Le transfert, compulsion de répétition, projection
Transfert ou projection ?
Dans la notion de transfert nous retenons qu’il s’agit d’un déplacement. Dans la situation relationnelle nous considérons un déplacement de l’affect qui se porte sur l’interlocuteur présent alors qu’il appartient à une relation de l’histoire infantile du sujet. C’est un peu ce qui se passe lorsque nous nous laissons impressionner par le patron dont l’autorité nous renvoie à la figure paternelle, par exemple. Dans ce cas nous avons aussi l’habitude de parler de projection.
Nous tenterons maintenant de mieux définir ces notions. Elles comportent au moins deux composantes. L’une concerne la reprise, la répétition d’une situation ancienne (déplacement dans le temps). L’autre le fait de situer à l’extérieur quelque chose qui appartient à notre expérience subjective (déplacement dans l’espace) : c’est ce qui se passe dans l’exemple précédent, lorsque l’on projette sur le patron ce qui concerne l’image intérieure que nous avons du père.
Dans la projection, le sujet rejette ou méconnaît des éléments qui lui appartiennent en propre, pour les localiser à l’extérieur de lui, dans une personne, un objet, une situation (sentiment, désir, qualité, etc.). Il s’agit d’un mode de défense assez courant mais qui prend une place centrale dans certaines pathologies comme la paranoïa.
De façon plus générale, la psychologie a observé la manière dont toute perception est marquée par la subjectivité de celui qui perçoit. C’est ainsi qu’on utilise des techniques projectives pour l’étude de la personnalité (dessins libres, Rorschach, etc.).
Par exemple le raciste attribue au groupe des étrangers qu’il déteste ses propres défauts, penchants qu’il ne peut reconnaître comme lui appartenant. La violence qui l’habite devient alors comme justifiée par cette extériorisation objectivante. Chez le paranoïaque ce processus psychique est totalement envahissant : il entend, observe, ses propres pensées comme proférées par les personnes de son entourage devenues ses persécuteurs. Placer à l’extérieur ce que nous ne pouvons supporter à l’intérieur est une façon de tenter de le maîtriser (« Ce n’est pas moi, c’est l’autre… », ou encore « Ce n’est pas psychique c’est corporel… »). Ainsi, par exemple, une forte tension psychique peut être projetée sur le corps, sur un organe et, de cette façon, soulager une partie de l’angoisse.
Dans le transfert ce mécanisme est à l’œuvre comme par exemple lorsque, projetant sur le psychanalyste son propre Surmoi, le sujet se trouve dégagé des contraintes qu’il s’imposait (puisque c’est un autre qui joue ce rôle désormais, le psychanalyste sera, à ce moment, perçu comme très exigeant, contraignant, à l’image des parents de l’analysant, par exemple). On retrouvera un peu plus loin dans le cas Schreber, analysé par Freud, le versant le plus pathologique de ce processus psychique.
La compulsion de répétition
Nous avons vu qu’une autre composante du processus transférentiel était la répétition. Freud a même parlé de « compulsion de répétition » tant cette tendance peut prendre une forme quasi automatique dans certaines situations. Car il s’agit d’un processus inconscient qui pousse le sujet à se placer dans des situations pénibles. Il n’a alors aucune conscience de répéter une situation ancienne. Au contraire, il est convaincu de l’actualité voire de la nouveauté de ce qu’il vit. Pour un observateur extérieur, un ami, cet aspect répétitif ne peut passer inaperçu ni manquer de faire que l’on s’interroge sur l’origine de ce mécanisme répétitif lui-même. On a l’habitude de parler de masochisme lorsque l’on voit quelqu’un échouer régulièrement dans ses entreprises (examens, couple, travail, etc.).
Mais la répétition n’est pas pathologique, c’est même un processus fondamental du fonctionnement psychique, qui se trouve lié au principe de conservation. Dans la théorie freudienne du conflit psychique, les éléments refoulés sont maintenus comme tels par une énergie psychique toujours renouvelée, car le refoulé tente de se manifester à nouveau. Lorsque les mécanismes de défense sont affaiblis, il fait retour dans le présent.
Plus précisément encore, dans la névrose dite traumatique, on observe une répétition de la situation traumatique, de ses évocations douloureuses, notamment par des rêves répétitifs. La répétition, bien que douloureuse, est encore une tentative de maîtriser psychiquement le trauma, de tenter une élaboration psychique progressive, et une atténuation de l’effet, de répétition en répétition.
Sur le versant cette fois plus agréable, le principe de plaisir cherche à retrouver les expériences de satisfaction. Le dispositif de la séance de psychanalyse favorise la répétition de situations relationnelles anciennes, infantiles, dans la relation avec l’analyste. Cette actualisation permet de remettre en travail ce matériel psychique, de le réélaborer dans une nouvelle relation, de s’en ressaisir par la prise de conscience, de libérer l’énergie dépensée dans ces mécanismes coûteux.
C’est d’ailleurs de cette façon qu’on définit le transfert : une répétition, une actualisation d’une situation ancienne dans la relation avec l’analyste. Ce mouvement est inconscient, automatique. C’est, dans les séances de psychanalyse, le terrain du travail psychique mis en place dès les premiers contacts et actif tout au long des séances.
Le rôle de la séance psychanalytique
Le dispositif de la séance de psychanalyse favorise l’actualisation de la problématique du sujet sous la forme du transfert : le fait de ne pas voir l’analyste en face-à-face (ce qui n’est pas le cas en psychothérapie), la neutralité relative de celui-ci et sa discrétion dans ses interventions offrent un champ libre à la projection et la répétition. Le transfert se manifeste au niveau des attitudes, comportements, paroles, rêves, actes manqués, etc.
Si l’association libre donne une place importante à la remémora- lion, le contenu de celle-ci et les modalités relationnelles par lesquelles elle se manifeste sont précisément liés à la répétition, à la qualité du transfert. Le sujet fait inconsciemment jouer au thérapeute les rôles des principales figures qui ont marqué son histoire, avec la force des affects mais aussi l’ambivalence qui leur est liée (tendresse, hostilité…). On peut parler de transfert positif ou négatif, selon la face de l’attachement affectif mise en avant. Dans les deux cas le mouvement transférentiel par lui-même témoigne de l’importance prise par cette relation pour le su jet.
Le transfert, en tant que processus psychique peut bien sûr se manifester de façon plus ou moins forte dans d’autres situations relationnelles que la séance de psychanalyse. Il joue un rôle important dans les relations de soin, d’apprentissage, de coaching, et plus généralement dans toute situation d’aide, soit toute situation dans laquelle le sujet se trouve en demande de quelque chose d’important pour lui. Dans tous ces cas un transfert positif facilite les processus engagés. En revanche, il pourra poser problème au moment de se séparer dans la mesure où le sujet n’a pas pris conscience de ce qui se jouait profondément pour lui.
Dans la vie quotidienne ce mouvement transférentiel se retrouve dans toutes les relations, chacun des protagonistes étant pris, à son insu, dans cette dynamique. Ainsi, par exemple, dans une rencontre amicale, ou amoureuse, chacun projette et transfère sur l’autre des éléments de son passé, des figures marquantes. La spécificité de la cure psychanalytique à ce niveau est d’offrir la possibilité de mettre en évidence ce processus, de se réapproprier ce qui appartient à chacun, de se dégager du caractère automatique de la répétition évoquée précédemment. Le psychanalyste, par son propre traitement préalable, a été exercé à reconnaître ce mouvement en lui. Il est ainsi capable de ne pas se laisser prendre aux projections de l’analysant, de ne pas y répondre, et d’offrir une possibilité de distanciation et de prise de conscience.
Le psychanalyste cherche ainsi à repérer ce qu’il représente, incarne pour son client et ce afin de ne pas être « pris au jeu » et d’offrir cet espace, ce décalage indispensable pour amener une prise de conscience, un dégagement nécessaire à toute avancée. Mais l’analyste fait plus, il a aussi à analyser ses propres réac- lions, sentiments, dans le cadre de cette relation, c’est ce qu’on appelle le contre-transfert. Il repère ce que son client suscite, mobilise en lui-même.