Les hypothèses génétiques
Constat
A l’écoute de ce qui se dit, à la lecture de ce qui s’écrit dans le champ de la psychanalyse de l’enfant, qui ne remarque que la réflexion la concernant est à la fois frappée de confusion et engagée dans une impasse depuis de nombreuses années?
Pour notre part, nous pensons qu’un effort doit être fait pour tenter de l’alléger de ce qui nous paraît être une infirmité conceptuelle : à savoir le primat donné à l’imaginaire dans la méthodologie, la théorisation et la pratique de la cure qui en découle. Le point d’ancrage de cette conception imaginaire est marqué du caractère nodal attribué à la notion, que l’on peut rapprocher d’un mythe, d’origine. La psychanalyse elle- même se trouve prise à ce piège et se trouve enchaînée à ce que l’embryologie, le développement neuro-psychique, la psychologie génétique, les perspectives cogniti- vistes, comportent de lourdeur originaire et évolutive.
Pourrait-on concevoir un abord de la psychopathologie infantile qui ne soit ni génétique ni évolutif? C’est en posant cette question, nous semble-t-il, que l’on doit commencer notre réflexion sur la psychanalyse de l’enfant : et pour souligner d’abord qu’il s’agit d’une psychanalyse, et qu’elle ne suppose pas d’utiliser des images, des attitudes ou des gestes, mais bien la parole et le langage dans la « talking cure». Le transfert, sans lequel il ne saurait y avoir de psychanalyse, ne peut en aucune façon être rapproché d’un processus évolutif, cognitif, ou de ce qui intéresse la psychologie de la conscience, génétique ou pas.
Alerte
Sans doute devrions-nous être alertés par la constatation de conséquences redoutais bles dans le domaine même des concepts et de la théorie neuropsychologique du | développement de l’enfant.
A ce sujet, précisons un point exemplaire : qu’est-il advenu des travaux de toute une génération de chercheurs et de cliniciens de renommée internationale sur «le g parallélisme du développement tonico-moteur et psychique»? Il apparaît de fait ÿ comme un corollaire logique et nécessaire des rapports dialectiques entre, d’une part, la maturation de «l’équipement neurobiologique de base» exemplifié par la myélinisation progressive de la substance blanche, et d’autre part, l’apparition successive de nj comportements et fonctionnements qui trahissent des degrés divers et de plus en plus t complexes de la vie psychique. Cette relation entre la maturation et l’évolution est | supposée par d’innombrables observations et tests, et s’objective dans la mesure des 5étapes du développement psychomoteur. C’est dans la succession des aléas, des harmonies ou dysharmonies des facteurs concourant à ce développement, que l’on évalue les avances, les stagnations, les retards, mais aussi les aberrations, les atypies, les régressions.
L’équation imaginaire
Qu’est-ce à dire, sinon que s’établit ainsi sans critique véritable, une équation dont les deux termes sont proprement imaginaires? Ils sont en effet fondés sur l’observation visuelle; d’un côté l’imagerie médicale soutient l’histologie, reflet de la maturation des structures; et de l’autre, l’apparition de l’exercice des fonctions, «patterns de comportement», sont eux-mêmes plus ou moins rattachés à des «activités cognitives». Il n’est guère étonnant, dès lors, que s’instaure dans ces théories une équivalence logique entre les aberrations des structures (retard, lésions et leur détermination topographique dans l’espace du SNC) et les aberrations du comportement, étendues aux processus psychiques. Freud pourtant nous rappelle au bon sens quand il écrit, dans les Trois essais sur la théorie sexuelle : « Nous ne savons même pas si nous sommes en droit d’admettre pour les fonctions sexuelles, l’existence de zones cérébrales délimitées («centres»), comme nous le faisons par exemple pour le langage».
L’objet d’observation
Ainsi se font jour des modalités particulières d’apparition des rapports entre la représentation des lésions et des dysfonctionnements neurobiologiques, et les données observables chez l’enfant «objet d’observation». Cette nouvelle méthode « anatomoclinique dynamique » permet ainsi de décrire des cas types du développement; dans les cas où il existe un écart — une «dysharmonie» — la justification de la théorie s’appuie (lorsque l’atteinte du SNC est évidente) sur l’examen neurologique, ou sur les procédés d’images tels que radiographies, EEG, scanner, RMN, … ou sur les recherches biologiques visant les désordres enzymatiques ou des médiateurs cérébraux.
La perspective génétique s’est progressivement infléchie en psychologie dans des directions différentes dont nous ne voulons souligner qu’un aspect : Preyer, Bühler (le père), Wallon et Piaget, se sont proposés d’aborder le développement de leurs enfants, ou de leurs petits-enfants : le transfert était au rendez-vous de cette psychologie parentale et il était à l’œuvre dans la mise en place de la théorie de chacun. A partir des années 40 aux USA, Gesell et son école ont pour leur part axé leur recherche sur la mise en place de niveaux de développement, fruits de la statistique appliquée aux diverses acceptions du «développement psychomoteur» pour établir une norme totalement articulée à une pédagogie idéale.
Les stades
Des stades, un bref historique peut permettre de préciser la notion et ce qu’elle est devenue.
Au point de vue psychologique, le stade définit une étape chronologique du développement, fondée sur l’existence de discontinuités, de changements de rythme, de changements qualitatifs, observables dans les registres somatique, physiologique, comportemental de l’enfant, et faisant référence à un système explicatif. Ainsi lliililwin propose-t-il un système d’imitation en trois stades: projectif, subjectif, i |i i lil, ainsi Piaget propose-t-il un système où la succession des stades est constante, i lim un d’eux appartenant à une structure d’ensemble, laquelle s’intégre à sa suivante, ilnns une succession linéairement ordonnée et très différenciée, qui part de la sensori- inoliïcité (de la naissance à la parole), pour aboutir vers seize ans aux opérations tonnelles; ainsi Wallon propose-t-il un système de stades psychomoteurs marqués par lit discontinuité, la crise et le conflit, stades qui se succèdent ou peuvent alterner, et au ni*ih desquels l’énergétique et sa décharge revêtent de l’importance.
Il est perceptible que c’est la question de l’origine qui se trouve ainsi soulignée, et que la description des stades n’en représente qu’une tentative d’exploration notionnelle.
Notamment dans ses Trois essais sur la théorie sexuelle, Freud met en place une succession de stades qui ne sont ni psychologiques ni génétiques, mais s’ordonnent à su métapsychologie, et plus précisément aux déplacements de la sexualité d’une zone n l’autre du corps de l’enfant. A cet égard Freud distingue deux modalités d’organisation de la libido: une modalité pré-génitale, et une autre génitale; la première icgroupe : le stade oral, ou organisation sexuelle structurée autour de la fonction de dévoration; le stade sadique-anal, ou organisation sexuelle structurée autour des fonctions anales de rétention et d’expulsion; le stade phallique, ou organisation sexuelle structurée autour de la fonction symbolique de la castration; la seconde modalité concerne le stade génital proprement dit, qui clôt la période de latence, et marque l’entrée dans la vie sexuelle.
Freud et la deuxième topique
Freud a manifestement montré sa préférence pour ce que lui permettaient de mettre en place les mythes, et essentiellement celui qui concerne le Père de la horde primordiale, père mort; à ce mythe, va s’articuler celui d’Œdipe, pivot de la psychanalyse dans son rapport à la Loi et au désir. Il est important de remarquer que c’est par Totem et Tabou [16] que s’ouvre la deuxième topique, révision fondamentale de la théorie des pulsions qui conjoint désormais aux pulsions du moi la pulsion de mort, et permet dès lors de fonder les principes décisifs de la fonction de répétition, ancrée non plus dans l’organique ou dans l’histoire, mais dans la mise en place maîtresse de la mort comme signifiant. C’est la clinique des cures elle-même qui contraint Freud à concevoir la deuxième topique, non sans entraîner, chez son auteur même, de « ombreuses résistances et de douloureuses révisions; douleurs que l’on rencontre aussi chez ses continuateurs les plus actuels, ceux dont la pratique et la théorie semblent esquiver sans cesse les conséquences de cette deuxième topique.
Lacan
Sans doute, la fonction centrale conférée par Lacan au signifiant apparaît-elle comme l’un des rejetons les plus vivaces de cette révolution, ainsi que l’accent mis dès lors sur le réel, qui vient destituer le traumatisme de son historicité pour le situer lopologiquement, c’est-à-dire dans une logique du lieu, qui est celle de l’impossible soit au-delà de la représentation imaginaire et de l’hypothèse supposant le symbolique.
On comprend dès lors à quel point la conception de « genèse » apparaît impropre à rendre compte de ce que la clinique quotidienne et avant tout la conduite de la cureront d’hétérogène et de réfractaire, aussi bien à la notion d’origine qu’à celle de développement.
Big bang et après-coup
Pour donner une idée de cette hétérogénéité, faisons simplement allusion dans l’ordre de l’astrophysique, à ce qu’il en est de la «théorie du Big Bang»; celle-ci en effet suppose la réversibilité de l’entropie, et postule l’hypothèse d’un monde ou celle-ci, devenue rétrograde et négative, rend pensable celle d’un monde qui verrait la matière se constituer d’une destruction aboutissant à une reconstruction qui apparaîtrait comme un état final. Il y a là évidemment une perspective qui n’est pas étrangère à ce que Freud repère dans la cure comme «effet d’après-coup». Repérage essentiel et déterminé dans la cure par le transfert : trouvaille freudienne inouïe, qui rend illusoire toute référence objective à l’origine, qui la déconsidère, et la rend impropre à rendre compte du procès de la psychanalyse.
L’observation directe, refoulement primordial
Il s’ensuit qu’on peut indiquer comme un effet de refoulement ou de rejet de la deuxième topique, toutes les recherches marquées du signe de l’origine et qui se rangent dans l’ordre de «l’observation directe» des enfants dans leur plus jeune âge. Sans même faire allusion aux très judicieuses critiques qui ont pu être apportées à ces recherches, en particulier de la nécessité de mettre en place un observateur et ses désirs, ainsi que les problèmes posés par F intersubjectivité dans ces expériences, soulignons simplement cette phrase de la préface de Freud dans la 4L‘ édition (1920) des Trois essais sur la sexualité : «Les hommes auraient-ils le bon sens de s’instruire de l’observation directe de l’enfant, que somme toute, ces trois essais auraient pu se passer d’être écrits».
La saturation scopique
Ce ne doit pas être un sujet d’étonnement que de constater combien les recherches sur ce point sont amplifiées et souvent justifiées par le développement nécessaire des moyens d’enregistrement et de reproduction imagées, aboutissant à de véritables vidéothèques. Le facteur scopique vient saturer la recherche, et confère à l’imaginaire un tel statut, que l’on finit par lui accorder la place du réel, et souvent par faire l’économie du symbolique : ce facteur montre à quel point la recherche de l’origine a à faire avec le regard; comme si l’après-coup pouvait mettre sa marque essentielle d’analyse dans une énième révision de la bande, comme si la psychanalyse de l’enfant tournait autour d’un après-coup d’œil.
Le corps engagé
Il faut d’ailleurs noter que le corps est particulièrement engagé dans les théories génétiques; avant tout dans ce qu’il donne à voir de ses dispositions, notamment motrices, posturales, praxiques. Envisager leur «développement» revient à apprécier leur efficience, sa conformité à des normes psychologiques ou sociales dans une dimension à proprement parler comportementale. Dans une perspective génétique, plus on parle du corps, moins on en parle au sens du symbolique. Une conséquence centrale de cette contradiction nous paraît pouvoir être soulignée dans un champ qui n’est pas celui de la psychanalyse mais qui lui est souvent opposé : la généralisation des concepts anglo-saxons de «minimal brain damage» puis de «minimal brain dysfonction » ; ici, les aberrations ou les perturbations du développement, dans la perspective du parallélisme neuropsychique, sont directement rapportées à une atteinte organique des structures ou des fonctions; en l’absence d’une référence visualisable de cette atteinte, quelle que soit la sophistication des moyens la permettant, cette visualisation est supposée attendre de pouvoir être visualisée. Ainsi malgré la défaillance de l’image, le primat du parallélisme psychomoteur permet de conclure, devant une aberration «développementale », à l’existence d’une aberration dans le réel organique, aberration dont le support, de n’être pas visualisé, est qualifié de « minime » !…