Les dépressions
Il y a des jours et des périodes où le monde est gris, où rien ne nous réjouit et rien ne veut réussir. Nous sommes de mauvaise humeur, abattus, tristes peut-être, nous nous sentons seuls, vides, sans élan ni espoir, coupables, nous devenons anxieux et inquiets. La fatigue commence à se faire sentir et le sommeil est perturbé… Ce sont là des dispositions et des sentiments que nous avons tous connus plus ou moins souvent après des échecs, des déceptions et des pertes, ou sans raison, et auxquels nous avons fait face avec plus ou moins de succès. Ce qui fait que pareils sentiments deviennent des troubles psychiques, c’est le type et le nombre des symptômes, leur intensité et durée ainsi que le degré auquel ils portent atteinte au bon déroulement de la vie de tous les jours. Dans le domaine de la vie normale, aussi bien que dans celui de l’expérience pathologique, ces sentiments et façons de se sentir sont mis en relation avec la notion de « dépression ». C’est pourquoi nous vou¬drions d’abord clarifier ce concept.
Dans le langage technique, la notion de « dépression » est utilisée de trois manières :
— pour désigner les sentiments normaux de tristesse, de déception, etc., et leur manifestation en tant que symptôme d’un trouble
— comme description brève d’un certain ensemble de caractéristiques, d’un syndrome de symptômes affectifs, cognitifs, moteurs, physiologiques et endocrinologiques
— pour désigner des troubles psychiques, les troubles dépressifs ayant certaines causes et une certaine évolution, et qui répondent à certains traitements.
Les tableaux dépressifs présentent un grand nombre de symptômes divers. Ceux-ci peuvent être combinés de diverses façons et sont parfois difficiles à reconnaître surtout dans leurs formes larvées, somatisées. Nous ne pouvons approfondir ici la description, la classification et le diagnostic des dépressions, mais nous voudrions souligner le fait qu’on y rencontre des symptômes psychi-ques et physiques. Les symptômes physiques peuvent masquer la dépression de sorte qu’on ne la reconnaisse pas.
Comme indiqué antérieurement, la présence d’un, voire de plusieurs symptômes, ne signifie pas nécessairement qu’il y ait trouble. Il se pose donc la question des critères diagnostiques des différents troubles dépressifs. Ces critères diffèrent d’un système de classification à l’autre, mais ils se recoupent en partie. À titre d’illustration nous donnons ici un abrégé des critères proposés par le DSM-III-R pour un épisode de dépression majeure. Soulignons qu’il ne s’agit ici que de deux des nombreuses formes de troubles affectifs.
Modèles empiriquement validés concernant le développement et le traitement des dépressions:
Les tentatives d’explication et les approches thérapeutiques ne sont pas trai¬tées séparément ici, mais ensemble, étant donné qu’il ne s’agit pas de donner une présentation systématique des troubles dépressifs et de leur traitement, mais quelques indications utiles au patient pour un choix thérapeutique. Souvent, le traitement n’est d’ailleurs pas dérivé directement de la théorie étiolo- gique mais s’en inspire seulement ; ces relations apparaissent mieux lors d’une présentation groupée. Comme notre ouvrage porte sur l’aide et la thérapie psychologiques, nous nous concentrons sur les modèles psychologiques. Nous voudrions cependant attirer l’attention sur le fait qu’un traitement psycholo¬gique de la dépression n’est pas admissible sans une exploration approfondie et une clarification de l’aspect médical du problème, les facteurs biologiques jouant un rôle important, surtout dans les dépressions graves.
Au moins cinq des symptômes suivants doivent être présents pendant une même période d’une durée d’au moins deux semaines et avoir représenté un changement par rapport au fonctionnement antérieur ; au moins un des symptômes correspond au point 1 ou 2.
1. Humeur dépressive
2. Perte d’intérêt ou de plaisir
3. Perte ou gain significatif de poids en l’absence de régime
4. Trouble du sommeil
5. Agitation ou ralentissement psychomoteur
6. Fatigue ou perte d’énergie
7. Sentiment d’indignité ou culpabilité excessive ou inappropriée
8. Trouble de la pensée ou de la concentration
9. Idée suicidaire récurrente
Depuis le temps où Nabuchodonosor souffrait de dépressions graves et Hippocrate présentait la première théorie étiologique de la dépression en concevant sa théorie de la bile noire, beaucoup d’hypothèses ont été avancées sur son origine et beaucoup d’efforts déployés pour la guérir. La recherche sur ce problème a été tellement intense depuis les trente dernières années que la dépression est devenue le trouble psychique le mieux étudié. Une classification des différentes tentatives d’explication se fait sans doute mieux en distinguant les facteurs biologiques des facteurs psychologiques ainsi que les modèles correspondants. Ce faisant, il faut cependant être bien conscient du fait qu’aucun de ces modèles ne fournit aujourd’hui une explication suffisante. Tout comme l’explication, le traitement de la dépression a donné lieu à beaucoup de propositions : elles vont du lait d’ânesse, du jeu de la harpe et de la psychanalyse jusqu’à la pharmaco et la psychothérapie contemporaines dont on a établi et mis l’efficacité à l’épreuve. Les progrès dans ce domaine sont considérables lorsqu’on pense qu’avant la découverte des antidépresseurs à la fin des années 50, on n’avait de choix, en matière de traitement de la dépression, qu’entre la thérapie électroconvulsive et la psychanalyse.