Préparer son corps à l'allaitement
L’allaitement est une expérience très engageante corporellement. Il est le fruit d’un corps-accord entre la mère et son enfant ainsi qu’entre l’homme et la femme
Écouter son corps pour mieux écouter son bébé
Les sensations corporelles pendant la grossesse
Mettons-nous à l’écoute et essayons de sentir ce que le corps vit lors de cette transformation^ Le corps révèle la manière dont le moi de chacun s’est construit, structuré, protégé ou muré au fur et à mesure de la confrontation aux expériences de la vie.
Le corps-maison
Et si nous comparions notre corps à une maison, avec ses portes, ses fenêtres, ses cheminées ? Selon chacun, on trouve beaucoup d’ouvertures, qui permettent à l’air et à la lumière de passer, et aux échanges avec l’extérieur de se faire librement, ou bien peu d’ouvertures, et les issues de la maison sont fermées, verrouillées, parfois à double tour de peur de l’agression extérieure. Certains ouvrent la porte à qui veut bien entrer, tant leur demande d’amour et de reconnaissance est grande ; d’autres la laissent toujours fermée de peur de perdre ou de se faire dérober quelque chose. Cette maison, qui donnait peut-être une impression d’immobilité et de silence, se met, pendant la grossesse, à bouger, à s’agiter, à vivre de l’intérieur. C’est un moment où le corps révèle son intérieur et sa profondeur. Il est même touché de l’intérieur par quelqu’un qui en palpe les murs. Ceux-ci deviennent mouvants, et leur évolution constante menace les limites habituelles. La grossesse entraîne le corps vers plus d’espace et vers l’ouverture : celle du bassin, des cuisses, du col de l’utérus et du périnée.
Le corps : pôle-terre de l’univers humain
Le corps est directement relié à la nature. Écouter les sensations de son corps permet la prise de conscience des lois naturelles qui œuvrent en lui, qui le régissent.
Et si le corps était un paysage ?
Le corps, dans ces moments, peut évoquer différents paysages de la terre.
La grossesse : paysage vallonné de formes et de courbes douces et rondes, rassemblées autour de la mer originelle et protectrice de la vie qui s’y élabore.
La naissance : volcan qui s’ouvre, traversé par le souffle impétueux de la vie. Le volcan, nous dit Le Petit Robert, est « un orifice de l’écorce terrestre qui met en communication les régions internes (magma) et la surface, et donne généralement naissance à un édifice naturel (cône montagne) ». L’allaitement : le mont des seins fait jaillir la source nourricière de la vie.
Le corps, comme la terre, émet des bruits, des odeurs, des liquides et des matières. L’accouchement et l’allaitement révèlent encore plus nettement ces paysages par tous les orifices, qui sont alors en pleine activité. Les eaux matricielles s’écoulent, le rectum se vide, l’utérus saigne, les pores suent, les yeux pleurent d’émotion et les seins coulent. Toute l’eau de la mère-mer s’écoule du centre corps-terre vers l’extérieur. Le principe féminin symbolisé par l’eau et par la terre est, dans la maternité, à son apogée.
Le corps bâillonné par l’éducation
Notre éducation, notre mode de vie ne favorisent pas l’écoute de l’intérieur du corps. Notre bonne éducation ligote le corps, qui n’a pas le droit de se manifester à voix haute : bâiller, éructer, gargouiller, lâcher des gaz, chanter, crier. Nos orifices et nos fenêtres ont été non seulement éduqués mais aussi bâillonnés, voire verrouillés. L’éducation féminine vise surtout à serrer les orifices inférieurs – zone d’intimité, voie d’accès à l’intérieur du ventre -, dont l’odeur, la moiteur et la source de plaisir évoquent la sexualité. Non seulement cette éducation ponctue les gestes de phrases comme « ne touche pas, c’est sale », mais elle véhicule ainsi la notion que « tout ce qui sort dte notre corps est sale ».
La grossesse offre la possibilité de lever ces barrières éducatives. Ne serait-ce que pour mieux la vivre, préparer la naissance et faciliter l’allaitement. Car de tels principes éducatifs risquent non seulement d’entraver un accouchement – le corps se « retient » -, mais aussi d’empêcher le lait de jaillir. L’éducation n’écoute pas assez le langage du corps. Mais avec quoi le corps parle-t-il ?
Les émetteurs du corps : les sens
Le toucher, l’odorat, l’ouïe, la vue et le goût. Nous n’aborderons pas ici tous les sens ; nous donnerons priorité au toucher, car la communication mère-enfant passe essentiellement par leurs peaux respectives : contact, enveloppement corporel du bébé dans la matrice originelle, qui se recrée au-dehors par la chaleur et par la douceur de la peau de sa mère… Allaiter, c’est autant une histoire de toucher et d’odeurs que d’avoir son enfant « dans la peau ».
La peau
La peau est l’enveloppe physique, mais aussi symbolique, du moi-corps-maison.
Son importance ressort dans des expressions comme : « Avoir quelqu’un dans la peau » ; « Changer de peau » ; « Je ne voudrais pas être dans ta peau » ; « Être mal dans sa peau »… Le toucher est l’organe des sens le plus indis- pepsable à la vie. On peut vivre aveugle, sourd, sans goût ni odorat, mais pas sans peau. De plus, on peut fermer les yeux ou se boucher les oreilles, mais la peau ne peut pas se soustraire à la sensation.
Elle informe le cerveau de ce qui se passe « à fleur de peau », elle fait écran, elle est un lieu d’échanges et elle possède une mémoire.
La mémoire de la peau
La mémoire de la peau est comme une bande magnétique imprégnée de tous les événements vécus par la personne. Ceux-ci influencent la manière « d’habiter son corps ». La qualité de la peau de certaines régions du corps renseigne parfaitement sur la présence ou l’absence de vie. À certains endroits, elle est chaude, vivante, souple, aérée, alors qu’ailleurs elle est terne, sèche, épaisse et collée. Parfois même, elle semble protéger une zone plus spécifiquement investie par la mémoire douloureuse d’un événement. Elle peut alors se transformer en un mur épais qui renferme un secret. Le secret de cette douleur enfouie au plus profond de nous-mêmes, tant elle est insupportable et insurmontable…
La peau est le lieu de communication primordial chez le nouveau-né mais, chez l’adulte, elle est souvent peu ou mal sollicitée et, de toute façon, « sous-employée ». Pendant la grossesse, le corps appelle à être « touché. » Il change de forme, de taille. Le toucher le délimite, le rassemble et lui donne des repères. La femme est forcément plus touchée pendant la grossesse à cause des soins et des examens (le « toucher vaginal »), mais ce n’est pas pour cela qu’elle est bien touchée. Nous déplorons bien trop souvent l’absence d’attention et d’écoute du toucher pratiqué par le personnel médical, même s’il est évident que ce toucher doit rester professionnel. Comment peut-on détendre des cuisses ou un vagin sans les approcher par un toucher rassurant ?