L'enfant et sa mére:Deuil et anticipation
L’anticipation forcée
Il s’agit là d’une forme de deuil que l’analyste rencontre bien souvent chez l’enfant : Les manifestations prophétiques de la famille, les projets implicites, les déclarations de ressemblance ou d’appartenance constituent pour l’enfant autant d’impératifs de destinée, autant d’anticipations forcées, qui permettent ici encore de remarquer la proximité du surmoi et de l’idéal du moi. C’est dans cette tension imaginaire pour y répondre que l’enfant se situe à l’état de leurre, exactement comme il est dans cet état pour éviter, dans la relation d’objet, d’être confronté à son impuissance à tenir lieu de phallus pour la mère.
Futur aboli et conditionnel
Si ce destin annoncé ne se produit pas, dès lors le futur aboli va s’exprimer au conditionnel, modalité qui ouvre la voie au jugement, à la culpabilité, car le leurre tient au si ; entre le futur et le conditionnel, en français, tout tient dans une lettre.
- Le futur antérieur
Dès lors s’impose le futur antérieur : «.je n’aurai pas été», à la fois projeté dans 1 leurre et pris dans le raté du passé; ainsi s’impose le deuil du leurre, de l’image du corps auto-érotisé qui leurre l’autre en se leurrant lui-même. Au même titre que la mère attend l’anticipation que ne fait pas l’enfant, ce qui est désiré par le grand Autr » pour notre patient c’est d’arracher le regard à sa mère : il ne trouvera pas dans l’image cet objet a qu’il aura supposé être permanent : ainsi le deuil ne porte pas sur «il n’y sera pas», mais sur «il n’y aura pas été». La clinique nous montre que le leurre portait sur une structure qui s’écroule sur un «il n’y aura jamais été».
- L’après-coup de la cure
Et ce n’est que dans l’après-coup (le la cure que devient possible le travail de deuil.On conçoit, dans la conduite de la cure, que si le travail d’élaboration du deuil de ce leurre est symbolique, il permette de déloger le futur antérieur de sa position entre un pusse raté (tuer l’enfant que j’aurais pu être) et le futur (de l’émergence d’un sujet inconscient). En revanche si le travail d’élaboration est imaginaire, il va se traduire pur l’émergence d’un leurre imaginaire lié au conditionnel, et pourra déclencher des positions paranoïaques violentes.
II est à noter que nombre d’états dépressifs chez l’enfant se manifestent d’ailleurs en clinique par des effets de cet ordre.
La mère déprimmée
A ce point nous pourrions nous interroger sur la validité de ce que nous venons d’esquisser, pour comprendre les états dépressifs maternels, qui nous paraissent i iuicspondre à cette forme du deuil au futur antérieur; cette modalité verbale, forme |*aiticulière de la dépression, a quelque chose à faire avec l’anticipation. Cela ne |« h le pas sur l’incapacité à anticiper, mais au contraire sur la passion d’anticiper douloureusement dans le futur antérieur, c’est-à-dire comme le dit Freud, d’anticiper h passé : c’est tout le contraire de la paralysie de l’anticipation.
Le savoir de la mère déprimée
Qu’anticiper dans le futur antérieur, sinon quelque chose que je sais?
I ’emploi du futur antérieur met en jeu la Verneinung, effet de prédiction du passé, >|iii permet de saisir que c’est du passé qu’il s’agit et non de l’incapacité à faire liivenir : il ne s’agit donc pas du même sujet dans les deux cas.
( ’’est là une manière d’aborder le savoir de la mère déprimée très différente de telle qui envisage la dépression de la mère comme un effondrement barrant le futur, l u effet, le savoir de la mère sur son enfant, qu’a-t-il à faire avec l’anticipation, sinon pour montrer qu’il y a du savoir inconscient, là même où elle pense qu’il n’y en a pus : dans sa méconnaissance?
Promesse et dépression
t « est d’ailleurs à ce savoir que Freud se réfère, aussi bien dans que plus lard dans son article Formulations sur les deux principes du cours des événements psychiques , pour aborder le jugement de réalité et le jugement il dllribution : ce sont les «coups de sonde» successifs, l’écart entre le mouvement de lu main et celui de l’enfant, qui viennent constituer les deux temps diachroniques de telle expérience aboutissant au jugement, véritable anticipation du passé. Dans la lelnlion de la dépression à l’anticipation, il va y avoir défaillance, déviation de ce i apport au jugement d’attribution : la nécessité d’établir un rapport entre l’inscription signifiante et le savoir va supposer que l’anticipation soit non pas comme on le dit liilhiluellement enrayée chez la mère déprimée, mais au contraire déterminée par le passé. Or ce passé peut être représenté par une promesse non tenue : en effet la promesse est au futur, et le fait qu’elle ne soit pas tenue est aussi dans le futur. Mais elle a été annoncée : pour qu’il y ait promesse, il faut évidemment qu’il y ait un sujet qui donne un gage sous forme de promesse. Or ce gage, l’enfant ne le demande pas : c’est le grand Autre qui le demande, et c’est à l’enfant que la mère fait une promesse qui lui a été demandée par le grand Autre.
C’est de n’avoir pu tenir la promesse de l’Autre à l’enfant, que toute mère se déprime à la naissance de celui-ci.
Deuil et organicité
Enfin il nous reste à introduire un travail de deuil particulier, dont l’élaboration est trop souvent retardée, tronquée ou délibérément écartée. Le deuil des effets des maladies organiques, et en particulier des handicaps corporels chez les enfants (les infirmes moteurs cérébraux); par exemple les parents font comme s’ils ignoraient une gaucherie évidente, ou comme s’ils ne prenaient pas en compte les troubles visuels très fréquents chez leurs enfants.
Ces évitements ne portent pas seulement sur l’organe en cause mais sur la fonction ou sur un aspect de celle-ci. Les annulations ont alors un impact sur le langage lui- même : au sein de la famille, des secteurs entiers relèvent de l’indicible, de ce qui ne peut pas être nommé. «L’infirmité de langage», si souvent retrouvée chez ces enfants, concerne essentiellement un interdit portant sur certains aspects organisateurs du langage. La répugnance à situer l’infirmité dans une historicité ou une causalité embarrasse le discours, infléchit sa logique.
Ces altérations, ces séquelles, atteignent le corps de façon visible, touchent aussi bien les fonctions, les fonctionnements, que l’image du corps propre. Les rééducations visent à permettre de contourner le déficit du fonctionnement par la mise en place de fonctionnements vicariants, ou à pallier les handicaps par des procédés de compensation, de prothèse. Elles sont l’occasion d’une mise en valeur imaginaire d’une reconstitution du corps, de la fonction, du fonctionnement. Elles ont à leur actif des améliorations spectaculaires, qui intéressent de très nombreuses pathologies et leurs pronostics.
C’est cette perspective de recouvrer la totalité de l’image ou de la fonction qui vient à défaillir lorsque les progrès ne sont plus possibles : dès lors le deuil de ce qui n’aura pas été «récupéré» atteint les soignants, l’institution, la famille et l’enfant. Celui-ci, confronté au réel de ce qui manque, se déprime, et ce n’est que par un long travail d’élaboration de ce deuil qu’il peut, ayant fait le constat de son handicap, à nouveau progresser, en particulier en ce qui concerne l’image de lui-même.