Objet, latence, deuil
L’entrée dans la latence
Auto-érotisme et bi-univocité
Ce qui est caractéristique de l’entrée dans la latence, c’est le passage de l’objet comme extérieur, le sein, dans la mesure où il apporte une satisfaction, à un objet dit auto-érotique. Ce passage se fait pour Freud au moment où l’enfant se représente le corps de la mère comme un tout : cette imago, ce passage au stade du miroir, se traduit par la perte de l’objet qui se perd dans l’image du tout du corps de la mère, et de l’image du corps de l’enfant. Image spéculaire : s’il s’agit de rapports bi- imivoques à une image réelle, le sein est en somme dépossédé de ses qualités par une image qui le comporterait; c’est l’impasse dépressive car cette image, de ne pas être virtuelle, d’être réelle, ne peut évidemment faire l’objet de la dévoration, de la satisfaction orale au même titre que le sein — lithographie d’Utamaro Kitagawa «Une jeune femme se coiffe et donne son sein à son enfant distrait» à la Fondation ( Monet, musée de Giverny — montre que le toucher et le regard peuvent remplacer la seule bouche, le regard étant non seulement détourné de l’objet, mais dirigé vers un tiers. Mais les aléas du miroir peuvent ne pas être de l’ordre de la bi-univocité impliquant la réalité de l’image; ils peuvent porter sur ce que la virtualité de l’image a de relatif à l’idéal du moi : en effet ce moment s’écrit pour Freud comme celui d’un auto-érotisme qui caractérise la phase de latence, qui voit s’établir un amour de soi, im amour propre qui porte dès lors sur une image idéale de soi-même : c’est dans cette mesure semble-t-il, que l’idéal du moi hérite de la brillance et de tous les attri- liuts de l’objet désormais perdu.
Dépression et travail de deuil par anticipation
On conçoit à quel point dans les états dépressifs de la jeune enfance, la chute de ce constitue l’idéal du moi puisse relayer ce qui constitue les effets de la «perte d’objet», en particulier lorsque la disparition de celui-ci ne correspond pas à la cons- iilution de l’image spéculaire, c’est-à-dire à la prise de cet objet dans le symbolique ri par l’anticipation.
Ainsi s’ouvre l’éventualité d’une articulation étroite et presque nécessaire entre j l’unticipation et la dépression, suscitant dans la cure une exigence d’un travail île I ilcuil d’un type particulier.
En clinique et au cours des cures, trois ordres de travail de deuil se trouvent devoir être élaborés :
- l’élaboration de la perte de l’objet, c’est-à-dire de la mère dès lors que celle-ci est l’objet même, et ici la clinique est fortement et presque exclusivement de l’ordre de la sphère orale.
- l’élaboration de la blessure ou de la destitution de l’idéal du moi, et c’est l’image du corps ou ce en quoi ses fonctions sont phalliques qui sont l’objet de ce travail.
- enfin, le deuil articulé aux failles de l’anticipation, et que l’on pourrait spécifier de «Deuil du futur-antérieur».
Ces trois occurrences posent de façon différente dans la cure — au même titre qu’elles se situent différemment dans la structure — le problème de ce que c’est qu’une élaboration : ce travail, comme nous venons d’essayer précisément de le montrer, n’est pas de l’ordre d’une séparation, d’un comblement, d’un support. Ce serait là en effet un dispositif qui tendrait à esquiver l’essentiel, à savoir que l’objet en psychanalyse n’a de poids que dans la mesure où il manque, où il est dysharmo- nique, et que toute tentative d’introduire du «plus», ou de boucher les trous, ou de combler les failles, met à contribution l’imaginaire : postiche, masque, adornement tout au plus de l’ordre d’un ravalement.
Le travail d’élaboration
Il ne s’agit donc pas de pallier un défaut, de renflouer un débit, d’envelopper des débris ou de retirer ce qui s’effondrerait. Le travail d’élaboration met à l’œuvre le symbolique.
Deuil et identification
Comme le dit Freud, ce travail doit être fait «dans les détails» et l’on sait l’importance qu’il attachait à élaborer les versants de deuil portant sur les identifications dont les plus fortes sont les identifications imaginaires.
- La mère réelle
Quand la mère constitue l’objet même, qu’elle est selon Lacan «la mère réelle», l’exemple donné par Freud [18] du jeu de la bobine nous montre la voie du nouage d’une activité motrice, d’un fonctionnement, à la symbolisation qui vient, par le Fort- Da, scander la présence et l’absence, scansion qui jouxte de près ce qu’il en serai! d’une anticipation. Celle-ci est de l’ordre de l’imaginaire dans ce qui est donné à voir, dans le jeu et la motricité, dans l’image et son évanescence; elle est symbolique de ce en quoi elle a été au préalable parlée par la mère, dans des jeux de retrouvailles antérieurs : ce n’est pas seulement l’image de l’objet réel qui est ici en cause par son apparition et sa disparition, c’est aussi et surtout la voix de la mère (ou du père) commentant le jeu du coucou, qui est actualisée dans l’articulation du Fort-Da; corps engagé dans la parole, tout autant que dans l’audition de la différence signifiante des phonèmes marquant l’absence ou la présence : discrimination essentielle pour saisir que l’une ne peut procéder que de l’autre.
( )n conçoit aisément que cette opération signifiante soit extrêmement proche de ce <|iii est mis enjeu dans l’appel. Ainsi l’analyste n’a-t-il pas à se tenir à la place de la un ie réelle ou imaginaire, mais bien plutôt à relancer, par le fait qu’il parle l’absence île celle-ci, la discrimination signifiante qui seule permet d’évoquer, de constater I ‘ ii réversibilité de la mort, sanctionnée par l’échec de toute anticipation supposant le h’iour de la mère; mais en même temps cette relance rend possible l’émergence d’un nouvel appel qui cette fois peut être entendu.
- L ‘appel du moi
Quand il s’agit de deuil portant surs l’idéal du moi, l’analyste doit tenir compte ilmis la cure de la complexité de ce que Freud a décrit comme le processus par lequel l’objet se perd de la possibilité d’une représentation globale, processus qui rend dès luis possible de l’érotisme sur le corps propre du sujet — procès inaugurant aussi la l<i i iode de latence. Deux points doivent être précisés à ce sujet :
les modalités de travail de deuil concernent l’image;
l’éventualité d’une absence d’accession à la phase de latence, et ses conséquences dans la clinique psychanalytique et la cure.
Travail de deuil et idéal du Moi
En clinique, ces cures sont souvent exemplaires chez les enfants dont les parents se «’parent, et chez les enfants adoptés.
- Le garçon de trois ans et demi dont le père avait brusquement quitté la mère, alléguant un voyage de travail en Amérique du Sud, s’était déprimé; après une période nu cours de laquelle il croyait voir son père à de nombreux endroits de la ville ou Imbitait la famille, il annonçait sans trêve son retour, et en vint à refuser de sortir et de alimenter normalement. La cure a été d’abord orientée sur ce qui paraissait à cet cillant le plus douloureux : être privé des conversations téléphoniques avec le père, ‘(ni sont devenues très rares puis se sont interrompues. De fait elles étaient l’occasion pour le père de faire des promesses de retour jamais tenues. Dehors, il refusait les neufs achetés par sa mère, il ne parlait à personne à la maternelle, sauf à la concierge. Après douze mois au cours desquels une hospitalisation avait été à plusieurs reprises envisagée devant l’état somatique inquiétant, c’est autour du mot RIO qu’a pu commencer le travail analytique. C’est ainsi qu’a pu être parlé le contraste entre ce qui évoquait dans ce signifiant la perspective imaginaire que son «riait tout haut» avec une femme, au lieu de lui téléphoner à lui qui ne riait plus luniformément à un ordre qu’il s’était donné à lui-même.