Les personnalités multiples: Renaud ou Renard?
La forme la plus grave de dissociation est sans conteste la personnalité multiple où l’identité se trouve fracassée en éclats multiples comme ceux d’un miroir. Si l’expression de « trouble dissociatif de l’identité » prévaut désormais dans la classification internationale, la réalité recouverte est globalement la même. « Personnalité multiple » ou « trouble dissociatif de l’identité », il s’agit toujours d’un échec de l’intégration de différents aspects de l’identité, de la mémoire et de la conscience.
Les identités alternatives présentées par un même sujet ont fréquemment des caractéristiques variées et portent des noms distincts qui n’ont rien à voir avec l’état civil. Ce sont très souvent des personnalités hostiles, autoritaires, violentes à l’égard des autres ou bien contre elles-mêmes et suicidaires. Le passage d’une identité à l’autre serait déclenché par un stress psychologique et social ou par des abus subis dans l’enfance ou à l’âge adulte. Dans le monde, à l’heure actuelle, il y aurait environ 6 000 cas de personnalité multiple traités.
Un cas de personnalité multiple a été rapporté chez une femme de 31 ans qui avait eu une vie très difficile. Celle-ci disait avoir été abusée par son oncle et par un étranger alors qu’elle avait 7 ans, même si, de son propre aveu, ces faits n’étaient pas très sûrs. Elle avait depuis toujours des problèmes émotionnels graves avec dépression, tentatives de suicide par médicaments, épisodes de convulsions. Outre qu’elle se sentait perdue dans le temps, elle présentait plusieurs autres manifestations de dépersonnalisation-déréalisation et une identité très éclatée. Cinq personnes cohabitaient, en effet, à l’intérieur d’elle-même : il y avait Joey, un garçon de 19 ans tranquille et sans histoire; Ellen, 17 ans particulièrement vivante et extravertie; Anna, une petite fille de 6 ans, qui avait été maltraitée sexuellement ; Jessie, un garçon de 9 ans, tout ce qu’il y a de plus agréable et, enfin, Kathryn, 3 ans, qui se remettait d’un coma. Chacune de ces personnalités était, aux dires même de cette femme, une part de sa propre personnalité.
La fréquence récemment signalée de ce trouble aux États- Unis a pu faire croire que les dissociations d’identité constituaient un syndrome propre à une culture donnée. Des chercheurs ont aussi soutenu que cette augmentation correspondait à des motivations utilitaires, certaines personnes cherchant à obtenir par ce biais des bénéfices, comme un verdict plus clément en cas de délinquance ou la possibilité de repasser un examen universitaire auquel on a échoué. Heureusement, des critères caractéristiques1 ont été dégagés. Désormais, il faut qu’il existe deux ou plusieurs identités ou « états de personnalité » distincts. Chacune de ces personnalités doit posséder ses modalités propres de perception, de pensée et de relation avec l’environnement et soi-même et au moins deux de ces identités, ou « états de personnalité », doivent prendre tour à tour le contrôle du comportement du sujet, perturbant de façon massive les souvenirs autobiographiques. Enfin, la personnalité multiple ne doit pas prendre de drogues ou souffrir d’épilepsie.
Critères diagnostiques du trouble dissociatif de l’identité ou personnalité multiple (DSM-IV):
A. Présence de deux ou plusieurs identités ou « états de personnalité » distincts (chacun ayant ses modalités constantes et particulières de perception, de pensée et de relation concernant l’environnement et soi-même).
B. Au moins deux de ces identités ou « états de personnalité » prennent tour à tour le contrôle du comportement du sujet.
C. Incapacité à évoquer des souvenirs personnels importants trop marquée pour s’expliquer par une simple « mauvaise mémoire ».
D. La perturbation n’est pas due aux effets physiologiques directs d’une substance (par exemple, les trous de mémoire ou le comportement chaotique au cours d’une intoxication alcoolique) ou d’une affection médicale générale (par exemple les crises épileptiques).
N.B. : Chez l’enfant, les symptômes ne peuvent pas être attribués à des jeux d’imagination ou à l’évocation de camarades imaginaires.
Déboulements et persécutions:
D’une certaine façon, tout homme est double, puisqu’il voit l’image de son propre corps dans le miroir3, mais qu’advient-il quand ce double se transforme en persécuteur ? L’héautoscopie, ou « le fait de se voir soi-même », est l’illusion d’être en face de son double. Il s’agit d’un phénomène qui a été décrit dans des œuvres qui n’ont rien à voir avec la psychiatrie. On peut penser au poème de Musset, où il est question de la rencontre avec un jeune homme vêtu de noir « qui lui ressemblait comme un frère » ou à une nouvelle d’Edgar Poe, William Wilson, où le héros doit tuer son double. Maupassant qui souffrait de syphilis nerveuse a, lui, décrit le sentiment de persécution par son double dans Le Horla.
L’héautoscopie correspond à des perturbations qui se déroulent au niveau du lobe pariétal où se situe la représentation de l’image corporelle. Ce trouble peut correspondre à des manifestations épileptiques. On le rencontre aussi dans la schizophrénie, sous une forme positive : celle du double persécuteur. Ou sous une forme négative : le sujet ne se reconnaît plus dans le miroir ou ne voit rien à la place de son image dans le miroir.
L’absence de distinction entre soi et non-soi : la schizophrénie
La schizophrénie est une maladie caractérisée par la fragmentation de la personnalité. Souvent les patients expriment un vécu étrange : leurs propres pensées ou leurs propres actions sont directement soumises à l’influence de forces étrangères à leur propre personnalité. Le thème le plus fréquent est celui de l’influence à distance d’actes et de pensées par des dispositifs complexes liés au complot d’une organisation terrestre ou extraterrestre détentrice de pouvoirs quasi illimités. En fait, le délire manifeste essentiellement l’incapacité à différencier le soi du non-soi.
Des travaux ont été effectués pour analyser le fonctionnement du cerveau dans des épisodes de confusion. Ils ont établi que les schizophrènes ne distinguaient pas leur propre main dans le miroir d’une main virtuelle. Ils n’arrivaient pas non plus à distinguer leur propre main d’une main ne leur appartenant pas et exécutant les mêmes mouvements. Les données de l’imagerie fonctionnelle montrent que ce sont les régions pariétales inférieures qui sont impliquées dans la reconnaissance de son corps et la différenciation du corps de l’autre. Quant aux actions, qui correspondraient à une activation des régions pariétales du cerveau, plusieurs études ont établi que, chez des sujets qui confondaient leurs actes avec ceux d’une autre personne, on observait des activations anormales dans la région pariétale inférieure.