la métapsychologie Freudienne : Pulsion et libido
L’être humain est divisé entre sa propre individualité, son unicité, et son appartenance à la société, au service de l’espèce. Il est de ce fait habité par des poussées, dans un sens ou dans l’autre, ou pulsions conflictuelles. La pulsion, notion utilisée par Freud, ne doit pas être confondue avec l’instinct, car elle marque justement, dans son esprit, la différence avec l’instinct animal. Ce terme de pulsion désigne une poussée. Cette notion était déjà utilisée en psychiatrie avant Freud, notamment à propos de la sexualité. Les premiers psychiatres observaient déjà l’importance des pulsions sexuelles dans la maladie mentale, et l’angoisse produite par leur insatisfaction. De même, du côté des philosophes, Nietzsche, d’ailleurs cité par Freud, a insisté dans son œuvre sur les conflits pulsionnels comme sur les instincts.
Pulsion
Pulsion, libido et narcissisme sont trois concepts interdépendants, bases de la théorie freudienne de la sexualité. Très tôt dans ses recherches Freud observe qu’il y a deux sources d’excitation, l’une nous vient de l’extérieur, l’autre de l’intérieur. A la première nous pouvons réagir selon le caractère agréable ou pas, selon le bénéfice que nous en attendons, en acceptant, en utilisant, voire en recherchant ces excitations, mais aussi, à l’inverse, en les évitant, en nous en détournant pour les fuir. En revanche, lorsque ces excitations sont ressenties à l’intérieur de l’individu il ne peut pas les fuir ! Il est donc plus difficile de s’en défendre et parfois aussi plus difficile de les maîtriser (l’excitation peut nous déborder). Il en est donc ainsi des pulsions sexuelles. Nous pouvons être attiré par une certaine personne, et, selon le cas, chercher à s’en rapprocher ou, au contraire, vouloir l’éviter. Pourtant, il peut être bien plus difficile de faire face à l’excitation ressentie dans son propre corps et dans son propre imaginaire (ses fantasmes).
C’est en 1905 que Freud utilise le terme de pulsion pour démarquer le psychique et le somatique : il y a l’excitation somatique sexuelle et ce qu’elle suscite au niveau psychique (représentation, fantasme). La première est ponctuelle tandis que la seconde prolonge ses effets dans le temps, s’associe à d’autres situations, etc. A ce niveau, la notion d’instinct est insuffisante, il propose donc celle de pulsion.
Les caractéristiques de la pulsion
Ce sont : la poussée, c’est-à-dire la mise en mouvement de l’activité psychique ; le but qui, dans tous les cas est la satisfaction, c’est-à-dire la suppression de l’excitation ; l’objet qui est le moyen d’atteindre la satisfaction, et la source, l’organe, le substrat somatique. Comme on l’a déjà évoqué, l’objet de la pulsion peut être très variable, contrairement à l’instinct animal (qui a une relative fixité), l’objet de la pulsion sexuelle peut, chez l’être humain, se rapporter à une personne, un organe, ou encore un objet comme, par exemple dans le fétichisme.
Différentes sortes de pulsions
Freud distinguera, dans un premier temps, les pulsions d’auto- conservation ou pulsions du Moi des pulsions sexuelles. Les unes répondent au principe de réalité, au service de la survie de l’individu ; les autres répondent au principe de plaisir, et sont au service de l’espèce, de la procréation. Plus tard il observe que la pulsion sexuelle peut aussi s’exercer sur le Moi, c’est-à-dire le prendre comme objet. Il doit donc encore distinguer deux parties de la libido, la libido du Moi et la libido d’objet (investie sur des objets extérieurs à l’individu). Enfin, à partir de 1920, frappé par les forces psychiques destructrices dans le masochisme ou la mélancolie, en particulier, il considère l’existence de deux sortes de pulsions, les pulsions de vie et les pulsions de mort.
Cette nouvelle distinction ne recouvre pas l’opposition précédente entre pulsions du moi, d’autoconservation, et pulsions sexuelles. Elle démarque plutôt ce qui, dans cet ensemble correspondrait à une face tournée vers la vie, et une autre poussée à l’agression, à la destruction, fut-elle l’autodestruction comme, justement, dans la mélancolie, par exemple. Cette dernière lace serait peut-être même plus originaire. Freud est ici influencé par ce qu’il observe de l’importance de la répétition dans la pathologie, répétition des situations, des comportements, retour à un état antérieur, sous la forme d’une sorte de compulsion qui peut aller jusqu’au retour aux origines, à la non-vie.
Satisfaction ou défense
Si l’issue souhaitée de la pulsion est la satisfaction, le psychisme s’accommode des difficultés rencontrées, ou se défend de la poussée pulsionnelle de quatre façons principales :
» le renversement de la pulsion en son contraire : c’est ce que l’on observe dans le rapport entre sadisme et masochisme, mais aussi dans cet autre couple que constituent le voyeurisme et l’exhibitionnisme. Le sadique peut ainsi se révéler poussé par des pulsions masochistes, et inversement. De même le voyeur peut être poussé par une pulsion exhibitionniste et inversement. Le retournement peut encore porter sur le contenu c’est-à-dire que l’amour devient haine et inversement ;
- on observe aussi le retournement de la pulsion sur la personne propre (libido du moi) ;
- il y encore la possibilité centrale du refoulement, c’est-à- dire du rejet actif des représentations de la pulsion non recevables par le Moi jusqu’à les rendre inaccessibles, dans l’inconscient ;
- enfin, il y a une forme de dégagement cette fois dans la mesure où il ne s’agit pas seulement d’un évitement, mais d’un changement de but, la satisfaction étant trouvée dans un objet qui n’est plus sexuel (travail, objet culturel, expérience artistique, etc.). C’est ce qu’on appelle la sublimation.
À la fin de sa vie Freud considérera cette grande réflexion sur la notion de pulsion comme une sorte de mythologie qui a pour fonction de tenter de rendre compte des parts obscures du fonctionnement psychique, notamment de la sexualité humaine. C’était encore souligner que ce travail de théorisation, de modélisation, constitue un « outil pour penser » toujours en élaboration.
Libido
Le terme libido a d’abord été utilisé par les fondateurs de la sexologie pour désigner l’énergie de l’instinct sexuel. Freud reprend ce mot en le démarquant, au contraire, de l’instinct pour mettre en valeur la dimension psychique qui caractérise la sexualité humaine. C’est en 1905 qu’il met en place les bases de sa théorie de la sexualité dans un ouvrage qui s’intitule Trois essais sur la théorie sexuelle.
Ce terme désigne l’énergie qui est à la base des transformations de la pulsion sexuelle observées dans la pratique clinique. C’est-à- dire que l’objet de cette pulsion n’étant pas absolument l’organe sexuel, la pulsion se porte, par déplacement, sur tout autre objet. De même, la source de la pulsion n’est pas unique, elle correspond aux différentes zones d’excitation, les zones érogènes. Enfin, le but lui-même visé par la pulsion qui est la satisfaction sexuelle, peut être détourné sur des activités intellectuelles, artistiques, sur le travail, etc. Dans ces cas il y a une forme de désexualisation. Ces observations montrent la souplesse du fonctionnement sexuel humain, à l’opposé de l’instinct animal.
Un concept élargi
Pour rendre compte de cette mobilité Freud a élargi la conception de l’énergie sexuelle en utilisant le terme libido ou énergie libidinale. Freud utilise le terme de libido dans un sens large désignant ainsi tout ce que l’on met sous le nom d’amour, depuis la sexualité jusqu’à l’amour de la nature, d’un objet, ou encore, de manière plus abstraite, l’amour de la beauté…
Dans certaines conditions, cette dimension psychique est inopérante, la tension physique non élaborée psychiquement se manifeste alors sous la forme de symptômes physiques ou d’angoisse. Freud distingue la libido du Moi, manifeste dans le narcissisme en particulier, et la libido d’objet (qui se porte sur un objet extérieur au sujet), l’une pouvant se développer au détriment de l’autre (comme dans la psychose où la libido se trouve toute centrée sur le Moi). La libido du Moi est la première à se développer chez l’enfant, avant qu’une partie de cette énergie puisse être portée sur des objets (personnes, choses) du monde extérieur.
Une sexualité infantile
C’est à partir de 1898 que Freud considère l’existence d’une sexualité infantile. Il note le décalage entre ce développement précoce de la sexualité et la maturité tardive des organes sexuels. Il est, en effet, d’observation courante que le jeune enfant se montre curieux des organes sexuels, des conduites de ses parents, etc. L’observation faite par un des disciples de Freud, à propos de son propre fils, le petit Hans, sera l’occasion du développement de la théorie sur la sexualité infantile qui fit scandale dans certains milieux, sortant l’enfant du mythe de l’angélisme. Freud est frappé par l’amnésie que l’on peut généralement observer chez l’adulte qui ne garde que très peu de souvenirs de cette période.
Besoin et plaisir
La sexualité infantile se développe à partir de pulsions dites partielles car elles n’engagent pas tout le corps, non plus que l’organe sexuel, dans la mesure où l’appareil sexuel n’est pas encore fonctionnel. Ces pulsions partielles sont liées à certaines fonctions corporelles essentielles pour les besoins physiques de l’individu : le nourrissage, l’élimination, en particulier. Freud observe que les zones corporelles correspondantes (la bouche, l’anus, le « fait-pipi ») sont particulièrement investies par l’enfant. Le besoin une fois assouvi, il reste le plaisir fonctionnel (qui excède donc le besoin). Ainsi la première pulsion partielle à se développer est celle qui est liée à l’allaitement, à la relation au sein (ou son substitut). La succion produit la satisfaction du besoin alimentaire, mais on observe que le bébé prolonge cette fonction au-delà de sa faim, y prend un plaisir dérivé. La zone de la bouche, des lèvres est à ce moment source d’un plaisir pulsionnel, se développe en zone érogène. Il en sera de même pour l’autre extrémité du corps, et le plaisir pris avec les fèces. Ce sont là les deux objets partiels qui ont une place fondamentale dans la sexualité infantile. Toutes deux très précisément liées au départ à la satisfaction d’un besoin physique, elles sont le témoignage de la part que le psychique prend au somatique. Dans un second temps la pulsion partielle pourra être activée pour elle- même en l’absence du besoin, sous la forme d’un plaisir autoérotique, lui-même fondement du narcissisme (l’enfant sucera des objets, jouera avec les excréments, etc.). Ces zones érogènes garderont leur importance à la maturité sexuelle comme composantes de la sexualité adulte.
Le désir
Le désir est un concept central en psychanalyse. De façon générale ce mot désigne l’attrait sexuel ou spirituel pour un objet. Il prend communément les formes de l’appétit, du souhait, de la convoitise, etc. Dans la théorie freudienne le désir est l’accomplissement d’un souhait inconscient. Il se manifeste en particulier dans les rêves, à la faveur de la levée partielle du contrôle volontaire et de la censure (aux origines culturelles, sociales, religieuses, familiales…). Il se distingue du besoin, ce dernier étant assouvi directement, comme avec la nourriture, tandis que le désir est lié à une représentation, à des souvenirs, qui se sont trouvés associés à une expérience de satisfaction.
Lacan a renforcé cette distinction en la complétant par une autre notion, celle de demande distinguée du besoin. La demande est demande d’amour (c’est toujours ce que l’enfant en nous réclame). Le désir naît de l’écart entre le besoin (pôle physique) et la demande d’amour (pôle psychique), il est lié au fantasme et donc à l’imaginaire.