpétue ce temps « hors du temps ». Temps scandé par les tétées, parfois très rapprochées et qui prennent du temps. C’est là que réside parfois la difficulté.
Accepter de prendre ce temps pour nourrir son enfant, sans se remettre trop vite dans la course du temps contre la montre, et d’être un peu à contretemps de l’entourage. Heures étranges où le temps se suspend, baignade dans l’intemporel, peur de l’abandon, peur qui, montre en main, limite le temps d’un sein à l’autre avant de lâcher prise au temps qui file et au bon temps qui s’écoule.
Les journées peuvent paraître aussi longues que courtes ; le temps passe, en apparence, à ne rien faire mais, en profondeur, il tisse les liens invisibles qui, petit à petit, constitueront l’ancrage et les fondations de l’enfant dans l’aventure de sa vie.
Allaitement et pudeur
L’allaitement peut se révéler comme une expérience sensuelle ; il fait appel à tous les sens de la mère et de son enfant. Le contact peau à peau, propre à l’allaitement, privilégie une intimité corporelle et affective avec le bébé qui peut gêner la mère et son entourage.
Cette intimité, plutôt réservée dans le couple, se retrouve parfois partagée et offerte aux regards des autres si la mère allaite en société. Se permettre d’allaiter suscite les réactions de beaucoup de personnes, dont les intentions ne sont pas toujours aussi bienveillantes qu’elles le paraissent. Ces réactions cachent souvent la gêne ou la jalousie de voir le plaisir du bébé, mais aussi celui de sa mère ».
La peur du sevrage
Certaines femmes ne veulent pas allaiter car l’idée de devoir sevrer leur bébé les désespère d’avance. La naissance est la première étape du long chemin d’amour entre une mère et son enfant. Sur ce chemin balisé de séparations successives, le sevrage du sein en est une autre. Il n’est facile pour personne de vivre la séparation, pourtant si nécessaire au processus d’individualisation de l’enfant, et il est donc normal de la redouter.
Aimer, allaiter son enfant relèvent du grand art ! Une mère offre son corps, consacre son temps à son enfant qui, avec avidité, en prend possession. Pourtant, tout en donnant beaucoup, elle doit le faire avec désintéressement, c’est-à-dire en laissant son enfant la quitter, et même en l’aidant à partir. Mais elle, que va-t-elle devenir après ? C’est peut-être là que réside l’inquiétude, celle de se retrouver vidée, sans but et sans reconnaissance. La mère n’est-elle pas aussi abandonnée et confrontée aux premières séparations qu’elle a vécues lorsqu’elle était enfant ?
Cette crainte de sevrer, n’est-ce pas aussi finalement celle de se confronter à l’instinct de possession qui vit en chacun de nous ? Esquiver cette part de soi-même, même déplaisante, ne résout pas forcément le problème. En prendre conscience et oser en parler permettent souvent de dissoudre le sentiment au moment opportun. Mais pourquoi déjà parler de la fin alors que le début n’a pas commencé ?
Enfant à naître et enfant intérieur
Une mère caresse toujours l’espoir de s’occuper au mieux de son bébé. Mais la vie de l’enfant dans son « enceinte » fait revivre l’« enfant intérieure », celle qu’elle a été, celle qu’elle est toujours. Si cette enfant-là a vécu dans les premières années de sa vie des manques d’amour, de reconnaissance et de liberté inscrits dans sa mémoire, ces lacunes peuvent resurgir et influencer le comportement de la mère. En effet, les exigences normales d’un bébé, dont le but primordial est de vivre, raniment parfois les souvenirs douloureux de ses propres besoins maliatisfaits. La relation à sa propre mère se rejoue, et il n’est pas rare de voir, dans cette période, un éloignement ou un rapprochement entre la mère et la fille. Il se passe de toute façon quelque chose, surtout si la nouvelle mère est la première ou l’unique fille à avoir un enfant. La grossesse est parfois l’occasion de faire parler sa mère de sa grossesse, d’évoquer sa propre naissance, de lui demander si elle a ou non allaité ainsi que comment et pendant combien de temps l’allaitement s’est déroulé. Il est trop simple de dire « comme mère a allaité, fille allaitera », car le contexte et la mode influent également sur le comportement de la fille. En revanche, on ne peut pas totalement nier l’impact de l’histoire d’allaitement entre la mère et sa fille, qui crée même parfois des événements répétitifs. Citons l’exemple de cette mère qui n’a allaité sa fille que pendant trois semaines.
La mémoire corporelle de la fille n’a pas manqué de le lui rappeler alors qu’elle arrivait elle-même à trois semaines d’allaitement : son lait s’est tari.
S’il est difficile pour soi, comme pour sa mère, de faire remonter à la surface des souvenirs peut-être pénibles, les mots posés sur les événements véhiculent une énergie qui s’avère parfois source de réconciliation avec soi-même, avec sa mère, et surtout avec l’image maternelle
Aujourd’hui, nous pouvons bénéficier de l’éclairage de la psychologie, qui met en évidence les relations subtiles et inconscientes entre les êtres. La maternité est une période très propice à l’émergence de tous ces processus inconscients.