Les propositions de H.von huch helmuth
H. von Hugh Helmuth, elle, ne se dérobe pas, et répond à cette question par ses très intéressantes conceptions. De la technique avec l’enfant, elle fut la première après Freud à élaborer une théorie rigoureuse, mais qui fasse cependant leur place aux souplesses et nuances subjectives, à la naïveté de l’enfant comme de l’analyste, à leur étonnement libérateur. Formellement, son article sur la technique de l’analyse d’enfants se développe de la façon suivante : objet de l’analyse, généralités techniques, importance de la première séance, particularités techniques subjectives, fonction de l’imago parentale dans le transfert de l’enfant pendant sa cure, transfert de l’analyste, transfert des parents, travail de l’analyste avec les parents. Mais tout compte fait, le texte traite essentiellement de la demande, du transfert et du contrat analytique.
Demande et transfert avec l’enfant
Elle saisit qu’avec un enfant en analyse, le difficile réside en l’établissement et le maintien des conditions propres à assurer au transfert un cadre qui en rende possible le jeu le plus spontané. Or ce cadre dépend de la demande comme du contrat : et pour ce qui concerne les parents, et pour ce qui regarde l’enfant, ni l’une ni l’autre ne se présentent sous les meilleurs auspices. D’emblée, les conditions sont donc réunies pour que le transfert soit principalement négatif. Et le génie de l’auteur est d’avoir compris qu’il importe surtout de partir de cette donnée transférentielle, sans se faire trop d’illusion, c’est-à-dire en se rendant compte, en sachant que cette négativité sera durant toute la cure sa toile de fond, et que le travail du transfert n’est finalement qu’un travail de deuil.
L’enfant ne formule à l’analyste aucune demande, et se rend souvent auprès de lui contre son gré, ignorant tout des buts d’une cure, mais tenant à sa souffrance dont il tire jouissance pour renforcer son sentiment de toute-puissance et son narcissisme de la différence. Avec lui, il convient par conséquent de créer d’abord un rapport trans- fériel, susceptible de permettre l’émergence d’une demande, et ce rapport, pour y parvenir, se soutient d’abord du narcissisme. Ainsi vaut-il mieux que les premiers contacts avec ses parents se fassent sans lui, et que la cure commence à leur domicile.
La première séance, et le premier renversement de la demande
Dès la première séance, il convient d’adapter la méthode à sa personne : son intelligence, son âge, son tempérament et sa pathologie, décident des règles et du programme à suivre, pour tirer tour à tour ou concomitamment parti : des jeux, des .issociations verbales, des actions symboliques comme des discours muets. Faisant preuve d’une écoute bienveillante et attentive, l’analyste concerte son travail avec celui de l’enfant auquel il ne formule ni interdiction, ni suggestion : le jeune analyse nt en consolide sa confiance en lui, en investit sa cure, et en éprouve bientôt si peu de méfiance envers son analyste qu’il lui formule une première demande : il veut pouvoir compter sans limite sur sa confiance. Cette première demande opère par conséquent un renversement narcissique remarquable, par lequel l’enfant s’engage, tout en y impliquant son analyste, dans un transfert positif, mais toutefois de nature purement spéculaire.
Le miroir: transfert imaginaire et Imago
Pourquoi revient-il à un tel miroir de briser définitivement la glace entre l’analyste cl son très jeune analysant? Justement parce que ce dernier s’engage dans un transfert imaginaire dont des imago vont être l’enjeu, et en particulier l’imago parentale. Pour pouvoir être mis à profit dans la cure, un tel transfert exige de la part de l’analyste qu’il soit lui-même au clair avec ses propres imago. «Le travail analytique s’accomplit dans l’inconscient» déclare H. von Hugh Helmuth : et nulle part ailleurs, pouvons-nous ajouter. Cela signifie que l’imago ne prend valeur symbolique et signi- liante pour un sujet en analyse, même et surtout s’il est infans, que lorsque ce qui la conceptualise met à mort la chose refoulée qu’elle image et représente. Or cette valeur n’est prise et la chose ne meurt de ses mots, que si la cure se passe de réels parents, que si le psychanalyste ne les « réellise » pas lui-même ; car d’incarner réellement l’imago, à laquelle ils prétendent ainsi donner présence, psychanalyste et parents en rendent, malgré ce qu’ils en disent, sa mise à mort plus qu’improbable. A ce jeu transférentiel, l’analyste se doit donc de demeurer tiers, de s’en tenir à l’inconscient, afin de ne pas choir dans ce réel. De l’imago, il peut ainsi faire valoir les signifiants du manque, et permettre de la sorte à l’enfant d’exprimer ses désirs conscients et inconscients.
Second renversement de la demande
En s’exprimant, ces désirs opèrent un second renversement de la demande : dans le transfert, l’analyste ne répond à aucun des désirs enfantins en incarnant l’imago qu’ils visent, mais sans répondre à la demande, il incarne néanmoins toujours ce bout de réel anonyme, sur lequel toute imago s’étaye pour venir en place d’objet a à perdre. Le psychanalyste incarne donc quelque chose d’in-corporable, et réalise ainsi une in- carnation littéralement ablative, avec laquelle elle paraît n’avoir pas de rapport.
Mais pour qui me prenez-vous?
Concrètement, chaque fois que l’enfant transfère une imago sur l’analyste, celui-ci luit valoir le réel qui la qualifie, de telle sorte que nul ne puisse se l’identifier, se l’approprier, se l’incorporer; comme s’il énonçait alors à l’enfant : «mais pour qui me prenez-vous?» Le réel lui permet donc de se dissocier de l’imago, et par là de pouvoir révéler à son jeune analysant quels désirs en font son objet. L’imago est cette spécieuse monnaie d’échange dont l’enfant alimente ses trames de transfert; selon son signe, l’analyste est tour à tour allié des parents contre l’enfant, son allié contre eux, ennemi des trois ou ami de tous; il est aussi tantôt l’idéal parental ou le meilleur des enfants, le pire ou le plus solidaire d’une fratrie… Bref, le jeune analysant abandonne progressivement, grâce à la cure, ses processus d’attribution et les clivages manichéens et angoissants propres aux images, pour parvenir à symboliser l’imago à laquelle, non sans effet dépressif, il peut alors renoncer comme objet a.
Le passage de l’imaginaire au symbolique par la parole
Cette symbolisation, qui le désaliène de son imaginaire, se produit à partir de bouts de réel qui ne sont rien que les mots, ces mots qui mémorisent les choses et les rappellent en les nommant, ces mots qui ne valent que par l’anonymat de leurs emplois, ces mots que seuls une rhétorique peut subvertir et subjectiver, à partir des figures de style du discours assumé. Quand dans le transfert, repérant une imago, l’analyste nomme son réel, elle en tombe dans le refoulé, ou se perd comme chose morte. Cette nomination par elle-même rend présent ce qu’elle nomme, absent cependant de devoir être nommé. Le passage est opéré de l’imaginaire au symbolique, par le moyen du réel de la parole.
Demande et transfert avec les parents
H. von Hugh Helmuth constate qu’avec les parents, le projet d’analyser leur enfant ne se présente pas sous de meilleurs auspices : même quand ils la formulent de leur propre initiative, leur demande se fait contre leur plein gré ; les symptômes de leur enfant, l’insuccès des autres méthodes de traitement, l’attente d’un miracle, les conduit en dernier recours au psychanalyste envers lequel ils ne nourrissent que méfiance, et dont ils doutent qu’il puisse réussir, là où tout le reste a échoué.
- La blessure narcissique
Avec eux aussi il convient donc d’abord de créer la confiance puis de la maintenir durant toute la cure, en sachant que la blessure narcissique court pour eux d’un bout à l’autre de la prise en charge : ils se présentent coupables d’avoir échoué, et savent déjà pertinemment que l’amélioration de la santé de leur enfant sera essentiellement due à l’analyse, qu’elle leur devra très peu. Tout comme avec leur enfant, avec eux tout débute par conséquent par un transfert négatif, et il faut d’abord réaliser les conditions susceptibles de lui permettre de jouer sans entrave, puis de se transformer, mais en le dissociant de celui que l’enfant connaît dans le cadre de sa cure. A cet égard, A. Freud considérait qu’il fallait conduire les parents à entreprendre une analyse pour leur propre compte.
- Les parents d’abord
Ce n’est pas de cette façon que procède H. von Hugh Helmuth; elle reçoit d’abord les parents pour ne se consacrer qu’à eux, puisque c’est principalement avec eux qu’est négocié le contrat analytique; puis en raison de leur transfert négatif, à partir duquel elle élabore avec eux leur demande, elle commence la cure de l’enfant à leur domicile; dès que le transfert ne produit plus sur eux de blessure narcissique, elle la poursuit à son propre cabinet, où elle les reçoit régulièrement : ainsi se trouve établie leur confiance, reconnues la fonction et la place qui sont les leurs, ainsi que leur requête de participation.
- le renversement spéculaire et ses Imago
Mais tel est alors pour ce qui les regarde le renversement spéculaire qui se produit, i|ik’ dès lors qu’ils sont en confiance avec l’analyste, ils lui demandent d’accepter leur active participation à la cure de leur enfant : ils attendent de lui que sa confiance ni eux réponde de la sorte à celle qu’ils lui témoignent. Tout comme avec leur enfant, ivile difficulté spéculaire ne trouve à se résoudre que par l’élaboration des Imago i|u’elle charrie; et c’est plus précisément à leurs propres imago parentales que les parents demandent à l’analyste de s’identifier; mais ils lui demandent également il incorporer l’imago de l’enfant susceptible de flatter le narcissisme de ses parents; rl c’est alors eux-mêmes, tels qu’ils se supposent avoir été enfants, qu’ils désirent lelmuver en lui : s’identifiant à son tour à cette imago analytique idéale, leur enfant ne serait rien d’autre que ce qu’ils furent dans leur enfance. Leur narcissisme les pousse donc à n’accepter l’analyse de leur enfant que si par son moyen, leur propre enfance fait retour en lui : le miracle qu’ils en attendent n’est donc qu’un banal retour narcissique du refoulé idéal.
- Les bénéfices du retour narcissique, le deuil
Les bénéfices qu’ils attendent d’un tel retour sont multiples; il est d’abord pour eux réparateur : en devenant l’enfant qu’ils ont été, leur enfant leur fera oublier qu’ils ont pu être pour partie la cause de ses symptômes ; il leur permet aussi non seulement île ne plus redouter le succès de la cure, mais de le souhaiter; il les assure de n’avoir plus à souffrir de la jalousie éprouvée à l’encontre d’un transfert entre l’analyste et l’enfant, vécu par eux avec autant d’envie et de haine que peut l’être pour un jeune enfant le bienheureux spectacle de sa mère dont le nouveau venu tête le sein ; il rend enfin supportables les améliorations et les aggravations dues à la cure, ainsi que sa durée. Et de tout cela cependant, les parents ont à accomplir le travail de deuil, travail i|iii transite pour eux par le sevrage, la privation et la castration symbolique.
- Les contradictions, les erreurs
H. von Hugh Helmuth reconnaît qu’elle a beaucoup de peine à cantonner les parents à leur seule fonction, à les obliger à tenir leurs places; mais il est difficile il’exiger cela d’eux, quand par ailleurs elle veut les rencontrer pour savoir où en sont leurs rapports avec leur enfant, pour établir la véracité d’un souvenir (ce qui ne peut manquer de nous interroger), pour connaître la prime enfance, comme si l’enfant s’avérait incapable de la parler lui-même. Elle s’en sort alors comme elle peut, c’est- à-dire par des compromis : elle leur explique que le transfert positif que leur enfant connaît avec elle est passager, qu’il ne leur cause d’ailleurs aucun dommage, et iju’elle ne se réserve pas tout le meilleur, puisque les succès qu’elle obtient se paient tin prix des échecs scolaires…, mais elle l’explique tout en affirmant d’autre part que les parents doivent demeurer en dehors de l’analyse de leur enfant.
Conclusions
Dans ses Conférences d’introduction ci Ici psychanalyse, Freud soutient à propos des parents la même chose, puis revient sur son opinion dans ses Nouvelles conférences; M. Klein, elle, n’en a jamais varié; mais ni elle ni lui n’ont choisi la demi-mesure : la cure de l’enfant se fait sans ses parents.
- Crucial transfert
Il n’empêche que l’étude de H. von Hugh Helmuth est exemplaire, et que sa lecture est enrichissante. Elle montre parfaitement que dans l’analyse avec l’enfant, le transfert est une question cruciale, à partir de laquelle doivent être élaborées les questions de la demande et la négociation du contrat; il n’est pas jusqu’à la conception et la direction de la cure qui ne doivent être pensées en fonction de lui.
- Langue d’Ésope
Puisque seul le transfert marque la psychanalyse de cette spécificité, qui l’exclut du champ de toutes les recherches qui dissocient nettement le chercheur de son objet d’étude, les principes énoncés par Freud lors de la cure du petit Hans, en retrouvent toute leur force symbolique et toute leur radicale pertinence : pour penser la technique de la psychanalyse avec l’enfant, ils méritent que l’on s’y reporte, sans préjugé surmoïque et sans fureur refoulante. La clinique y retrouve ses lettres de noblesse : elle n’est en effet ce qui en est transmis, qu’en fonction du transfert de qui s’y engage pour la transmettre; elle ne prend consistance que du transfert, et ne prend sens que de la théorie à laquelle ce même transfert l’articule en un jeu dialectique; en dehors de ce jeu, à chacune prise isolément il est possible de faire dire tout et rien, car chacune n’est par elle-même que la langue d’Esope.