L'invention de La technique psychanalytique
Nous allons suivre les évolutions progressives de la technique jusqu’à sa forme définitive, celle universellement connue depuis, le divan. Cette évolution passe par plusieurs auteurs, cliniciens de l’époque freudienne. Freud se saisira tout d’abord de la technique utilisée par Breuer, la Talking Cure que nous venons de voir à l’œuvre dans le traitement d’Anna O., pour ses propres patients. Il soulignera toutefois les difficultés qu’elle présente :
- les malades ne sont pas tous hypnotisables ;
- seuls les symptômes d’origine hystérique seraient abordables de cette façon ;
- cette technique d’investigation systématique prend beaucoup de temps ;
- elle est très exigeante pour le patient (niveau de compréhension, engagement personnel, confiance, collaboration) ;
- pour le thérapeute, elle ne peut être réalisée que si celui-ci porte un réel intérêt au malade, sinon ce serait vite insupportable. Freud insiste dès ces premières cures sur l’importance de ce qui se joue dans cette relation.
Freud cherchera à modifier la technique, à se l’approprier en quelque sorte. En raison des difficultés énumérées ci-dessus, Freud s’efforce progressivement de trouver un substitut à l’hypnose. Mais comment obtenir d’une autre façon ce retour d’éléments qui échappent à la mémoire consciente ?
La résistance des patients
Après s’être préoccupé des patients qui résistent à l’hypnose Freud comprend qu’il s’agit peut-être là d’une forme de résistance au travail psychique demandé : il y a ceux qui acceptent l’hypnose mais résistent au retour de certaines représentations particulièrement dérangeantes, il y a ceux qui résistent à toute émergence de ces représentations, et donc à la technique elle- même. Il observe même que la force de la résistance pourrait être significative de la force qui a été à l’origine de la disparition du souvenir de la conscience. Ces deux forces seraient comme proportionnelles. On aurait alors affaire à une réaction de défense contre ces représentations intolérables pour le moi (souffrance morale, honte, remords). La tâche du thérapeute serait de vaincre cette résistance, et insister jusqu’à faire apparaître la série des représentations pathogènes. Ainsi, il libérerait le patient. On devrait pouvoir y arriver sans le recours à l’hypnose, mais avec l’aide du patient.
Le cas d’Anna a bien montré qu’il y a rarement un seul événement, mais une suite de représentations associées les unes aux autres. Il faudra donc refaire le parcours de cette sorte de montage progressif et on pourra, à chaque étape, être confronté à des résistances. Celles-ci deviendront même des sortes de balises qui indiqueraient le chemin.
On a maintenant l’habitude, par exemple, dans la vie quotidienne, de remarquer la personne qui refuse avec vigueur une interprétation qui semble pourtant évidente, naturelle, à son entourage. On comprend alors que la force mise à contrer cette représentation témoigne de la résistance du sujet (on a l’impression d’avoir touché juste), elle est comme un indice de la pertinence de l’interprétation. Par exemple, s’agissant d’un retard à un rendez-vous important, ou à un examen, on pourra le considérer comme un acte manqué, c’est-à-dire l’expression d’une contre-volonté, celle d’un refus ou d’un évitement. Si le sujet s’en défend fortement, ceci ne fera généralement que renforcer l’impression que l’on a visé juste !
La place de la catharsis dans la thérapie
De la phase des attitudes passionnelles de l’hypnose à la décharge verbale, quelle place réserver à la catharsis dans la thérapie ? Ce phénomène concerne non seulement la psychanalyse mais toutes les psychothérapies. À l’époque de Freud cette donnée a fait l’objet de nombreux travaux et ce, en particulier, par le philosophe Josef Bernays qui faisait partie de la belle-famille de Freud. C’est observer encore l’importance ici du contexte.
Les affects qui n’ont pu s’exprimer ou être déchargés au moment de la situation traumatique, restent comme des enclaves qui perturbent le fonctionnement psychique, et sont à l’origine de symptômes somatiques ou psychiques. Il convient alors de favoriser cette décharge par un dispositif thérapeutique. L’hypnose est, de ce point de vue, un dispositif efficace mais lourd, quasi « chirurgical ».
Janet, lui, utilisait la suggestion mais ne recherchait pas de traumatisme originaire. La suggestion portait plus directement sur la guérison du symptôme que sur l’exploration du matériel inconscient sous-jacent.
Lors du traumatisme la personne tente de réagir à la situation, de s’adapter, de raisonner, et de réprimer son émotion pour ne pas être débordée par elle. Cette émotion, cet affect non exprimés resteront alors attachés à la représentation et refoulés. Ce qui est alors pathogène n’est plus la situation – passée – mais le souvenir enclavé de celle-ci. La thérapie permet d’y avoir accès et de rétablir la circulation des représentations et des émotions. Pour cela il ne suffit pas de retrouver la représentation, il faut que l’ensemble puisse être réactualisé, avec l’intensité d’origine. Breuer et Freud donneront progressivement une importance plus grande à la parole, au fait de pouvoir mettre en mots ce vécu traumatique. C’est cette évolution qui amènera à la technique psychanalytique.
Dans tous les cas, la répétition, la remémoration jouent un rôle essentiel à la thérapie. Et, même dans la psychanalyse qui privilégie la parole, la verbalisation, à l’agir, la part de l’abréaction, de la décharge émotionnelle, reste très importante. L’homme a cette capacité de trouver dans le langage un équivalent de la mise en acte.
La première méthode freudienne : l’introduction du divan
La façon technique, pour Freud, d’insister pour surmonter les résistances tout en évitant l’hypnose, sera de faire allonger le patient, de lui demander de fermer les yeux pour mieux se concentrer sur ce travail psychique. Allonger le patient, c’est mettre le corps au repos, affaiblir les réactions de contrôle, de maîtrise, inviter à une certaine régression, se rapprocher d’un état de rêverie. Freud ajoute un contact physique avec le patient : une pression de la main sur le front. Au moment de cette pression il est demandé au patient de dire tout ce qui lui vient à l’esprit, image, parole, souvenir etc., sans aucune réserve ou critique (le patient va chercher à se dire que ça n’a pas d’intérêt, c’est ridicule, ça ne veut rien dire, c’est inconvenant, etc.) Il s’agit de tenter de rétablir pour un instant, par ce subterfuge, la chaîne des associations dont le cours a été perturbé par les ruptures occasionnées par les mises hors du conscient d’un certain nombre d’éléments. Freud insiste : la main sur le front du patient n’a aucun pouvoir particulier, simplement c’est une façon de faire pression sur le patient, de tenter de venir à bout de ses résistances. D’ailleurs le fait même de « ne rien avoir à dire », par exemple, est la manifestation d’une défense réussie, d’une porte bien gardée (jusqu’à tenter de décourager le thérapeute…). De la même façon Freud observe que la narration spontanée que le patient fait de son histoire, de ses problèmes, se présente comme « un mur bouchant toute perspective » (c’est une construction rationnelle). C’est dans les failles, les décalages, les lapsus, comme dans les mimiques, dans les gestes involontaires, etc., que se trouvent les points d’accès à ce qui se trouve derrière le mur. Non que le patient veuille délibérément cacher certains éléments mais, comme nous l’avons vu, parce que ceux-ci lui échappent désormais totalement. Pour Freud, l’attitude du patient sur le divan est un précieux indicateur du travail psychique en cours : est-il paisible, détendu, crispé, contracté, agité (en pleine lutte interne) ? De cette observation le thérapeute peut savoir s’il peut insister encore ou pas.
La technique psychanalytique est le résultat d’une construction progressive à partir des techniques psychothérapiques existantes, jusqu’au renoncement à l’hypnose et à la suggestion active. La cure psychanalytique se fait à partir d’un dispositif original : l’analysant étendu sur un divan, le psychanalyste assis en retrait, et en arrière (sans face-à-face). La tâche consiste à laisser venir les idées, images, souvenirs, affects, sous la forme d’association libre. L’analyse porte essentiellement sur la relation transférentielle ainsi créée entre l’analysant et le psychanalyste.
Le symptôme aura aussi « son mot à dire » au cours du traitement, il réapparaît à certains moments ou s’intensifie, signifiant que l’on touche là au plus près du souvenir pathogène. Un peu comme un jeu de piste ! Ceci veut dire que ces manifestations ne doivent pas décourager, et surtout, inversement, que l’absence momentanée d’un symptôme ne doit pas précipiter l’arrêt sur un succès partiel. Avec cette première approche clinique à partir de la « méthode cathartique », Freud rencontre un concept nouveau, fondamental pour la psychanalyse : le transfert.
Le transfert
Cette notion devenue maintenant si courante, fait ici son apparition comme une sorte de « faux rapport » : le patient reconnecte l’émotion ancienne à un élément de la situation présente – le thérapeute – plutôt qu’à ce qui était à l’origine – le père, la mère, ou tout autre personnage ayant eu une valeur affective pour l’enfant. Le thérapeute devra l’aider à prendre conscience de ce Décalage pour permettre de rétablir les liens originaires. Il devient ainsi par sa personne même comme un outil de travail, une Médiation. Parler de méthode cathartique à propos de la technique de la Talking Cure, c’est souligner l’apport de J. Breuer pour lequel il s’agit de débarrasser le patient de ces représentations pathogènes par l’ expression et la reviviscence (représentation associée à l’intensité émotionnelle qui lui est restée liée) du souvenir en séance.
Mais Freud abandonnera ce reste de l’hypnose qui est la main posée sur le front, cette pression faite sur le patient, et ce contact pour concentrer son attention. On voit que la résistance du n’est plus considérée comme l’ennemie du thérapeute, mais plutôt comme un outil du travail thérapeutique. La relation thérapeute/patient prend de plus en plus d’importance.
La deuxième méthode freudienne : psycho-analyse
Après Breuer, Freud s’inspira à la fois de Charcot et de Bernheim. Ses essais d’hypnose comme ceux de suggestion verbale le laisseront insatisfait, il n’est pas très efficace par ces techniques. La prestance et l’autorité du thérapeute sont essentielles dans l’hypnose comme dans la technique de la suggestion, cette position ne lui convient pas vraiment. Aussi est-il amené à personnifier son approche : le patient est allongé sur le divan, l’analyste se trouve assis derrière lui (hors de la vue du patient), le patient n’a plus à fermer les yeux. Le face-à-face si essentiel pour l’hypnose est désormais non seulement abandonné en tant que technique, mais encore soigneusement évité par ce dispositif, Freud propose un dégagement de l’emprise du regard, pour le dirent comme pour le thérapeute, afin d’assurer cette liberté du dire sans vis-à-vis. C’est une façon de se dégager d’une situation créole, avec ses conventions, la rencontre en face-à-face, pour créer un dispositif inédit qui renforce le processus régressif, la centration sur son propre fonctionnement psychique. À la suggestion il préfère la méthode des associations libres et de l’analyse de la résistance. À la suite de Bernheim ce traitement est basé sur la relation entre le thérapeute et le patient. Freud travaille désormais sur le transfert.
Voici les principales composantes de ce dispositif enfin abouti, celui de la cure psychanalytique. Ce travail psychique à deux est mis en place à partir de quelques règles qui ont été progressivement précisées : des règles qui concernent le psychanalyste, des règles qui concernent les deux protagonistes, des règles qui concernent le client appelé ici « analysant ».
Des règles du côté du psychanalyste
L’attitude bienveillante
Le psychanalyste se doit d’accueillir le patient sans jugement, avec bienveillance, se montrer disponible, et prêt à recevoir ce que le patient aura à exprimer, même si cela peut lui être désagréable ou contraire à ses propres convictions, par exemple. Il doit garder une certaine neutralité.
L’attention flottante
C’est une écoute non sélective, accueillante pour tout ce qu’exprime le patient quel qu’en soit l’intérêt apparent. Le psychanalyste évite de se laisser capter par une idée, un récit, pour rester à l’écoute de la situation dans sa globalité. Cette qualité d’écoute est une ouverture aux contenus inconscients qui entrent ainsi en résonance chez l’analyste. Car cette attention s’applique aussi à ce qui se passe dans sa propre tête, voire dans son corps (diversion, ennui, intérêt, passion, tension, qualité du processus associatif…).
L’abstinence
Le psychanalyste évite tout autre contact avec l’analysant que celui des séances, afin de maintenir et faciliter le travail proprement psychanalytique, et de pouvoir utiliser l’analyse du transfert comme principal outil. Il est évident que si d’autres contacts sont développés dans la vie professionnelle ou dans la vie quotidienne, le dispositif de l’analyse – créé pour faciliter les projections à l’abri du face-à-face, des contraintes et conventions sociales – n’est plus assuré.
Des règles du côté de l’analysant et du psychanalyste
La règle de libre association
Bleuler a introduit le test des associations verbales inventé par Galton dans la pratique thérapeutique. Jung l’a développé. Il s’agissait de prononcer successivement une liste de mots présélectionnés, en demandant au patient de réagir immédiatement, spontanément, par le premier mot qui lui vient à l’esprit.
Avec Freud il n’est plus question de test mais d’un processus psychique qui libère le sujet des contraintes de la langue, et des règles sociales, pour laisser libre cours à ce qui surgit spontanément, comme c’est le cas de ce qui nous vient en tête sans que nous y pensions, tout au long de la journée. La règle est donc très simple et apparemment facile à appliquer. Il est demandé de « dire tout ce qui vient à l’esprit, spontanément, sans aucune retenue ». C’est bien sûr ce dernier terme « retenue » qui pose problème, c’est que nous sommes habitués à contrôler soigneusement ce que nous disons à nos interlocuteurs, respectant les règles sociales, tenant compte des précédents et du type de relation établie, des enjeux, des stratégies, etc. En un mot nous Filtrons de façon souvent très efficace ce qui nous vient à l’esprit pour ne laisser entendre que ce qui nous paraît être audible et utile dans notre relation à l’interlocuteur. Et c’est encore ce que nous faisons, spontanément, dans le cabinet du psychanalyste.
C’est pourquoi Freud va s’intéresser précisément à ces résistances à tout dire, elles témoignent de ce que nous attendons de l’autre, de ce que nous projetons sur sa personne, de ce qu’elle représente pour nous… tout élément qui renseigne donc sur le transfert.
Considérant que notre esprit est constamment en activité, de nuit et de jour, qu’il produit des images, des mots, des pensées, des sentiments, etc., « associer librement » devrait permettre une mise en contact avec cette activité psychique. Les associations pourraient donc ne jamais s’arrêter. Mais alors, pourquoi sommes-nous parfois « sans aucune idée », comme devant un vide ? Ce sont désormais les obstacles rencontrés à cette liberté d’expression qui seront l’objet de toute l’attention de l’analyste (arrêts, blocages, détours, remplissages, précipitations, reprises, jugements, etc.). Et cela, même si, dans l’absolu, cette tâche de l’association libre est pratiquement irréalisable !
La libre association concerne également le psychanalyste qui s’y est formé par sa propre cure psychanalytique, qui doit tout aussi bien laisser venir pour lui-même, pendant les séances, ses propres associations, devenues un véritable outil de travail.
La règle de restitution
Il est demandé à l’analysant de rapporter dans la séance tout ce qui concerne celle-ci. C’est-à-dire tout ce qui, entre deux séances, se rapporte au travail psychanalytique, comme, par exemple, les échanges avec des proches sur la psychanalyse, ou le fait d’avoir consulté un psychiatre ou un psychologue, d’avoir fait un stage de relaxation ou de tout autre technique, etc. Ces différentes règles, associées à la régularité des séances (horaire, périodicité) constituent le cadre de la séance d’analyse. Elles visent à favoriser la concentration du travail psychique dans les séances, au niveau des aspects les moins contrôlés, les moins conscients, à partir de la relation très particulière ainsi créée entre le psychanalyste et l’analysant.