Le rêve, voie royale vers L'inconscient
Parallèlement aux pathologies qu’il tente de traiter, Freud s’intéresse aux phénomènes courants que sont le rêve, le mot d’esprit, les actes manqués. Il démontre – par les analyses qu’il en fait – que sa théorie ne s’applique pas seulement aux cas pathologiques mais aussi au fonctionnement psychique normal. Il démontre aussi par ces études que l’emprise de l’inconscient est toujours active et que nous y sommes tous soumis. Freud nourrissait d’ailleurs l’espoir, avec Jung, d’expliquer par sa théorie jusqu’aux phénomènes occultes. Rêve qu’il ne pourra réaliser.
Freud fait ses principales découvertes dans cette recherche sur les rêves, sur les siens en particulier, activité qui sera la base de son auto-analyse. « Le rêve est la voie royale d’accès à l’inconscient », écrit-il. L’interprétation des rêves est un domaine d’intérêt contemporain de Freud, et un sujet très controversé. Il y consacrera lui-même deux ouvrages en 1900 et 1901. Contre les partisans de la théorie qui tient le rêve pour l’effet de la désagrégation du fonctionnement psychique pendant le sommeil, Freud soutient, au contraire, une activité psychique continue, et ce, particulièrement au niveau inconscient. Freud emprunte une métaphore musicale à Strümpell, partisan de la désagrégation : pour cet auteur le rêve n’est qu’incohérence et fruit du hasard, à la manière d’un chat qui se promènerait sur un piano… le résultat ne serait certainement pas une musique, mais du bruit.
Pour Freud au contraire il s’agit d’un matériel codé, comme une partition, il faut un interprète pour en redonner la musique. Malgré son aspect bizarre, souvent illogique, voire saugrenu, et son apparence trompeuse, le rêve est le fruit d’un travail psychique, véritable compromis entre les instances psychiques, le Moi, le Surmoi, le Ça (que nous traiterons plus loin). Pour le déchiffrer il faut donc, nécessairement, passer par le rêveur.
Le rêve est accomplissement de désir, les rêves de jeunes enfants en sont la démonstration, le désir s’y exprime directement. Pour exemple, Freud cite un rêve d’enfant : La petite Anna âgée d’un an et demi avait été malade le matin et mise à la diète pour le reste de la journée. On pensa que la cause de son état était les fraises qu’elle avait mangées. Dans son sommeil on entendit Anna énoncer : « Faises, faises des bois, flan, bouillie ! » Tout un menu ! Ce rêve sonore, verbal, exprime clairement un besoin (de manger) et un désir (manger du fruit défendu, car à l’origine du malaise).
Les enfants plus âgés et les adultes font le plus souvent des rêves moins limpides et même parfois bizarres. Ceci est pour Freud le résultat d’un traitement psychique particulier nécessité par la censure, c’est-à-dire qu’il y aurait une fonction de contrôle encore active pendant le sommeil. Avec le développement de la structure psychique (notamment autour de l’Œdipe), les mécanismes de défense permettant l’adaptation à la réalité sociale au prix du renoncement à la satisfaction directe du désir, chaque fois que ce dernier entre en conflit avec la réalité et l’éducation, vont intervenir pour camoufler le désir initial, lui donner une forme plus acceptable, ou encore le déformer au point de donner au contenu du rêve une apparence des plus incohérentes.
Rêve et camouflage
La recherche de Freud va donc porter sur la mise en évidence des procédés utilisés pour ce camouflage : la condensation (plusieurs éléments sont représentés en un seul), le déplacement (un élément est mis à la place d’un autre), la figuration (mise en image des pensées). Freud découvre que ces mêmes procédés se retrouvent dans d’autres productions de l’inconscient : les actes manqués, les lapsus, les oublis, les mots d’esprit (auxquels il consacrera aussi un ouvrage), les symptômes.
La condensation
Elle rend compte d’un décalage entre le récit du rêve et les pensées qui ont été à l’origine du rêve. On appelle le premier, le contenu manifeste (ce qu’on se rappelle et que l’on peut rapporter verbalement), les secondes constituant le contenu latent. Le contenu manifeste est une forme de raccourci, il est laconique : il condense. Il utilise un mot, une image, pour représenter un ensemble d’associations d’idées. Ainsi un personnage du rêve peut avoir les traits d’une personne, le regard d’une autre, l’attitude d’une troisième, il est composite. C’est pour cela que la méthode permettant d’avoir accès au contenu latent est celle, justement, des associations d’idées du rêveur : il faut pouvoir retrouver ce cheminement de la pensée. La condensation donne ainsi au récit de rêve une certaine opacité qui rend le déchiffrement nécessaire.
Par exemple, le rêve d’Émilie (le thé à la menthe/l’amante) présenté au tout début de cet ouvrage, rêve dont le contenu manifeste, le récit, est très court, concentre sur un détail, le thé, ce qu’il en est de son désir amoureux, de ses relations avec son amant oriental.
Le déplacement
L’intérêt du rêveur est déplacé, dans le récit du rêve, d’un élément particulièrement signifiant à une autre représentation de moindre importance, voire tout à fait accessoire. Ce qui démontre que l’énergie peut se dégager de la représentation initiale et circuler dans le processus associatif. Ainsi, par exemple, l’affect lié initialement à une représentation, peut se retrouver associé à un détail tout à fait minime. C’est le cas du thé, pour Émilie.
Au contraire, dans le rêve de Pascal, cité en page 65, nous avons deux personnages importants, Johnny Halliday et Jacques Chirac. Quelque chose de Pascal est déplacé sur chacun d’eux exprimant, de ce fait, des aspects complémentaires, artistique, politique, du désir de grandeur du rêveur. Il est ainsi courant que le rêveur projette sur la scène du rêve, des parties de lui- même qui se retrouvent ainsi dans les personnes, les objets représentés.
La figuration
C’est le procédé indispensable pour penser en rêve, c’est-à-dire penser à partir d’images, construire un « discours » à partir d’images. Dans ce cadre les idées abstraites ne peuvent être introduites par une syntaxe adaptée. Il faut donc trouver une image visuelle, sonore, kinesthésique… qui puisse approximativement rendre compte de la pensée latente.
Cette façon de faire a été rapprochée de celle de l’enfant jeune et donc, pour l’adulte, d’une forme de régression dans sa façon de s’exprimer. Cette régression, observée dans le rêve, est l’occasion de faire resurgir des souvenirs infantiles et, plus généralement, des matériaux de pensée infantile qui appartiennent à l’histoire du rêveur. De ce point de vue le rêve est une porte ouverte sur l’infantile toujours actif en nous.
La régression
Elle porte à la fois sur les processus psychiques, sur la pensée, pat le retour à des images, et sur le contenu, par la résurgence de souvenirs et d’expériences infantiles. Elle est déjà induite par les conditions du sommeil, la coupure nécessaire avec la réalité, avec les processus adaptatifs, par le retrait narcissique. On peut dire que le rêve est absolument égoïste, il ne concerne que le rêveur, ce dernier se trouve occuper totalement la scène du rêve (par déplacement sur d’autres personnages, par condensation, etc.). Le rêveur est la vraie trame du rêve. Cette façon de voir s’oppose bien sûr au message divin, à la révélation, c’est-à-dire à l’idée que le rêve serait extérieur à l’individu qui n’en serait que le réceptacle.
Pour Freud le rêve est un phénomène psychique très important qui contribue à assurer l’équilibre de l’individu, par le travail psychique qui s’y opère. Pouvoir rêver une situation difficile, un traumatisme, c’est faire preuve d’une capacité à mentaliser, c’est- à-dire à intégrer psychiquement quelque chose qui a pu nous atteindre physiquement, une violence, une angoisse débordante ; pouvoir rêver c’est montrer que notre esprit peut mettre en images, se représenter, et donc en faire quelque chose. Ceci est très important dans les vécus traumatiques notamment. De ce point de vue le cauchemar est un raté du rêve car il n’arrive pas à nous protéger de l’angoisse qui réapparaît dans le rêve avec une intensité qui provoque le réveil.
Le rêve, gardien du sommeil
Freud considère que le rêve est le gardien du sommeil. Les processus mis en évidence par Freud dans l’analyse des rêves correspondent, en réalité, au fonctionnement de l’inconscient, c’est-à-dire aux procédés employés pour toutes les productions de l’inconscient (on parle de processus primaires pour les opposer aux processus secondaires, issus du contrôle, de la rationalité, etc.), en particulier, les symptômes.
Prenons par exemple le cas de la phobie. Il s’agit d’une pathologie à l’origine de comportements qui peuvent devenir très handicapants. La phobie des grands espaces empêche de se promener dans la rue, voire de sortir de chez soi. Au contraire, la phobie des petits espaces, empêche de prendre l’ascenseur, de se trouver dans une voiture, ou dans une pièce petite ou sans grandes fenêtres, etc. Ce qui finalement réduit terriblement les possibilités dans la vie quotidienne et nécessite toutes sortes de précautions. De même la phobie de certains objets, ou animaux, etc. Pourtant il s’agit déjà d’un comportement économique qui vise à limiter l’envahissement de l’angoisse. Le danger n’est pas perçu comme étant à l’intérieur de l’individu (dans le conflit psychique par exemple) mais à l’extérieur (on parle alors de projection). Il est, de ce fait, plus facile à combattre. Il est projeté précisément sur une situation, ou sur un objet, ce qui limite son impact, et offre la possibilité de l’éviter. C’est comme si tout le problème du phobique était déplacé sur le grand espace, ou sur l’araignée, et l’angoisse condensée à cet endroit précis. Alors que, bien entendu, le grand espace et/ou l’araignée ne sont pour rien, objectivement, dans l’origine de la pathologie. Ainsi, l’étude des rêves et la théorie particulière développée par Freud l’ont amené à enrichir son approche de la pathologie, à mieux comprendre cette dernière et à l’intégrer dans une conception plus globale du fonctionnement psychique.
lin effet, le rêve est un fait psychique commun à tous les êtres humains (ainsi qu’à certaines espèces animales). Or il se trouve que les processus mis en évidence sont les mêmes que ceux retrouvés dans certaines pathologies. Il y a, de ce fait, un rapprochement entre le fonctionnement
pathologique (la maladie mentale) et le fonctionnement ordinaire, pour ne pas dire normal. Freud affirmait ainsi qu’il n’y a pas rupture mais continuité. Tout rêveur halluciné, alors que cette même hallucination, de jour, fait partie de la psychose, par exemple. Car, non seulement nous voyons des choses dans nos rêves, mais nous y croyons vraiment, nous vivons vraiment les situations que nous hallucinons, tout comme le délirant à l’état de veille.
Le rêve dévoile le désir
L’observation de cette proximité, de l’existence des mêmes procédés, ouvrait, avec Freud, une nouvelle approche et une nouvelle compréhension à la fois des phénomènes quotidiens et des phénomènes pathologiques. Le rêve nous a amenés à éclairer d’une part le rapport de l’adulte à son monde infantile, et, d’autre part, la communauté des processus normaux et pathologiques. Mais comment se constitue le rêve ? Toujours à partir du désir du rêveur, à la faveur de l’abaissement du contrôle, de la censure, et par l’usage de restes diurnes (représentations, souvenirs, traces mnésiques, mots, sensations, etc.) qui vont constituer le matériau de base, en quelque sorte. L’inconscient utilise des éléments, le plus souvent indifférents, de la vie diurne, pour y transférer des éléments majeurs de la vie infantile du sujet.
À l’abri, grâce au sommeil, du principe de réalité, le rêve répond au principe de plaisir : le mendiant rêve d’un bon repas, le prisonnier se voit voler au-dessus de sa prison… bien que, comme nous venons de le voir, le rêve manifeste est souvent plus compliqué à déchiffrer en raison de la richesse du travail psychique réalisé.
Si le rêve lui-même, par les processus psychiques impliqués, par le contenu, est intéressant, l’attitude du rêveur l’est tout autant. C’est dire que ce comportement qui pouvait sembler au départ insignifiant, se révèle être au contraire une source très riche d’enseignement sur notre fonctionnement psychique.
Que faisons-nous de nos rêves ?
Quel intérêt portons-nous (ou non) à ces productions psychiques non maîtrisables ? C’est à ce niveau que se trouve la part proprement humaine du rêve. Les hommes, quelles que soient les cultures, se sont toujours intéressés à leurs rêves. Comme pour tout ce qui arrive à l’être humain, cette pensée nocturne, souvent bizarre, qui semble lui échapper, excite son intérêt : il doit lui trouver un sens, et chaque culture a proposé sa façon d’envisager le sens des rêves. Freud tente, nous l’avons vu, d’intégrer cette conduite particulière dans la culture scientifique de son époque. Le rêve a un sens et ce dernier peut être l’objet d’une étude scientifique. Voilà son ambition : sortir l’interprétation du rêve de l’ésotérisme de pratiques initiatiques, ou de dévoilements mystiques.
Mais, dans ce cas, le rêve ne peut être envisagé sans le rêveur, puisqu’il en est un produit psychique. Le rêveur doit être mis à contribution, pas seulement dans le fait de raconter son rêve, mais très précisément dans le travail de l’analyse du rêve. Car seul le rêveur peut aider l’analyste à démêler les fils de cette trame de figurations, condensations, déplacements qui ont répondu au désir et aux obstacles internes au rêveur. La méthode est encore celle des associations d’idées.
Ce sont les associations libres faites à partir du rêve qui permettent de démanteler le travail de déguisement réalisé afin de retrouver un sens derrière les bizarreries du récit de rêve. On ne peut interpréter un rêve si on n’a pas les associations du rêveur. Alors qu’est-ce qui fait que nous oublions nos rêves, voire que nous avons l’impression de ne pas rêver ? Ce serait le résultat, de processus défensifs qui nous refusent l’accès à ces pensées du rêve, en les refoulant, en les oubliant. Il s’agirait d’une façon de distinguer très clairement le jour de la nuit, ce qui peut se dire ouvertement, ce qui est adapté à la réalité sociale, de ce qui doit rester dans l’ombre. De ce point de vue se rappeler ses rêves serait un indice de bonne santé psychique, dans le sens d’une certaine souplesse de fonctionnement, d’une certaine tolérance interne.
La technique de l’interprétation des rêves est pour Freud à la base du travail réalisé dans la cure psychanalytique. À côté de rêves à contenu narcissique, comme celui de Pascal, voici deux rêves qui laissent affleurer la dimension libidinale.
Voici un rêve qui montre que la sublimation (la musique) peut avoir quelques défaillances et laisser apparaître, en rêve, ses sources originelles, sexuelles. Si chacun d’entre nous peut entendre, dans ce rêve, la dimension libidinale, pourquoi s’est- elle exprimée sous cette forme ? Nous ne pouvons répondre à cette question sans le rêveur et ses associations. On note que, malgré ces évocations très senties, le rêveur réussit une mise en forme très adaptée dans la verbalisation finale.
Ce que l’on constate d’emblée dans ce dernier rêve, c’est le travail de mise en forme réalisé dans ce rêve, le passage par l’écriture et par une langue étrangère, l’arabe (mises à distance, abstraction), et enfin la spiritualité. Dans ce cas on trouve une insistance sur la question du déchiffrage et quand même un retour aux deux jeunes femmes… Les associations du rêveur nous éclaireraient sur les contenus de cette lutte intérieure (que nous voyons à l’œuvre) entre attrait et répulsion, entre plaisir et mise à distance.
Cette cure commencée en 1910 dura quatre ans et demi. Issu d’une famille de la noblesse russe, HL fut élevé ainsi que sa sœur au milieu de gouvernantes et de précepteurs. Sa mère s’occupait surtout de sa propre santé, tandis que son père dépressif eut la vie active d’un homme politique aux idées libérales.
C’est déjà à l’âge de 10 ans qu’il présenta les premiers symptômes. À l’âge de 19 ans il perdit son père puis sa sœur, l’un et l’autre par suicide. Ayant contracté une maladie sexuelle, il eut une dépression et fut plusieurs fois hospitalisé. Il fit de nombreuses cures de repos et eut ainsi droit à une série de traitements variés, administrés par différents médecins. Lorsqu’il rencontra Freud, il eut pourtant pour la première fois le sentiment d’être écouté pour lui-même et non pas comme un énième malade. HL aurait été victime d’une tentative de séduction à l’âge de trois ans et demi par sa sœur. Plus tard, il tenta lui-même de la séduire, mais elle le repoussa. Il finit par épouser l’infirmière dont il était tombé amoureux, union à laquelle sa famille et les médecins s’étaient précédemment opposés.
Freud ne suivra pas les diagnostics de ses prédécesseurs. Il considéra qu’il s’agissait d’une hystérie d’angoisse avec phobie des animaux transformée en névrose obsessionnelle. Diagnostic qui fut encore discuté par les commentateurs suivants. Non seulement l’analyse de l’homme aux loups fut publiée et, comme les autres cas célèbres, commentée de multiples manières, mais le patient lui-même écrivit son autobiographie, encouragé en cela par le milieu psychanalytique. Le patient dû reprendre un travail psychanalytique après la guerre avec Freud, puis avec une femme. Il resta toujours en contact étroit avec le milieu psychanalytique dans lequel il était intégré et soutenu.
Rêve, hallucination, délire
Le rêve est une activité psychique commune à tous les êtres humains (et à certaines espèces animales). C’est non seulement une activité normale, mais utile, voire nécessaire. Le rêve est lui- même une activité hallucinatoire puisque le rêveur croît à ce qu’il voit, ce qu’il entend, et ce en dehors de toute réalité matérielle. Mais, au réveil le rêveur considère que « ce n’était qu’un rêve ». Il est donc alors bien en état de distinguer la réalité matérielle de la réalité psychique. À l’état de veille, en revanche, l’hallucination est plus problématique et souvent pathologique. C’est l’interprétation, le degré de croyance du sujet qui fera alors le partage entre normalité et pathologie. Le sujet peut-il encore distinguer ces deux ordres de réalité ? Nous donnerons quelques exemples dans le registre du normal (puisque les sujets réalisent clairement qu’ils ont halluciné).
On peut différencier les hallucinations positives (voir, entendre quelque chose qui n’existe pas) des hallucinations négatives (ne pas voir, ne pas entendre quelque chose qui existe bel et bien !). Les premières sont de loin les plus fréquentes.
L’hallucination positive
Ces deux cas illustrent deux fonctions de l’hallucination, d’un côté le retour d’un événement traumatique, de l’autre la réalisation d’un désir, d’une pensée (si seulement je n’étais pas seule, si je pouvais avoir une visite…). C’est là le pouvoir du psychisme que d’abuser nos sens au point de percevoir sans stimuli correspondant.
L’hallucination négative
Dans ce cas, le sujet réalise sa méprise, cette « erreur » de perception lui appartient. On peut encore évoquer une situation beaucoup plus banale, celle de la surdité psychologique. Combien de fois lorsqu’un enfant n’entend pas ses parents, notamment lorsqu’il s’agit de reproches ou de demandes qui lui sont désagréables, ceux-ci considèrent qu’il s’agit d’une surdité psychologique. On entend ce qu’on veut bien entendre a-t-on l’habitude de dire dans ce cas. Il faut reconnaître qu’il nous est plus facile de considérer cet aspect psychologique chez l’autre et l’enfant en particulier, que chez nous, adultes. Pourtant le processus est bien le même !
Citons aussi l’exemple suivant, qui confirme la portée de l’hallucination négative :
Délire
Le délire, lui, va plus loin car, dans ce cas, il ne s’agit pas d’une simple perception mais d’une véritable construction, et qui engage la croyance, l’adhésion du sujet. Dans ce cas la réalité psychique prend le pas sur la réalité matérielle. Le délire est un processus psychique qui crée une néoréalité à laquelle le sujet adhère totalement, c’est-à-dire qu’il en fait la réalité matérielle, ne la reconnaissant pas comme une construction propre à son psychisme. Le délire est un élément caractéristique de la psychose. Freud développe ses réflexions sur ce sujet à partir d’un cas que nous allons résumer ici.
Ce cas fut réinterprété par des analystes plus spécialisés dans ce domaine comme Mélanie Klein ou encore Jacques Lacan. La première fit remonter ses troubles à la relation précoce mère- enfant, à la différence de Freud qui voyait le délire comme une défense contre l’homosexualité latente. Lacan, pour sa part, relia ce délire aux thèmes pédagogiques du père considérant que le projet du père d’assainir l’homme par sa méthode d’éducation, faisait retour dans le délire de Schreber.
Place du rêve dans la séance de psychanalyse
La séance d’analyse est centrée sur l’association d’idées. Mais il arrive bien sûr que le sujet veuille parler d’une situation précise, ou encore qu’il rapporte un rêve. Il peut aussi être amené, à certains moments à associer une évocation à un rêve, ou un rêve à un autre rêve, etc. L’écoute du psychanalyste est ici à deux niveaux au moins, le processus associatif pour lui-même (comment on passe de tel élément à tel autre élément), et la façon dont celui-ci s’inscrit dans la relation analytique (entre le psychanalyste et l’analysant). Qu’est-ce qui fait que le sujet apporte tel rêve à tel moment à l’analyste ? (Il cherche à l’intéresser, le relancer, lui faire « un cadeau ». Il attend une interprétation…)
Suivant son orientation (freudienne, lacanienne, kleinienne, etc.) et sa pratique, l’analyste accordera plus ou moins d’importance au rêve en tant que tel. De ce fait le sujet se sentira plus ou moins encouragé à apporter, et même à faire des rêves. L’analysant s’approprie progressivement la méthode des associations d’idées et trouve ainsi à interpréter lui-même ses rêves.
Nous reviendrons sur la question du rêve en psychanalyse dans la troisième partie de l’ouvrage lorsque nous aborderons les critiques faites à la psychanalyse.
Actes manqués
Si le rêve est la voie royale, on pourrait dire de l’acte manqué (lapsus, oubli, erreur, fausse audition, fausse perception visuelle, perte, etc.) qu’il est une voie princière ! Pour la psychanalyse tous ces ratés de la volonté, du contrôle, de la maîtrise du Moi, sont des manifestations de l’existence du désir inconscient, qui vient faire surgir, par surprise, autre chose que ce que l’on pensait dire, faire, montrer…
L’acte manqué est la résultante de deux intentions en conflit. L’intention manifeste se trouve perturbée par l’intrusion de l’intention latente, le plus souvent refoulée. Mettant à profit la fatigue, la distraction, ou encore les similitudes verbales, ces tendances refoulées trouvent un terrain où s’exprimer.
L’inconscient est structuré comme un langage, il peut donc être décrypté comme un message dont on suit les processus de condensation, déplacement, métaphore et métonymie. L’acte manqué est une formation de compromis entre le conscient et l’inconscient, le matériel refoulé. Le « ça parle » correspond à une faille du contrôle conscient, tout en restant déguisé, encore camouflé par la formation de compromis : il ne s’agit pas d’un face-à-face direct avec l’inconscient, plutôt d’un jeu de piste ouvert…
L’acte manqué sert une intention. Ainsi, le mot oublié, par exemple, l’est par les associations désagréables qui lui sont liées. Seule la technique des associations libres permet de retrouver l’enchaînement qui rétablit le sens. Vous en trouvez des illustrations dans les exemples qui parcourent cet ouvrage.
Nous terminerons ce chapitre sur le rêve avec l’expérience de Brigitte : une certaine prise de sang. Cette expérience montre comment l’inconscient utilise, dans la vie quotidienne, des situations, des indices, pour répéter des traces d’événements infantiles restés en souffrance.
On voit ici une suite d’associations de situations, images, mots, ressentis physiques, entre trois personnes chacune dans son histoire propre, mais s’éclairant les unes par les autres. Brigitte ainsi pu faire le parcours qu’elle n’aurait pas pu réaliser seule, intégrer un vécu d’enfance traumatique qui l’avait « marquée » de la sorte. Pour cela elle s’était mise à l’écoute de ces sensations sur le moment bizarres. On pourrait même dire que l’épisode de la prise de sang s’est mué, pour elle, en « prise de sens ».
Ce lapsus trahissait bien là son désir de l’embrasser ! De plus, cet exemple montre la valeur que peut prendre un lapsus, mémorisé, raconté, transmis… Le plaisir qu’y prend l’auditeur, comme de voir mis à nu le désir de l’autre…
Le mot d’esprit
Freud aimait beaucoup les jeux de mots, l’humour, les histoires juives. Il consacra un ouvrage entier, en 1905 sur Le mot d’esprit et ses rapports avec l’inconscient. Il étudie la technique du mot d’esprit, la façon dont il produit du plaisir, et sa dimension sociale. Tout comme le rêve, le jeu de langage a un rapport privilégié avec l’infantile. Les premiers apprentissages de la langue, chez l’enfant, ne se font pas sans confusion de sons, de sens, quiproquos, etc. L’enfant prend bientôt plaisir à jouer avec ces mêmes éléments.
Contrairement au lapsus, à l’oubli, aux actes manqués, le mot d’esprit, lui, apparaît comme particulièrement réussi. C’est une formule, une répartie, un néologisme… qui utilise la polysémie du langage (le double sens des mots, en particulier), pour offrir la possibilité à une représentation inconsciente, refoulée, de faire retour, et même d’être accueillie dans le champ de la conscience ! C’est clairement une façon de déjouer la censure.
Une histoire juive
Freud rapporte, par exemple, une histoire juive : passant devant un établissement de bains publics M. X demande à M. Y « As-tu pris un bain ? », ce à quoi M. Y rétorque : « Pourquoi ? Il en manquerait un ? » Le mot d’esprit produit du plaisir : diminution de la tension, échappée de la censure, de la rigueur du Surmoi, libération d’énergie, et convivialité. Car le mot d’esprit s’entend avec témoin, c’est sa dimension sociale.
On retrouve dans l’humour, le comique, l’ironie des conjugaisons différentes des mêmes ingrédients que sont le jeu avec la censure, avec la langue, et le plaisir partagé (nous ajouterions aussi l’air dans la tête, le chantonnement, beaucoup moins étudiés mais tout aussi efficaces). À côté des mots d’esprit ludiques, Freud distingue des mots d’esprit tendancieux, c’est-à-dire portés par l’agressivité, le cynisme ou encore l’obscénité. Dans son ouvrage Freud reprend des histoires de marieurs, d’argent, de famille, de sexe. Dans tous les cas, il s’agit de la capacité de rire de situations difficiles, voire même tragiques. On raconte aussi que lors de son départ de Vienne, Freud, contraint de signer une attestation selon laquelle l’administration nazie l’avait bien traité, aurait ajouté ces mots : « Je puis cordialement recommander la Gestapo à tous ! »
À noter que Lacan, particulièrement sensible à cette dimension linguistique, utilisera lui-même beaucoup les aphorismes, les mots d’esprit, calembours… dans son enseignement, donnant un nouveau développement à l’ouvrage freudien.
Les images nous démontrent la prouesse technique de ces bombardements, mais comment penser un seul instant que l’on puisse comparer la précision de l’envoi de ces bombes à la façon dont on plante les choux ? Si le mot d’esprit agit par condensation, comment mettre en relation des registres aussi éloignés, aussi opposés ? En tout cas, à ce stade, je ne ris pas du tout !
À la réflexion, je me dis que la façon dont les Américains nous ont présenté leurs performances, la banalisation et la médiatisation dont elles ont fait l’objet, ont pu être entendues comme si ce n’était finalement qu’un jeu d’enfant ! Alors ce grand écart fait entendre justement avec dérision la critique d’un cynisme monstrueux : planter des bombes comme on plante des choux.
Démonstration d’un savoir (« Savez-vous ? » nous demande la chanson) sous forme de performance technique, rapprochée ici de l’apprentissage du corps (on se rappelle que les différentes parties du corps sont successivement impliquées dans les couplets de cette chanson… « On les plante avec le nez »…).
Dans ce cas la trouvaille préconsciente de la chanson d’enfant souligne, plus que la banalisation, la futilité propre au développement de la dérision. C’est une façon de tenter de se dégager de l’angoisse envahissante produite par la vision de ces images. Il manque toutefois, dans cette situation, un public pour partager l’humour noir produit par l’air dans la tête.
C’est un bon mot qui fait passer d’un constat technique désagréable (Xavier a vraiment des problèmes depuis quelque temps à cause de cette machine) à une relation de séduction.
L’interprétation du rêve a été fondamentale dans la découverte de Freud et lui a permis de s’auto-analyser. Le récit du rêve est le fruit d’un travail psychique de transformation des pensées et désirs. Les principaux mécanismes de transformation du rêve latent en rêve manifeste sont la figuration, la condensation, le déplacement. Ces processus sont au fondement de la réalité psychique tout entière, actifs dans le rêve, mais aussi dans les pathologies mentales, et dans certains symptômes physiques.