Les remaniements psychologiques à l’adolescence:Espaces intime et privé
Le corps de l’adulte et de l’adolescent n’est plus très différent, ce qui abolit une certaine distance entre eux. La proximité des corps étant devenue plus dangereuse, l’adolescent a besoin de renforcer cette distance. C’est comme si le corps de l’adulte l’envahissait : « Ma mère me prend la tête ! » Les émergences pulsionnelles et le flou des limites qui l’habitent le rendent plus vulnérable à la présence d’autrui. L’adolescent a besoin de son espace de pensée pour se protéger de cette absence soudaine de distance. Il en a besoin pour être contenu, pour avoir des repères et un lieu qu’il reconnaît comme le sien. De plus, en construisant sa personnalité, il lui faut s’isoler de temps en temps pour penser et se retrouver.
L’espace privé construit depuis l’enfance
L’espace privé s’est construit depuis l’enfance. D’abord, l’enfant découvre le mensonge, celui des parents qui ont des réponses vagues à certaines questions (voir Freud). Il découvre ensuite qu’il peut lui- même cacher certaines de ses pensées, première atteinte à la toute puissance parentale. Il prend conscience que, malgré sa dépendance à l’égard de ses parents, il a ce pouvoir de créer des pensées sans l’autre. C’est déjà une première séparation que les parents doivent accepter. P. Aulagnier écrit à ce propos : « Le droit à garder des pensées secrètes doit être une conquête du Je, le résultat d’une victoire remportée dans une lutte qui oppose au désir d’autonomie de l’enfant l’inévitable contradiction du désir maternel à son égard. »
Cet espace privé de la liberté de penser se développe à la période de latence où le plaisir d’avoir ses pensées secrètes se manifeste à travers l’échange de billets secrets ou l’écriture de journaux intimes. Les enfants acquièrent ainsi le droit à une pensée autonome. Ils peuvent garder une partie de leurs pensées secrètes ou en dire une partie. C’est une condition vitale pour que le Je existe.
S’il est respecté par les parents, le plaisir de posséder cet espace est égal au sentiment d’acquisition d’une puissance. Dans son article Le Droit au secret, Piera Castoriadis-Aulagnier écrit à la page 146 : « […] on doit pouvoir se préserver un plaisir à penser qui n’a d’autre raison que le pur plaisir de créer cette pensée : sa communication éventuelle et le surcroît de plaisir qui peut en résulter doivent rester facultatifs. S’il est vrai que pouvoir communiquer ses pensées, désirer le faire, en attendre une réponse font partie intégrante du fonctionnement psychique et en sont les conditions vitales, il est tout aussi vrai que doit coexister parallèlement la possibilité pour le sujet de créer des pensées qui n’ont comme seul but d’apporter au Je qui les pense la preuve de son autonomie de l’espace qu’il habite et de l’autonomie d’une fonction pensante qu’il est le seul à pouvoir assurer : d’où le plaisir qu’éprouve le Je en les pensant. » Ainsi la dimension autoérotique de garder un espace intime et privé est-elle au moins aussi grande que celle de partager ses pensées.