Le mouvement psychanalytique et la société
Freud se pose le problème des relations entre individu et société dans des textes comme Totem et tabou, Psychologie des foules et analyse du Moi ou encore Malaise dans la civilisation. Il a l’ambition d’arriver à donner une compréhension nouvelle des comportements humains, notamment lorsque ceux-ci sont mus par la destructivité et la violence. Le mouvement psychanalytique lui-même, par l’ampleur des résonances internationales qu’il a suscitées, s’est trouvé aux prises avec l’histoire, le nazisme en particulier. Ce dernier a été à l’origine de la destruction publique des œuvres de Freud, et de l’émigration de nombreux psychanalystes vers la Grande-Bretagne et les Etats-Unis.
Les critiques de la psychanalyse sont ainsi venues des pouvoirs politiques et religieux, comme aussi des scientifiques et des écoles de psychothérapie (les mouvements humaniste et cognitivo-comportemental en particulier). Il faut reconnaître que la psychanalyse s’est aventurée jusqu’à analyser les idéologies elles-mêmes, les considérant comme des processus défensifs qui rigidifient le fonctionnement psychique autour de l’idéalisation d’une idée, d’un personnage, d’un système. Elle devait donc s’attendre à des retours de bâton !
Nous évoquerons rapidement la mise en place organisationnelle du mouvement psychanalytique et développerons ensuite les critiques habituellement faites à l’endroit de la psychanalyse en tant que science, thérapie, théorie et technique. On pourra se demander comment, au règne de l’évaluation qui est le nôtre, rendre compte, chiffres en mains, de la part d’inconscient mise à jour au cours d’une psychanalyse…
Ces courants provoquèrent une sorte d’éclatement de ce qu’on pouvait se représenter comme la citadelle psychanalytique, garante de l’orthodoxie, traditionnellement assurée en France par la Société Psychanalytique de Paris et l’Association Française de Psychanalyse, toutes deux affiliées à l’international Psychoanalytic Association (IPA).
La psychanalyse a étendu son influence à une quarantaine de pays, avec une forte prédominance en Europe et en Amérique (Nord et Sud). Elle n’est pratiquement pas représentée en Afrique, et peu en Inde. Considérée sous le nazisme comme science juive, elle fut interdite en Allemagne. Il en fut de même en Chine où le régime communiste jugea qu’il s’agissait d’une « science bourgeoise ». Le nazisme et le stalinisme obligèrent de nombreux psychanalystes à émigrer, principalement en Angleterre et aux États-Unis. C’est dire que le contexte historique a eu une incidence très importante sur le développement de la psychanalyse.
À la fin du XXe siècle, le retour à une psychiatrie organiciste, et le regain du comportementalisme et du cognitivisme, associés à la pharmacologie, entraînèrent un affaiblissement du mouvement psychanalytique dont on ressent les effets actuellement dans les modifications apportées aux prises en charge des malades. La prévalence de l’approche organique sur l’approche relationnelle, et la recherche de traitements chimiothérapiques aux souffrances morales marquent ce nouveau tournant (comme par exemple dans le traitement chimiothérapique couramment proposé pour l’anxiété liée à la dépression). La remise en cause – à un niveau international – des modèles psychopathologiques, des classifications psychiatriques, au profit de listes et d’échelles, a une grande incidence sur les pratiques actuelles. Le DSM (Diagnostic and Statistical Manual of mental disorders), ou manuel diagnostic et statistique des troubles mentaux en est le résultat et le principal véhicule. De plus les avancées technologiques comme l’imagerie cérébrale (IRM) suscitent des attentes, en particulier concernant de possibles causalités organiques.
Dans ce contexte, qu’elle est la place de la psychanalyse ? Plus que jamais notre société individualiste, consumériste a besoin d’une approche qui se soucie de la personne, garantisse sa subjectivité. C’est la première réponse que nous donnerons, mais nous reviendrons sur cette question.