Modèles biologiques de dépression
Ces modèles cherchent les causes de la dépression dans des troubles biologiques de notre corps. La raison s’en trouve dans quatre indices faisant penser à un lien étroit entre les dépressions et les processus corporels physiques (Schuy- ler, 1974). D’abord la dépression accompagne souvent des périodes de changements naturels de l’organisme féminin, tels les jours avant la menstruation, le temps après une naissance et les années précédant la ménopause. Le deuxième indice de causes biologiques est la grande similitude des symptômes, chez l’homme et la femme, les personnes jeunes et les personnes âgées, indépendamment de la race et de la culture. Le fait bien établi que les substances psychopharmacologiques et la thérapie électroconvulsive sont des traitements efficaces est un troisième indice. Et, en quatrième lieu, il est bien connu que des personnes normales peuvent présenter des dépressions consécutives (comme effets secondaires) à des traitements médicamenteux (la reser- pine, par exemple, peut provoquer de la dépression).Cette influence des facteurs biologiques a été étudiée dans le domaine des dépressions surtout concernant trois questions :
1. Quelles sont les bases et prédispositions biologiques (génétiques et acquises) favorisant la survenue d’une dépression ?
Dans le domaine des facteurs génétiques des études familiales ont montré que le risque moyen de morbidité pour les parents, les frères et sœurs et enfants de patients dépressifs se situe entre 10 à 15 %, c’est-à-dire qu’il est nettement plus grand que dans la population moyenne (Zerbin-Rüdin, 1969). Dans les troubles bipolaires (c’est-à-dire qui présentent des phases maniaques et dépressives), la charge familiale est encore plus prononcée que chez les unipolaires (c’est-à-dire des troubles dépressifs sans phases maniaques). La recherche sur les jumeaux montre également une influence nette des facteurs génétiques : chez les jumeaux monozygotes la concordance moyenne (c’est-à-dire la concordance concernant la survenue de la maladie) pour les psychoses affectives est de 69 °Io, chez les jumeaux dizygotes, elle n’est que de 19 % (Zerbin-Rüdin, 1969). Dans le cas des dépressions névrotiques et d’autres dépressions psychogènes, la charge familiale est bien plus faible que dans les psychoses affectives, la signification statistique de la différence n’est pas certaine, mais probable (Stensted, 1969).
2. Quels sont les processus liés au trouble actuel ?
Sur le plan des facteurs biochimiques, un nombre croissant d’observations cliniques et expérimentales chez l’homme et chez l’animal a conduit depuis la fin des années 50 à la constatation de relations plus ou moins significatives entre des substances et fonctions biochimiques et neurobiologiques d’une part et les troubles dépressifs de l’autre. Cela rend de plus en plus probable l’intervention d’anomalies biochimiques, neuroendocrinologiques et électrophysiologiques lors de la survenue (prédisposition, déclenchement) de troubles dépressifs. Ces observations ont donné lieu à des hypothèses (l’hypothèse de la catécholamine, l’hypothèse de la sérotonine) qui ont pu être partiellement confirmées au cours de nombreuses recherches. Elles ne permettent cependant pas de considérer les anomalies constatées comme des causes univoques des troubles dépressifs. Cet état des choses a donné lieu à la conception d’un développement multifactoriel et séquentiel des troubles dépressifs : Hautzinger & de Jong-Meyer la résument excellemment de la façon suivante : « Lors du développement d’une dépression nous avons donc affaire à des conditions et influences hétérogènes (par exemple génétiques, psychosociales, développementales, psychophysiologiques, etc.) qui peuvent (mais ne doivent pas) aboutir à une dépression en empruntant une voie commune de modifications biochimiques (par exemple métabolisme des acides aminés, systèmes de neurotransmetteurs, récepteurs) et neuronales (par exemple structures limbiques, locus coeruleus, etc.). »
D’après ce qui vient d’être dit, on pourrait penser que les thérapies biologiques (somatiques) de la dépression seraient dérivées de ces modèles étiologiques. En réalité, elles ont toutes leur origine dans un hasard heureux et l’observation clinique aiguë et subtile, et ce n’est qu’ensuite qu’elles ont été explorées et développées plus avant dans des recherches empiriques. Compte tenu de notre sujet du choix thérapeutique, nous devons nous limiter aux indications qui suivent et nous renvoyons le lecteur intéressé aux références bibliographiques mentionnées.
3. Comment peut-on influencer ces processus au niveau biologique ?
Parmi les substances psychopharmacologiques, l’efficacité des antidépresseurs tricycliques (par exemple Tofranil, Tryptizol) et des IMAO (c’est-à-dire des inhibiteurs de la monoamine-oxydase, par exemple Niamide, Nardelzine) a été mise en évidence par un grand nombre de travaux. Bien qu’on ait beaucoup d’expé¬rience clinique quant à leur indication, le choix et le dosage peuvent demander un peu de temps et de patience, étant donné les façons de réagir individuelles. Le spectre de leurs effets est en partie différent d’une substance à l’autre et peut inclure — surtout dans le cas des IMAO — des effets secondaires gênants. Pour cette raison, le critère de sélection actuellement le plus important en clinique pour le choix d’un antidépresseur est le profil de ses effets secondaires. Leur combinaison avec la psychothérapie sera abordée en fin de chapitre.
Bien que le lithium soit rarement utilisé pour le traitement d’attaque des troubles dépressifs, nous le mentionnons ici, parce que combiné aux antidépresseurs, il peut aider des patients qui ne répondent pas aux seuls antidépresseurs.
La thérapie électroconvulsive ayant eu mauvaise presse pendant longtemps, nous voudrions dire ici que son efficacité a été démontrée surtout dans les dépressions endogènes. Vu les techniques de traitement actuelles, il s’agit d’une thérapie pauvre en risques qui provoque « peu d’effets secondaires non souhaitables et n’entraîne pas de lésion cérébrale irréversible ».
La thérapie des dépressions par la lumière ne doit pas être oubliée ici. Bien qu’elle se trouve toujours dans sa phase expérimentale, les premiers résultats sont encourageants.