Le modèle biologique de l’agoraphobie et du trouble panique
C’est au cours d’études commencées en 1959, portant sur l’antidépresseur imipramine pas encore commercialisé à cette époque, que Donald Klein (1962) faisait une observation surprenante : ce médicament ne donnait pas seulement de bons résultats dans le traitement des dépressions graves, mais également lors de la thérapie de troubles anxieux qui ne pouvaient être améliorés ni par des psychothérapies intensives en milieu hospitalier, ni par des traitements sédatifs. Tout aussi surprenante fut l’observation que ce médicament améliorait bien les crises d’angoisse, mais non l’anxiété générale. Ces observations, Klein essayait de les affermir et de les étendre dans des essais cliniques. En s’appuyant par ailleurs sur son savoir clinique, empirique et théorique, Klein a ainsi élaboré un modèle biologique de l’anxiété, de la panique et de l’agoraphobie qui devait exercer une grande influence sur la recherche et sur la classification des troubles anxieux du DSM-III-R.
Le « trouble panique » qui peut se manifester avec ou sans agoraphobie est caractérisé de façon suivante au DSM-III-R : « Les caractéristiques essentielles de ces troubles sont des attaques de panique récurrentes, c’est-à-dire des périodes bien délimitées de craintes ou de malaises intenses, associées à au moins quatre symptômes caractéristiques. Le diagnostic n’est porté que s’il n’a pas pu être établi qu’un facteur organique a initié ou maintenu le trouble. »
DSM-III-R, © 1987, American Psychiatric Association et © 1989, Masson (pour la traduction française)
L’agoraphobie qui peut se présenter avec ou sans panique y est décrite comme suit : « Agoraphobie : crainte de se retrouver dans des endroits ou des situations d’où il pourrait être difficile (ou gênant) de s’échapper ou dans lesquels on pourrait ne pas trouver de secours en cas d’attaque de panique. Cette crainte entraîne une restriction des déplacements ou un besoin d’être accompagné en dehors du domicile ; ailleurs, le sujet subit les situations génératrices d’agoraphobie bien qu’elles provoquent une anxiété intense. Les situations génératrices d’agoraphobie correspondent habituellement au fait de se trouver seul en dehors de son domicile, d’être dans une foule ou dans une file d’attente, sur un pont ou dans un autobus, un train ou une voiture ».
DSM-III-R, © 1987, American Psychiatric Association et © 1989, Masson (pour la traduction française)
D’après la conception de Klein, il n’y a pas seulement une différence quantitative, mais aussi une différence qualitative entre l’angoisse panique et les autres troubles anxieux. L’angoisse panique est caractérisée par sa survenue spontanée, à la façon d’un accès — « tombant du ciel bleu » — sans événements déclenchants apparents, par sa grande intensité et par une série de symptômes corporels comme des difficultés respiratoires, battements de cœur, vertiges, transpiration, etc. Pour Klein, il s’agit là d’un trouble fonctionnel primairement biologique à composante génétique (héréditaire) que ni la psychanalyse ni la théorie de l’apprentissage ne peuvent expliquer de façon satisfaisante. L’anxiété chronique ou d’anticipation, par contre, est la peur de l’angoisse panique, donc de l’ordre de l’anxiété d’expectation ; elle a une allure chronique plutôt que d’attaque. Elle se manifeste davantage comme tension, comme anxiété et au niveau des symptômes cognitifs. Dans cette perspective, l’agoraphobie devient la peur et l’évitement de l’angoisse panique et des situations dans lesquelles elle s’est manifestée et auxquelles elle est associée. Pour étayer ses observations et hypothèses concernant le trouble panique comme phéno¬mène spécifique, primairement biologique, Klein avance les arguments suivants :
1. La spécificité de l’effet médicamenteux : des médicaments spécifiques exercent un effet spécifique sur l’angoisse panique et l’anxiété anticipative. Les antidépresseurs tricycliques (surtout l’imipramine) et les inhibiteurs de la monoamine-oxydase (IMAO, surtout la phénelzine) seraient ainsi efficaces dans l’angoisse panique, mais non dans l’anxiété anticipative. Cependant des médications tranquillisantes (surtout les benzodiazépines) et l’alcool auraient l’effet inverse.
2. Le déclenchement d’accès de panique par infusion de lactate de sodium serait possible chez des patients souffrant de troubles panique, mais non chez des sujets d’expérience normaux.
3. Une forte composante génétique qui serait indépendante de l’anxiété anti-cipative se trouverait dans des études familiales.
4. Une anamnèse d’anxiété de séparation serait trouvée chez environ la moitié des patients adultes souffrant de troubles panique. Comme l’anxiété de séparation chez les animaux, celle-ci pourrait être traitée avec succès avec l’imi-pramine.
Barlow (1988) et Ehlers, Margraf & Roth (1986) ont soumis ces arguments à une critique détaillée que l’on peut résumer avec Margraf et al. (1986) de la façon suivante :
« Notre revue de la littérature ne trouvait pas d’appui à l’affirmation selon laquelle il y aurait une action médicamenteuse spécifique sur la panique vs d’autres types d’anxiété. Les études dites d’induction de panique ne fournissent pas de fondement pour les modèles de Klein ou de Sheehan. La transmission génétique de la disposition à faire des attaques de panique indépendamment de l’anxiété généralisée doit encore être démontrée. Bien que la question de la spontanéité des attaques de panique n’ait commencé à être étudiée adéquatement que depuis peu, il y a quelques preuves en faveur de l’existence de stimuli internes déclenchant immédiatement des attaques de panique individuelles. Finalement la relation entre l’anxiété de séparation infantile et les attaques de panique de l’adulte est faible, probablement due à la nature purement rétrospective des études faites jusqu’à présent. Nous concluons que des modèles qui se centrent entièrement sur les effets qu’exercent les états biologiques sur les états psychiques ne sont pas compatibles avec la complexité des phénomènes étudiés et avec la majorité des données empiriques. »
La théorie du traitement de l’angoisse de la panique et de l’agoraphobie qui découle de ce modèle est naturellement d’orientation biologique et dirigée vers les attaques de panique. Puisque l’attaque de panique, d’après cette approche, est le résultat d’un seuil pathologiquement bas pour le déclenchement de réactions d’alarme innées, le traitement ne peut consister pour Klein que dans l’augmentation de ce seuil. C’est ce qu’on obtient par les antidépresseurs qui atteignent leur effet positif sur les attaques de panique par cette normalisation du seuil.
L’efficacité de l’imipramine dans le traitement des attaques de panique cl de l’agoraphobie a été établie par une série d’études intéressantes.
Pour les phobies scolaires, Gittelman-Klein &Klein (1971) ont trouvé des résultats positifs, Berney (1981) cependant arrive à des résultats négatifs. Des patients adultes ont été étudiés par Zitrin et al. (1972, 1978, 1980, 1983) dans une série d’investigations contrôlées comparant l’effet de l’imipramine et de la thérapie comportementale. Les résultats des deux dernières études étaient très semblables en ce sens que l’addition d’imipramine au traitement par exposition (c’est-à-dire une technique comportementale consistant à confronter le patient avec l’objet déclenchant l’anxiété, voir ci-dessous) permettait à un peu plus de patients d’arriver à une amélioration considérable ou moyenne. Dans l’étude de 1980, 93 °7o des patients terminant la thérapie (imipramine + exposition in vivo) pouvaient être considérés comme considérablement ou moyennement améliorés. Ce résultat ne fut atteint que par 72 % des patients ayant reçu la seule thérapie par exposition ; c’est une différence statistiquement significative. Mais il faut aussi noter que pour le traitement combiné (imipramine + exposition) on enregistrera également 29 °7o de rechutes alors que la combinaison d’une thérapie par exposition et d’un placebo n’en donnaient que 6 %. Comme le montrent d’autres recherches, beaucoup de patients n’acceptent pas cette pharmacothérapie (30 %) ou l’abandonnent à cause des effets secondaires (30 à 40 <Vo), alors que le taux d’abandon de traitements par la thérapie par exposition n’est que de 10 %. En conséquence Zitrin recommande de commencer par une thérapie d’exposition (d’au moins quatre semaines) et de ne passer au traitement par imipramine que lorsque les attaques de panique ne se sont pas améliorées. Dans la recherche de 1983, 84 % des patients ayant terminé le traitement (imipramine + exposition in sensu) étaient fortement ou modérément améliorés par comparaison à 70 % des patients ayant reçu un traitement d’exposition + placebo. L’imipramine procure donc un effet additionnel.
Des études plus récentes, améliorées du point de vue méthodologique, donnent des résultats semblables.
Marks et al. (1983) ont également comparé des traitements d’agoraphobies par exposition et par imipramine. Alors qu’une première analyse des données ne montrait pas de différence, une seconde analyse par Raskin, Marks & Sheehan (1983) révélait une différence en faveur de I’imipramine immédiatement après le traitement, mais celle-ci avait disparu lors du suivi (follow-up). Le même résultat fut trouvé par Mavissakalian & Michelson (1986a, 1986b) dans une recherche semblable. Il faut cependant remarquer que l’effet de l’imipramine est moins bien établi lorsqu’on l’étudie en comparant un traitement par la seule imipramine et un traitement par placebo au lieu de l’étudier dans un traitement combiné (imi¬pramine + exposition). Cette constatation a donné lieu à l’hypothèse selon laquelle il y aurait une interaction entre le médicament et l’exposition, allant dans le sens d’une potentialisation du traitement par exposition par l’imipramine. On pense d’ailleurs généralement que l’exposition est nécessaire pour réduire l’anxiété anticipative et le comportement d’évitement des patients agoraphobes.
D’autres médicaments (les tricycliques, les IMAO, les benzodiazépines) ont également été testés pour leur efficacité, comme on a d’ailleurs aussi fait des recherches sur les différents problèmes que constituent les effets secondaires, le taux d’abandon et le taux de rechute, la dépendance, et l’interaction positive ou négative avec le traitement par exposition. Nous ne pouvons pas approfondir ici ces recherches, mais nous voudrions attirer l’attention sur le fait que ces recherches montrent que le traitement de l’agoraphobie et du trouble panique par les benzodiazépines donne bien lieu à une diminution rapide de l’anxiété et de la panique, mais s’accompagne d’un taux de rechute très élevé (jusqu’à 100 %) et d’un grand danger de dépendance.
Une réponse pour "Le modèle biologique de l’agoraphobie et du trouble panique"
Bonjour,
J’avais le même symptome quand j’ai été abandonné par mon mari à un époque. Ce fut un trouble très grave.